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Charles Roussel (1861-1936) – marines et retours de pêche à Berck

Charles Émile Joseph Roussel voit le jour le 16 février 1861 à Tourcoing, dans le département du Nord, du mariage de Joseph François Roussel et d’Aimée Amélie Joseph Castelain. En 1925, il se marie dans le 14ème arrondissement de Paris avec Simone Eugénie Filiatre, née à Boulogne-sur-Mer.

En 1877, Charles Roussel entre à l’école académique et obtient des distinctions. Deux ans plus tard, à l’âge de 18 ans, il entre à l’Académie des Beaux-Arts de Lille, où il étudie sous la direction du peintre Alphonse Colas. Ensuite, il devient élève aux Beaux-Arts de Paris dans l’atelier d’Alexandre Cabanel jusqu’en 1886, puis continue son enseignement avec Jean-Joseph Weerts.

Au début des années 1880, Charles Roussel effectue quelques voyages en Pays Basque, en Italie, en Espagne et dans le sud-ouest de la France. Après un séjour à Pont-Aven en 1886, il s’installe à Berck, où il est conseillé par son maître et ami Francis Tattegrain. Les journalistes de l’époque notent leur affinité et en 1899, lors d’un punch offert en l’honneur de la distinction obtenue par Tattegrain au Salon, le maire de Berck associe Charles Roussel dans son discours, affirmant que « M. Roussel lui aussi est berckois…». Par ailleurs, Charles Roussel conserve dans son atelier le portrait que Tattegrain a réalisé de lui en quarante minutes.

À l’instar de nombreux artistes qui se sont rassemblés autour de Berck, tels que Francis Tattegrain, Ludovic-Napoléon Lepic et Marius Chambron, Roussel a observé les pêcheurs et les pêcheuses – avec lesquels il a établi des relations amicales – en suivant leurs routines quotidiennes : préparation de la journée de travail, prière avant la pose des filets, départ pour la pêche au hareng et au maquereau, retour avec la prise de la journée, et enfin nettoyage et pliage des filets en prévision du lendemain matin. D’une manière presque cérémoniale, l’artiste a suivi leur progression tout au long de la journée, surtout pendant la grosse saison de pêche automnale.

Charles Roussel fait comprend l’âme des pêcheurs, fait preuve d’une empathie pour leur labeur rustique. Il refuse d’idéaliser ou de romancer leur vie, créant des compositions avec un souci scrupuleux de vérité et de sincérité expressives. Le modelage solide et sobre des personnages leur confère une dignité et une noblesse tranquilles, proches de l’atmosphère des « Tailleurs de pierre » de Courbet ou des « Glaneuses » de Millet. Il ignore effectivement le mélodrame théâtral, mais sa sobriété n’est pas sans émotion. Sa manière d’évoquer la lassitude d’un visage, la tension douloureuse d’une pose, la fatigue d’un geste, illustre une empathie discrète mais véritablement sincère.

Si les scènes de pêche de Charles Roussel témoignent d’une grande attention aux détails réalistes, l’artiste a également créé des œuvres impressionnistes composées de juxtapositions de formes et de teintes. En effet, à partir de 1889, Roussel réalise une série de peintures explorant les effets de la lumière et de l’atmosphère. Dans ces images, le soleil, le ciel et l’eau deviennent le sujet principal, tandis que les silhouettes et les bateaux transparaissent à travers les jeux de lumière. Du spectacle grandiose d’un coucher de soleil à l’humble mélancolie d’un matin brumeux, Charles Roussel a capturé la mer avec toutes ses facettes et ses humeurs. Son coup de pinceau fluide et actif et ses nuances tonales ont donné naissance à des compositions d’une grande fraîcheur et d’une grande spontanéité, soulignant la beauté discrète de sa ville côtière d’adoption. Homme humble et modeste, Charles Roussel n’était pas inspiré par les titres et les honneurs, mais par le simple plaisir de son métier. Il gardait ses toiles avec un soin jaloux, hésitant à les montrer car, comme tous les vrais talents, il n’était jamais satisfait de ce qu’il produisait. (Le Magasin Pittoresque, 1913).

Néanmoins, les visions expressives et poétiques de Charles Roussel lui valent une solide réputation dans toute l’Europe et attirent de nouveaux collectionneurs en Amérique. En 1887, il commence ce qui deviendra une participation de 48 ans au Salon annuel des artistes français, en exposant l’une de ses œuvres les plus importantes, « Les Apprêts pour la Pêche », aujourd’hui conservée au musée des Beaux-Arts de Tourcoing. Les apparitions de Charles Roussel au Salon sont toujours suivies avec enthousiasme et donnent lieu à une impressionnante succession d’expositions dans le pays et à l’étranger, notamment l’Exposition universelle de Saint-Louis (1904), Saint-Pétersbourg (1904), Buenos Aires (1909) et le Salon des Tuileries à Paris (1907-1908).

Sa première exposition personnelle présentant 109 tableaux a lieu en 1906 à la Galerie des Capucines, à Paris : succès critique et commercial. Dès lors, elle aboutit à la vente d’une de ses œuvres à l’État et à des acquisitions par de grands musées français. Populaire malgré lui, Charles Roussel est salué comme un artiste sensible et expressif « dont la technique originale et personnelle mérite l’admiration des connaisseurs. » (Journal de Berck, 23 novembre 1930).

Avec la mort de Charles Roussel en 1936, la France perd un homme à la vision unique, qui a réussi à capturer un lieu et une époque comme aucun autre artiste. Après sa mort, l’artiste s’est quelque peu effacé de l’attention du public, avant de connaître un regain d’intérêt et d’expositions dès 1961, à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance.

Charles Roussel réalise l’essentiel de sa carrière à Berck et y décède le 16 mars 1936.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Intimité d’artistes : peindre sa famille

Si l’intimité est surtout utilisée pour caractériser une œuvre littéraire, un sentiment, un état intérieur, l’art se l’approprie également. Et cette liaison particulière se décline naturellement en peinture. En 1905, Charles Mauclair, le fameux critique d’art de l’époque, qualifie Henri Le Sidaner « de peintre intimiste par sa piété naïve dans le dessin », qui privilégie la représentation de la vie d’intérieur et l’existence familière. En peignant leur intérieur domestique et parfois les personnes qui s’y rapportent, ces artistes produisent une peinture d’intimités. Les visages et la psychologie des personnages deviennent le sujet de la toile, les personnalités se dévoilent.

Pour autant, il ne faut pas chercher une unité de style ou un mouvement constitué à l’intimisme pictural. Car chaque artiste développe sa manière de peindre, et seul son goût pour l’intimité du sujet le rapporte au groupe des « peintres intimistes ».

Sur la Côte d’Opale, les artistes de la Belle Époque peignent leur entourage ou leur intérieur domestique par goût ou par nécessité. Peindre sa famille, ses amis, son jardin ou sa pièce à vivre relève d’une certaine facilité dans le choix du sujet. Mais cette peinture intimiste révèle aussi un choix profond de l’artiste qui recherche un lien fort avec son sujet, et qui s’engage à manifester les sentiments qui l’affectent au moment de la création de son œuvre. A côté des modèles anonymes, les regards d’artistes se portent sur la famille et les amis, pour la création de portraits ou de scènes de genre. Ces amitiés d’artistes, qui transparaissent dans ces productions, trouvent leur pleine expression au sein des différentes écoles, de Berck à Wissant, en passant par Étaples.

Chez certains peintres, la famille devient le grand sujet récurrent. Victor Dupont en est l’exemple absolu, lui qui va s’attacher à représenter sa famille dès sa rencontre avec sa future épouse, pour peindre régulièrement ses petit-enfants jusqu’à la fin de sa carrière. Né à Boulogne en 1873, Victor Dupont suit l’école d’art de sa ville puis rejoint l’académie de Lille de Pharaon de Winter (1898). A l’automne 1899, il s’installe avec Fernande Jaspard, sa future femme. Très présent au Salon de la Société des Artistes Indépendants dès 1903, puis au Salon d’Automne dès 1904, il y expose durant toute sa carrière, jusqu’à sa mort en 1941, des paysages, des scènes de genre et des sujets religieux. Réalisé en 1900, le portrait de Fernande au Corsage Rouge, encore académique mais servi par un dessin expressif et une palette puissante, consacre leur idylle naissante (musée départemental de l’Oise, Beauvais). En 1904, l’artiste montre une Maternité au Berceau, où il représente son épouse et leur première fille dans leur chambre. Cette scène très intimiste, dans laquelle Fernande apparaît à la fois en mère aimante et en épouse sensuelle, s’inscrit dans cette longue série de portraits intimistes qui émaille son parcours pictural.

Très attaché à sa famille riche de cinq filles et de deux fils, Victor Dupont aime aussi représenter ses enfants dans des situations familières ou en plein air, dans le jardin de son atelier de la Ruche à Paris, ou en vacances au château de Bidart. Quant à Pierre, son aîné, il se voit souvent accoutré en petit matelot boulonnais. Très religieux, Victor Dupont accorde une grande importance à l’unité familiale, très palpable dans Les Enfants au Chien (1920, musée de Boulogne-sur-Mer) où les deux fillettes posent avec le malinois familial, ou dans Les Enfants au Livre (1924) quand les sœurs se rassemblent pour faire la lecture à la cadette. Avec une nostalgie affective, sa fille Nathalie témoigne que « les séances de pose étaient longues et fastidieuses. Il fallait poser des heures entières sur une chaise ou un banc, à la maison ou au jardin de la Ruche, sans bouger, de peur de se faire houspiller par ce père artiste. Quand on voyait notre père cherchait un nouveau sujet, nous nous cachions pour ne pas voir notre après-midi de jeux compromise…». L’enfant de l’époque ignore les contraintes financières d’un artiste fauché et en peine financière, malgré ses succès aux Salons et aux expositions. Car après la mort de son ami Guillaume Apollinaire (1918) et le retour de la paix, Victor Dupont, gravement blessé, est incapable d’assurer une production d’œuvres suffisante. Il se replie alors sur les fondements de sa vie, sa famille et la religion, et se limite à peindre son entourage. Ainsi, la relation entre le peintre et son modèle devient plus contrainte, une obligation vitale.

Pour Virginie Demont-Breton, le prisme du modèle familial est bien éloigné de celui de Victor Dupont. Née à Courrières en 1859, fille du célèbre peintre Jules Breton, Virginie Demont-Breton est sensibilisée à l’art dès sa tendre jeunesse et montre déjà des capacités importantes. Rencontré dans l’atelier de son oncle, le peintre Émile Breton, elle épouse Adrien Demont en 1879. Le couple a trois filles et fait construire à Wissant le Typhonium, une maison de style égyptisant (1890). Durant sa carrière, Virginie Demont-Breton s’inspire de la vie des pêcheurs et de leur famille : « depuis une vingtaine d’années, je prends tous mes modèles parmi les habitants du petit village maritime de Wissant, où nous travaillons toute l’année, mon mari y trouvant les motifs de ses paysages, et moi les types de personnages que j’aime. Mes modèles d’enfants d’ici sont de petits ébouriffés qui se roulent pieds nus dans le sable et respirent un air pur. Le grand soleil brunit leur chair et pâlit leurs cheveux blonds. Les familles sont nombreuses, étant pauvres. Les nichées de huit à dix enfants ne sont pas rares : les aînés guident les premiers pas des plus petits pendant que le père est en mer ou au champ, et que la mère répare les filets ou prépare la soupe ». En marge des modèles de proximité, la famille apparaît être une ressource évidente et fiable pour cette artiste sensible et sincère : « Il m’est arrivé aussi naturellement de faire poser mes propres enfants quand ils étaient petits ».

Ses deux filles, Louise (1886-1921) et Adrienne (1888-1935), servent de modèles pour plusieurs œuvres emblématiques. Dans son tableau Au Pays Bleu (Salon de 1892), commencé l’année précédente, l’artiste représente Adrienne, alors âgée de quatre ans, s’amusant nue sur l’estran en compagnie de Musette, le setter irlandais de la famille, et d’un petit garçon. Plus tard, Le Colombier d’Isa (Salon de 1896) s’inscrit dans la veine des peintures religieuses et spirituelles. Si la Vierge drapée et son nourrisson évoquent la religion, Virginie Demont-Breton choisit pour décor une ferme wissantaise. Ses deux filles, Louise et Adrienne, alors âgée de dix et huit ans, servent à nouveau de modèles pour réaliser la figure centrale. Peut-être pour valoriser une certaine authenticité et sincérité de son œuvre, Virginie Demont-Breton garde dès lors une envie prononcée de croquer les petits villageois et leurs mères, et semble « épargner » ses filles.

Appréciée au village, elle aime peindre sur le motif et trouve facilement des modèles adaptés à ses œuvres marines. Très indépendante, et désireuse de garder son propre style naturaliste, elle n’est pas influencée par Adrien Demont, son mari, peintre paysagiste. Elle s’amuse à le croquer plusieurs fois en plein travail, notamment sur la plage de Wissant, le 14 août 1883, en compagnie de ses élèves. Cette œuvre de plein air, où la plage devient atelier, évince tout sentimentalisme et rappelle aujourd’hui les liens d’amitiés forts qui unissaient les artistes wissantais. Elle offre parfois aussi des portraits comme Enfant Jouant sur la Plage, figurant Pierre Munié, le neveu de son amie madame Soden (août 1890), s’amusant avec une maquette sur la plage de Wissant.

Autre couple de peintres, Henri et Marie Duhem sont des artistes douaisiens reconnus. Avocat, Henri Duhem rencontre Marie Sergeant chez Virginie Demont-Breton, à Wissant en 1889, et l’épouse en 1890. Ils ont un fils, Rémy, l’année suivante. Les deux artistes sont fusionnels et aiment se représenter, en train de peindre ou simplement dans des scènes quotidiennes. Le musée de la Chartreuse à Douai conserve ces traces picturales d’un époux aimant qui trouve son inspiration chez son double artiste. Marie Duhem peignant (1893) et Portrait de Marie Duhem (1898) sont autant de témoignages de l’amour d’Henri Duhem porté envers sa femme. En août 1889, Virginie Demont-Breton saisit Marie Duhem Peignant, installé dans un vieux flobart (musée de la Chartreuse à Douai). Ce portrait, charmant, révèle la tendresse qui unit ces deux artistes femmes, engagées, qui s’imposent dans un monde de l’art encore largement dominé par les hommes. L’artiste offre le tableau en 1925 à Henri Duhem, qui a perdu son fils et sa femme dans des conditions dramatiques. En effet, Rémy meurt au combat en juin 1915 et, Marie, qui ne s’en remet pas, décède de chagrin en juillet 1918.

Fernand Stiévenart (1862-1922) et sa femme Juliette de Reul sont deux artistes au destin plus heureux. Installés dans leur villa Sainte-Marie des Fleurs à Wissant (1895), ils suivent les conseils d’Adrien Demont avant de s’émanciper. Très proche du couple Demont-Breton, leur fortune personnelle ne les oblige pas à produire beaucoup. C’est un peu en dilettante, mais nanti d’un grand talent, que Fernand aime représenter son épouse au milieu des fleurs, dans la campagne wissantaise, ou dans son intérieur bourgeois. Il laisse de nombreuses pochades aux accents fauves, notamment Femme dans le Champ de Fleurs. Paysagiste dans l’âme, l’auteur y voit un prétexte pour célébrer l’amour de sa vie, servie dans une nature éclatante. Au contraire, Juliette de Reul reste en retrait de son mari et se contente de peindre des natures mortes et des paysages fleuris. On ne lui connaît pas d’œuvres familiales, malgré la naissance de son fils unique, Emmanuel, en 1901.

La relation d’amitié forte qui lie le couple Demont-Breton et Édouard Houssin se retrouve également dans la production du statuaire. Né en 1847 à Douai, Édouard Houssin suit l’École des Beaux-Arts de sa ville natale puis rejoint Paris. En 1868, il propose son premier buste au Salon de Douai. En 1890, il découvre Wissant avec Virginie et Adrien Demont. Charmé par le village, il y achète une petite ferme en août 1892 pour y installer son atelier, actif jusqu’à sa mort en 1919. La variété de son œuvre répond aux commandes officielles, qui réclament allégories et grandes sculptures. Professeur de modelage à l’École de Sèvres dès 1894, il pratique les moulages en plâtre, le biscuit et le bronze, ainsi que la taille sur pierre. En marge des sujets wissantais et maritimes, Édouard Houssin se plait à immortaliser ses amis et leur famille. Ainsi, il réalise une série de bustes figurant Virginie et Adrien Demont (1888), leurs filles Louise et Adrienne (1892), Jules Breton, le père de Virginie (1893, buste visible au musée de Douai), et enfin Éliane, la dernière fille du couple (1908). Virginie et Adrien Demont sont ravis des bustes « de Louise et d’Adrienne [qui] ont été édités avec notre autorisation par la manufacture de Sèvres en grandeur nature et en réduction ». Cette amitié privilégiée transparaît encore dans la dénomination, presque tendre, des bustes des fillettes « désignés au catalogue de Sèvres sous ce titre : les enfants de Houssin ». Cette histoire d’amitié est consacrée en 1904 par Virginie Demont-Breton, qui réalise un charmant portrait d’Édouard Houssin junior, alors âgé de quatre ans : « les parents en sont très contents ».

Quand certains artistes peignent souvent leur famille, d’autres se font plus discrets. Issu du courant naturaliste, Francis Tattegrain (1852-1915) représente souvent les paysages maritimes. Sa rencontre avec le baron Lepic en 1876 l’encourage dans son effort à croquer la vie maritime locale, travaux qu’il présente au Salon dès 1879. Les scènes historiques, les naufrages et le peuple de la mer illustrent son œuvre riche et abouti, essentiellement d’inspiration berckoise. Peints entre 1891 et 1914, les résidents de l’ancien asile maritime témoignent de son grand talent à saisir la psychologie du sujet. A contrario, dans Portrait de la femme du peintre et de son fils, réalisé en 1884 (musée de Berck-sur-mer), Francis Tattegrain aborde un sujet beaucoup plus intimiste. A la manière des Impressionnistes, il croque son épouse en compagnie de Robert, son tout jeune fils, tous deux installés sur un bateau berckois. L’élégante raffinée et le bambin emmailloté dans sa crinoline rappellent la Belle Époque et son insouciance oisive, et tranchent volontairement avec le décor maritime laborieux, aux tons plus monotones. Dans cette scène atypique, Francis Tattegrain fige un instant de bonheur familial sublimé, empli de tendresse et de délicatesse, où la beauté de ses êtres chers rivalise avec l’éclat naturel du lieu (musée de Berck-sur-Mer).

Dans un style naturaliste ou inscrits dans la mouvance postimpressionniste, les artistes de la Côte d’Opale aiment poser leur regard attendri sur leur famille et leurs amis. Pourtant cette intimité authentique semble noyée dans leurs productions plus commerciales de paysages maritimes, de portraits de pêcheurs et de scènes de genre. Les rares œuvres racontant leur vie familiale demeurent pourtant des éléments indispensables pour connaître et cerner leurs véritables sentiments.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Eugène Blot (1830-1899) – statuaire boulonnais

Dès le milieu du 19ème siècle et jusqu’à la Première guerre mondiale, le littoral boulonnais reçoit une foule nouvelle d’excursionnistes, anglais ou français, aristocrates ou bourgeois, venus chercher un dépaysement balnéaire. En marge de ce tourisme naissant, se développe la vente de souvenirs de bord de mer. Outre la colonie de peintres qui parcourt l’estran à la recherche de pêcheurs à « croquer », à l’instar de George Ricard-Cordingley (Wimereux) ou de Virginie Demont-Breton (Wissant), d’autres artistes s’inspirent du monde maritime. Dans ce contexte, un homme va se spécialiser dans la production de petites statuettes en terre cuite. Eugène Blot, qui s’installe à Boulogne dès 1854, y produit des sujets attachants, d’une très belle qualité, destinés aux touristes.

La famille Blot est originaire de Marconnelle, près d’Hesdin, où le père d’Eugène est fabricant de pannes et de tuiles. Quelques années plus tard, la famille s’établit à Grandvilliers dans l’Oise, où né le 14 novembre 1830 Eugène Blot. Prédestiné à reprendre la fabrique de son père, Eugène est attiré dès sa plus jeune enfance par la terre, facile à manier, façonner, à rendre vivante. Son père l’encourage dans cette vocation. Dès 1842, Eugène suit des cours de dessin dans un collège à Dieppe. C’est dans cette ville qu’il rencontre Marie-Anne Thierry, qu’il épouse et qui lui donne un premier fils, Félix, en 1854.

A la même époque, Eugène abandonne l’atelier paternel et devient débardeur de charbon sur les navires amarrés dans le port de Dieppe, où il y côtoie les ouvriers et le monde maritime. Pourtant ingrate, cette fonction lui fournit de nombreux premiers modèles qu’il façonne le soir en revenant du travail. A la suite de cette expérience ouvrière, il enchaîne plusieurs professions, dont contremaître, qui n’ont d’intérêts pour lui que le salaire. Puis, il quitte Dieppe et fait une rencontre déterminante pour sa carrière. Dans ses mémoires, Eugène raconte : « M. le comte de Coët-Logon m’a commandé son portrait et diverses statuettes qu’il m’a payés largement. J’ai fait un groupe qui a été mis en loterie et gagné par l’archevêque de Rouen. Plusieurs autres personnages hauts placés m’ont acheté d’autres pièces, en applaudissant à mes efforts laborieux ». Ces premières commandes jettent les bases de son commerce, qui va prendre son ampleur à Boulogne-sur-Mer.

En 1855, Eugène Blot s’installe à Boulogne, rue Royale, puis rue Thurot, et enfin rue de l’Écu (rue Napoléon) en 1860. Dans son atelier, il sculpte dans la terre cuite des sujets maritimes, puisés au fil de ses rencontres lors de ses promenades sur le port ou l’estran boulonnais. Marins, pêcheurs, matelotes et autres ramendeurs de filets deviennent prépondérants dans sa création artistique. La technique est connue et immuable pour créer ses sujets.

Le Journal de l’Académie Nationale de juin 1860 relate parfaitement la technique et les résultats de la fabrique Blot : « M. Blot soumet à l’appréciation du Comité quelques statuettes en terre cuite représentant les pêcheurs du littoral boulonnais. Le comité constate la parfaite exécution, et la touche pleine de finesse, d’art et de vérité de ces charmantes statuettes. Les groupes sont d’une animation saisissante, et les individus isolés ont tous une pose et une attitude qui frappent par le naturel et l’exactitude du type de la belle population maritime de Boulogne. M. Blot fait suivre son envoi de quelques détails plein d’intérêts sur la manière dont il prépare la terre, qui est extraite des falaises boulonnaises, et cuit ses statuettes. Deux tiers de terre glaise et un tiers d’argile manipulés, bien mélangés, forment la matière première de ce travail. Pour modeler cette terre, M. Blot se sert de régulateurs en terre cuite de son invention. Il est proscrit l’emploi du fil de fer. Quand les objets modelés sont secs, il les place dans un four disposé exprès pour les recevoir, et dans lequel il fait du feu pendant vingt-quatre heures. Le feu est conduit graduellement jusqu’à ce que la flamme sorte blanche du milieu des objets. Alors M. Blot ferme le four hermétiquement et ne donne de l’air que le lendemain. Cet air doit être donné peu à peu, et avec une grande précaution. Grâce à ces soins, les objets modelés résistent à l’ai aussi bien que la terre la plus dure. »

Les années passant, Eugène Blot connaît une belle notoriété et les commandes affluent, pour preuve ce courrier en date du 3 janvier 1863. L’artiste écrit au maire de Boulogne : « J’ai l’honneur de soumettre à votre approbation l’envoi au musée de notre ville les portraits en bustes dont voici les noms : MM. Menche de Loisne, d’Hauttefeuille, Mariette, Adam, Alexandre, Demarle, docteur Cazin. Si monsieur le Maire, vous daignez accepter mon initiative, je me propose pour l’avenir dans l’intérêt de l’illustration boulonnaise, de rechercher et reproduire afin de pouvoir être conservés les traits des honorables personnes, qui se sont plus ou moins rendues utiles à notre cité. » Tous ces bustes, saisissants de finesse et de réalisme, sont conservés au château-musée de Boulogne.

En 1865, Eugène participe à l’exposition philomathique (scientifique et artistique) de Bordeaux. L’année suivante, il figure à celle de Dublin. En 1867, il montre à l’Exposition Universelle de la pêche à Boulogne une large panoplie de sa production : figurines, groupes de personnages, bustes, pipes à têtes de matelots, coquillages ouvragés et pots à tabac. Malgré tous ces honneurs, Eugène Blot n’est jamais admis au Salon des Artistes français, véritable reconnaissance artistique, ce qui l’attriste toute sa vie durant. On lui reproche de trop favoriser le détail des costumes au détriment de l’expression des visages, et de s’inscrire dans un misérabilisme et une théâtralité trop prononcés.

A partir de 1870, Eugène Blot se désinvestit de son travail et laisse la fabrique à ses trois fils Félix, Achille et Ernest. Achille est le seul à créer de nouveaux modèles et à atteindre un bon niveau artistique, les deux autres enfants ne produisant que des modèles moulés de moindre qualité. Eugène Blot quitte Boulogne en 1893 pour l’Oise, où il meurt en 1899 à l’âge de 69 ans.

Aujourd’hui, on peut encore ainsi admirer des pêcheuses de crevettes, des marchandes de poissons, des pêcheurs en cuissardes, ou des matelotes arborant fièrement leur soleil boulonnais. Les œuvres les plus caractéristiques d’Eugène Blot sont de petites sculptures, hautes de 15 à 30 cm, en terre cuite rougeâtre, allant souvent par paire (Couple de Boulonnais, Marin et Pêcheuse de crevettes, …). La physionomie des personnages est rendue avec habileté et le costume est restitué avec un souci scrupuleux des détails et des accessoires. Malgré la simplicité du matériau de base, la qualité de la réalisation dépasse de loin la notion de simple souvenir ou de document anecdotique. En témoignent d’ailleurs des pièces plus importantes, composées de nombreux personnages, véritables scènes de genre d’une grande valeur artistique. Plus rarement, l’artiste a laissé des bustes de pêcheurs ou de matelotes, d’un coût plus accessible à l’époque pour le touriste.

Durant ses vingt années d’activité artistique, Eugène Blot a dispersé à travers les touristes un témoignage révolu de la vie maritime boulonnaise. Son art s’inscrit dans le courant réaliste de la grande sculpture du milieu du 19ème siècle, et témoigne d’un climat artistique porté sur les scènes typiques et les personnages pittoresques. La participation de Pierre Graillon et de Victor Fourdrin, autres artistes reconnus, et d’Eugène Blot aux grandes expositions universelles, régionales, générales ou maritimes, de la seconde moitié du 19ème siècle, est un des facteurs principaux de diffusion et de succès de cette forme d’art. A l’instar de la peinture, Eugène Blot a eu une approche similaire, très naturaliste, en composant des tranches de vie du peuple de la mer.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Virginie Demont-Breton (1859-1935) – Wissant, ses marins et sa plage

Virginie Demont-Breton est née le 26 juillet 1859 à Courrières en Artois. Son père, le peintre Jules Breton (1827-1906) avait épousé en 1858 Élodie de Vigne, fille du maître gantois Félix de Vigne (1806-1862). Sa vie d’enfant et d’adolescente à Courrières est simple et rustique, mais ouverte de façon permanente à l’art et à la littérature. Ses dons artistiques précoces se développent dans une tradition mi-académique, mi-naturaliste, sous la direction de son père qui l’incite à privilégier des études d’après nature, afin de développer observation et imagination.

En 1880, elle épouse le peintre paysagiste Adrien Demont (1851-1928), et ensemble ils ont trois filles : Louise, Adrienne et Éliane. Les Demont-Breton s’installent à Montgeron, mais découvrent en 1881 le charmant village côtier de Wissant, situé entre les caps Blanc-Nez et Gris-Nez. Ils y séjournent souvent avant de s’y établir définitivement. En 1891, ils y font construire leur villa-atelier, le Typhonium, un bâtiment dans un style égyptisant étonnant conçu par Edmond de Vigne.

Virginie Demont-Breton s’épanouit dans l’exercice de son art, comme dans sa vie d’épouse et de mère. Sa carrière artistique est précoce. Elle expose à Paris dès 1879 et obtient une médaille d’or à l’Exposition Universelle d’Amsterdam de 1883. Hors-concours dès le Salon de 1883 avec La Plage (acheté par l’État pour le Luxembourg, en dépôt au musée d’Arras), ce brillant début de carrière se confirme rapidement en France et aux États-Unis, autour des thèmes de la famille et de ses figures privilégiées : la femme et l’enfant. La découverte de la baie de Wissant, puis l’installation définitive au Typhonium, leur demeure construite à « l’égyptienne » au-dessus du village avec l’aide de l’architecte belge Edmond de Vigne, amène la jeune femme à se consacrer à la représentation de la vie quotidienne des pêcheurs : Les Loups de mer (1885, musée de Gand), Hommes de mer (1898, musée de Picardie à Amiens). Elle observe les futurs mousses aux prises avec la mer (La Trempée, 1892 – A l’Eau, 1897, musée de Gand). Bouleversée par les drames que la mer suscite, elle peint l’attente angoissée de l’épouse dont L’Homme est en mer (1889), copié par Van Gogh, et le deuil inéluctable pour Les Tourmentés (1905, Palais des Beaux-Arts de Lille).

La production artistique de Virginie Demont-Breton s’articule principalement autour des thèmes liés à la vie quotidienne des habitants de la mer dans la baie de Wissant. Son premier grand succès au salon de 1883, La Plage (actuellement exposé au musée des Beaux-Arts d’Arras après avoir été déposé au musée d’Orsay), témoigne de son intérêt pour la représentation de l’enfance et de la maternité. Elle a également excellé dans la peinture d’histoire, comme en témoigne Jean-Bart exposé au Salon de 1894 (musée des Beaux-Arts de Dunkerque, détruit pendant la Seconde Guerre mondiale), ou Ismaël présenté en 1896 (musée de Boulogne-sur-Mer).

Touchée par la dure vie des pêcheurs du Nord, Virginie Demont-Breton a consacré plusieurs de ses tableaux aux épisodes dramatiques de la vie maritime. C’est notamment le cas des Tourmentés (1905) actuellement (musée des Beaux-Arts d’Arras), un grand tableau qui dépeint de manière saisissante le chœur tragique des femmes de marins surplombant les corps sans vie de pêcheurs naufragés.

A partir des années 1890, au culte du héros (Jean Bart, 1894, acquis par le musée de Dunkerque, détruit pendant la Seconde guerre mondiale), s’ajoute une certaine veine mystique assez caractéristique d’une peinture mi-naturaliste, mi-symboliste de la fin du siècle. Enfin, la présence permanente de la mer, en toutes circonstances et dans la grande diversité de sa palette, habite sa peinture. De jeunes peintres, séduits également par le site et ses habitants, ne tarderont pas à rejoindre Virginie Demont-Breton et son époux, et développeront leur propre talent sous leur égide très ouverte : c’est le groupe de Wissant ou École de Wissant (Félix Planquette, Fernand Stievenart, Valentine Pèpe, le couple Henri et Marie Duhem).

Un désir profond de voir les femmes se réaliser à part entière dans leur carrière artistique a incité Virginie à rejoindre L’Union des Femmes peintres et sculpteurs (1883). Sous sa présidence (1895-1901), et conjointement avec Madame Léon Bertaux, elle obtient de Jules Ferry l’entrée officielle des femmes à l’École des Beaux-Arts et le droit de concourir elles-aussi pour le Prix de Rome. En 1894, l’artiste reçoit la Légion d’honneur au grade de chevalier, puis d’officier en 1914. En 1896, elle est nommée Rosati d’honneur.

Malgré une vie demeurée quotidienne à Wissant, c’est à Paris qu’elle meurt le 10 janvier 1935.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Georges Ricard-Cordingley (1873-1939) – le poète des ciels boulonnais

Pour exprimer un sentiment, dans toute son efficacité, le peintre doit s’appuyer sur la vérité absolue, sur la réalité qui a été celle même, pour tous, le point de départ de votre émotion. Après avoir analysé, cherché l’émotion dans l’illimité du rêve et de la pensée, pour la communiquer à d’autres, il faut se servir d’un réalisme, d’une exactitude aussi rigoureuse que possible.” A travers ces pensées, Georges Ricard-Cordingley résume parfaitement la vision qui va animer son art, toute sa vie durant. Originaire de Lyon, aux racines anglaises, l’artiste parcourt le Boulonnais dès les années 1890 pour y peindre des scènes maritimes et des paysages, à l’instar de ses prédécesseurs célèbres. Pourtant, par sa gamme empruntée de couleurs douces, aux effets de lumière éblouissants, et par son investissement à vouloir apprendre aux côtés des gens de mer, Georges Ricard-Cordingley laisse un travail unique et inégalable. Voyageur invétéré, à la recherche constante d’inspirations nouvelles, l’artiste évolue aussi bien dans la société mondaine de la Côte d’Azur, qu’au milieu de rudes marins partis en mer sur un morutier.

Georges Ricard-Cordingley est né le 30 janvier 1873 à Lyon. Son père Prosper est un négociant en soieries, quand sa mère Giorgiana est d’origine anglaise. Malheureusement, son père meurt brutalement en 1875, laissant sa mère sans ressources pour élever Georges et Albert, son frère aîné. Elle donne alors des cours de piano et d’anglais, et s’adonne à la peinture pour pouvoir subvenir aux besoins de la petite famille. La situation s’avère difficile, mais Giorgiana reçoit l’aide de ses deux sœurs établies à Boulogne, qu’elle visite régulièrement. Déjà, depuis ses huit ans, Georges Ricard-Cordingley croque son environnement, peint la rue et ses ciels avec envie. En 1887 à Equihen, il rencontre Jean-Charles Cazin (1841-1901) lors d’une visite impromptue à sa maison-atelier, accrochée à la falaise, face à la mer. L’année suivante, il entre à l’Ecole des Beaux-arts de Lyon qu’il fréquente de 1888 à 1889. C’est à cette époque qu’il côtoie à Grenoble le grand peintre Johan Jongkind (1819-1891), précurseur de l’Impressionnisme, qui a influencé plus tôt Eugène Boudin et Claude Monet. Élève d’Isabey, Jongkind peint dès les années 1850 les ports de Normandie et de Bretagne en compagnie de Corot, Sisley et Courbet. Il travaille par croquis qu’il retranscrit, en atelier, en huile sur la toile, traités dans des tons sourds et francs. Peu d’éléments sur ces entrevues exceptionnelles, mais on imagine que le jeune artiste a dû recevoir avec intelligence les conseils avisés du vieux maître. Ses représentations de la mer, de ses ports et de ses ciels lumineux trouvent ici probablement une certaine genèse. L’année suivante, Georges part à Paris suivre les cours des maîtres classiques de l’époque, Benjamin Constant, Jules Lefèvre et Louis Martinet à l’Académie Julian.

A peine âgé de dix-sept ans, Georges Ricard-Cordingley montre ses œuvres pour la première fois à l’Exposition de Beaux-arts de Boulogne, qui se déroule du 15 août au 15 septembre 1890. Cette précocité exceptionnelle rappelle celle de Virginie Demont-Breton (1859-1935), présente très jeune dans les Salons grâce à son talent et au soutien de son père Jules Breton. L’installation a lieu au casino de la ville, où sont rassemblées 558 œuvres, peintures, aquarelles et sculptures. Les artistes sont principalement régionalistes, à l’instar de Georges Maroniez, Gustave Mascart, Fernand Quignon, Henri Le Sidaner et Francis Tattegrain, certains encore peu connus, les professeurs de l’école municipale, et enfin quelques grands noms de paysagistes comme Emile Dardoize, Henri-Camille Delpy et Georges Laugée. Lors de cette manifestation, Georges Ricard-Cordingley, probablement recommandé par Jean-Charles Cazin, dévoile deux petites marines. Il y rencontre aussi un autre exposant, l’illustrateur André des Gachons (1871-1951), avec lequel il travaillera plus tard.

L’année suivante, Georges Ricard-Cordingley récidive. Lors de la 32ème Exposition municipale des Beaux-arts de Rouen, du 1er octobre au 30 novembre 1891, il présente une marine et un coucher de soleil sur la mer. En février 1892, grâce au soutien du peintre Louis Martinet (1814-1894), le jeune artiste accroche ses œuvres au “Cercle central des lettres et des arts”, rue Vivienne à Paris. Les critiques sont dithyrambiques : “Monsieur Georges Ricard-Cordingley aime la mer et les marins, et traduit l’une et les autres avec une très rare justesse de vision et un sentiment naturel de la couleur de ses harmonies.  S’il a de la vigueur et de la rudesse, pour peindre un vieux loup de mer, il a d’exquises délicatesses et une poésie pénétrante pour décrire les calmes plats sur l’océan, et les plages où sous l’eau transparente ondule le galet poli. Sur l’infini profond il dessine parfois la mâture d’un bateau, avec des voiles déployées et brillantes comme des ailes de goéland, et c’est une impression vraiment remarquable. Je le répète, le nom du jeune inconnu Ricard-Cordingley, il faut le retenir, il y a là des promesses qui ne trompent pas.” (Journal “Le Soir”). Il y expose en compagnie d’André des Gachons (1871-1951), peintre décoratif et illustrateur, le “mystique bizarre et naïf, l’enlumineur merveilleux des légendes et des missels”, soutenu lui aussi par Martinet. Cette amitié, née à Boulogne en 1890, donne lieu à une collaboration avec son frère Jacques des Gachons (1868-1945), auteur de romans populaires. Avec d’autres artistes, Georges Ricard-Cordingley illustre “L’Album des Légendes”, un recueil de nouvelles publié de 1892 à 1894. Dans cette série, aux côtés de poètes et d’écrivains, le jeune artiste produit notamment un joli dessin aquarellé pour “L’Annuelle Nuit du Mousse”, figurant un bateau fuyant dans le soir, traité de manière symboliste. “Le plus enfiévré poète des vagues, des tempêtes et des temps calmes” assoit sa notoriété à travers ces publications populaires.

La même année, il est invité, par la “Royal National Mission to Deep Sea Fishermen”, à embarquer sur un navire à destination du Dogger Bank. Fondée en 1881 au Royaume-Uni et toujours en activité aujourd’hui, cette société de sauvetage en mer assiste les marins en perdition en leur apportant vivres et soins. Durant quelques semaines, l’artiste navigue au milieu des mers, accompagnant de solides marins, dans des conditions de navigation difficiles. Ce premier voyage au long cours le passionne et le conforte dans son envie d’explorer le monde. Il en rapporte trente-cinq études réalisées à bord. La mer du Nord a conquis l’homme, les vagues et les nuages l’inspirent déjà fortement. C’est alors que Giorgina décède, encore jeune, et Georges Ricard-Cordingley n’est alors âgé que de 19 ans. Admiratif de sa mère, qui lui a donné une bonne éducation bourgeoise, il en demeure très affecté.

Cette année très riche en événements, heureux et malheureux, s’achève par un triomphe. Grâce à son oncle Sir Lancet Francisque, et à son ami le général Henry de Ponsonby (1825-1895), secrétaire privé de la reine, il est présenté à Victoria le samedi 29 octobre 1892 au château de Balmoral. Bien qu’il soit encore peu connu, “sa Majesté a examiné les œuvres du jeune artiste avec le plus grand intérêt”. Quelques jours plus tard, il reçoit une commande de la souveraine qui “a vu vos tableaux avec infiniment de plaisir. […] Sa Majesté a choisi trois de vos marines”, disposées aujourd’hui dans la résidence royale à Osborne. De taille moyenne (40cm x 50cm), les tableaux vendus représentent deux vues de bateaux au soleil couchant, et une composition de la tombe d’Alfred Tennyson (1809-1892), poète admiré par le monarque. A la suite de cette transaction prestigieuse, relayée abondamment par la presse, l’aristocratie et la bourgeoisie anglaises passent de nombreuses commandes à Georges Ricard-Cordingley, qui commence à se sentir à l’étroit dans cet art devenu trop commercial.

Ce succès outre-Manche lui permet de présenter sa première œuvre au Salon de la Société Nationale des Beaux-arts, plus accessible et libre que le Salon des Artistes français. En 1893, il y accroche “Soleil couchant dans les mers du Nord, qui tient tout ce que promettait, l’autre année, son exposition particulière” (“Journal des Artistes”). Il loge alors au 182 boulevard Saint-Germain-des-Prés à Paris. Il récidive plus tard en 1908 en y envoyant “Nuit à Cancale”. Ce sont ses deux seules participations aux salons parisiens, l’artiste préférant exposer dans les manifestations provinciales et dans des galeries privées. Dans cette ambiance mondaine de la Belle Époque, l’artiste évolue avec aisance dans le milieu parisien. Il montre son travail en février 1894 à la Galerie de la Bodinière. Très subtiles et colorées, ses marines enthousiasment la critique et le public : “Avec simplicité, Georges Ricard-Cordingley dit les premières émotions éprouvées à Boulogne-sur-Mer et qu’il a retracées plus tard, par exemple en son Port de Boulogne la Nuit, dans ses études de ciel, où l’orage est en menace parmi l’or diffus du soleil, consignées aussi dans cette plage nue et déserte, dans ces coins de Boulogne où se laisse pressentir un peintre plus attendri, plus étreint d’intime anxiété.” (“Journal des Artistes”). Alexandre Dumas et le romancier Jules Claretie, cousin du peintre Jules Dupré, deviennent ses clients fidèles. Les frères Coquelin, fameux acteurs d’origine boulonnaise, soutiennent l’artiste devenu ami en lui achetant un tableau intitulé “Pleine Mer”.

En 1896, la Société des Œuvres de Mer l’invite sur un navire-hôpital à destination de Terre-Neuve, le “Saint-Pierre”, un trois-mâts goélette de 37 mètres de long. Cette mission doit assister les pêcheurs malades et les morutiers en difficulté. Le 21 avril, le bateau quitte Saint-Malo avec quinze hommes d’équipage. Durant la traversée, Georges Ricard-Cordingley vit à bord comme les marins dans des conditions très rudes. Il réussit néanmoins à produire une trentaine de pochades. Après six semaines de navigation, le “Saint-Pierre” touche le Cap Sainte-Marie sur la côte sud de Terre-Neuve. Mais, le 30 mai, la coque s’éventre sur un rocher au pied des falaises. Malgré la panique, l’artiste parvient pourtant à sauver sa boîte de dessins avant de sauter dans le canot de sauvetage. Dans un grand fracas, le navire sombre totalement. Ces croquis sont encore aujourd’hui une source intéressante de la vie à bord des navires du Grand Nord à la fin du 19ème siècle. L’artiste en tire également deux œuvres importantes, montrant le naufrage et l’évacuation de l’équipage à bord des canots de sauvetage, diffusées en pleine page dans la revue “L’Univers illustré” du 2 janvier 1897.

Pris dans ce tourbillon de succès et de reconnaissance, accaparé par une production quelque peu mercantile, Georges Ricard-Cordingley décide de prendre du recul. En 1901, il s’installe à Boulogne, au 15 rue Basse des Tintelleries. Son atelier est “un petit appartement, constitué d’un salon aux tentures raffinées, avec des meubles en chêne, baignant dans une lumière douce”. A partir de ses croquis de voyage, il peint des huiles sur toile. Des mouettes en plâtre, suspendues au plafond par des fils de fer, agrémentent l’ambiance quelque peu insolite du lieu. A l’époque, même s’il répond encore aux commandes de portraits de la Gentry anglaise, il s’en détache peu à peu. Ses envies de voyage l’assiègent. Entre deux pérégrinations, l’artiste continue à exposer, essentiellement dans des galeries parisiennes et à Londres. Il trouve son inspiration à Boulogne où il croque des vues portuaires dans des tons suaves et saturés. Il figure à l’Exposition internationale des Beaux-arts de Boulogne, qui se déroule du 18 juillet au 15 septembre 1901, quai Gambetta, dans les nouveaux locaux de la Chambre de Commerce. Près de 600 œuvres sont exposées au public, essentiellement dans la “section internationale”, le reste dans la “section boulonnaise” et la “section école de dessin de Boulogne-sur-Mer”, qui rassemble les travaux des élèves primés. Aux côtés de ses amis artistes, Adrien et Virginie Demont-Breton, les Duhem, Victor Dupont, Francis Tattegrain, Fernand Stiévenart … l’artiste présente deux études de marine “où nous retrouvons les grandes qualités du jeune maître, sa sincérité profonde, sa vision nette, la vérité de sa couleur et l’habileté de son pinceau” (“France du Nord”).

Bien reconnaissable, son style est une élégie picturale au service de l’élément marin. Ses vues de la ville de Boulogne prises depuis l’entrée du port, notamment “Le Port de Boulogne” (1899), “L’Église Saint-Pierre” (1903), “Les Jetées au Crépuscule” (1907) ou encore “Coucher de Soleil à Boulogne” (1909), connaissent un grand succès. Victimes des aléas de la guerre et des dispersions, nombre de ces œuvres ont aujourd’hui disparu. Elles restent connues aujourd’hui grâce à leur diffusion sous forme de cartes postales colorisées, par la société anglaise Raphael Tuck and Sons, à partir de 1903 jusqu’années 1920. C’est à cette époque que l’artiste reçoit la commande de décorer les salles du Casino de Wimereux. Achevé en 1903, le bâtiment a fière allure. De grands panneaux décoratifs créés par l’artiste ornent le grand salon des jeux, jusqu’à sa destruction pendant la Seconde guerre mondiale. Dans les années 1904-1908, Georges Ricard-Cordingley continue à peindre dans cette même veine, faisant quelques passages en Bretagne (Cancale) et en Normandie (Deauville). Le musée de Philadelphie acquiert “La Nuit, Cancale” en 1908.

Durant l’été 1906, l’artiste s’installe à Equihen, dans la villa L’Épave, plus proche encore de la mer et de la mémoire de Jean-Charles Cazin. Il y pratique dans ses temps libres quelques sorties en aéroplane, l’ancêtre du char à voile. En parcourant la Côte d’Opale, de Berck à Boulogne, en passant par Etaples, muni de sa palette et de sa boîte de couleurs, l’artiste produit beaucoup. Il livre de nombreuses vues portuaires, des retours de pêche avec leurs navires échoués sur l’estran, ainsi que des portraits de marins et de leurs familles, toutefois plus rares dans son œuvre. Doté d’un appareil photo portatif, l’artiste immortalise ses futurs sujets, des matelotes à l’ouvrage, des fillettes et des “margats” laborieux, toujours saisis avec sincérité et émotion. Ces clichés intimistes et ses nombreux carnets de dessins, pris sur le vif, nourrissent sa créativité et sa production artistiques en atelier. Dans ses croquis, l’usage du fusain s’impose pour retranscrire et animer les coups de vent, les vagues déchaînées et les bateaux bousculés par les flots démontés. Puis, paisiblement, quelques traits de couleurs crues s’installent sur le gris épais du crayon et subliment la scène par une lumière coruscante. Pierre Miquel parle alors du “Peintre des gris colorés”.

Après cette pause, Georges Ricard-Cordingley reprend ses voyages au long cours. En 1909, il rejoint l’Australie en passant par la mer Rouge, Djibouti et Singapour. A Sydney, il est reçu par le président du Sénat, puis passe à Melbourne. Il laisse sur place de nombreuses œuvres, notamment une vue du “Port de Sydney” acquise par l’État australien. L’année suivante, il expose à nouveau à Sydney à la Galerie de Castlereagh Street. A son retour en France, sa vie prend un nouveau tournant. A l’été 1911, il rencontre sur la plage de Saint-Tropez Suzanne Giraud-Teulon, fille de l’helléniste Albert Giraud-Teulon (1839-1916). C’est le coup de foudre. Après trois mois de fiançailles, le mariage est célébré le 16 septembre 1911 à Genève. Le 13 mai 1913, le foyer accueille la naissance d’une première fille, Eliane. L’artiste part alors vivre quelques mois à La Rochelle, auprès de sa belle-famille, et peint avec enthousiasme la cité et son port dans des tons toujours lumineux.

La guerre 14-18 interrompt brutalement la carrière de l’artiste qui, de santé fragile, se retrouve brancardier à Lyon. A l’écart du front, il y croque à l’envi son entourage et profite de sa belle-famille. Au retour de la paix, Georges Ricard-Cordingley accueille la naissance de son fils, Louis, né à Lyon en novembre 1918. Quelques mois après, il achète à Boulogne une grande maison au 144 boulevard Sainte-Beuve, face à la mer. La Villa René devient le lieu de résidence estival, quand la famille passe le reste de l’année à Neuilly-sur-Seine, pour la scolarité des enfants. Durant l’été 1919, il embarque sur le navire d’un certain Gobert, un patron de pêche de Le Portel. Le marin l’emmène au large “pour observer les bateaux plus entièrement, penser à la qualité du ton et ne pas dévier de l’ensemble.” Il lui prodigue même des conseils ! Un “Lever de Lune à Etaples” inspire cette pensée à l’artiste : “La lumière de la lune, influençant moins le ciel, laisse à celui-ci plus d’expression et d’immensité mystérieuse, faiblesse facile n’étant qu’un à peu près. […] Le rayonnement faible de la lune permet de retrouver la profondeur bleue et mauve du lointain.” En 1920, il s’installe quelques mois à Cannes sur la Croisette à la Villa des Enfants (aujourd’hui l’hôtel Majestic), et y donne quelques cours de peinture, les mercredis et jeudis, au 7 rue Châteaudun. Les finances sont favorables et lui permettent de côtoyer la bourgeoisie, friande de ses œuvres. En 1924, sa femme Suzanne donne naissance à une seconde fille, Gabrielle. La famille est au complet.

Puis, les voyages reprennent, s’enchaînent, avec Chypre, Malte, les Canaries et le Portugal (1925), puis le Maroc (1927 à 1934), le Lac Majeur (1928), le Pays basque et la Mer du Nord (1930). Trois années durant, de 1929 à 1931, le fruit de ces pérégrinations est exposé à la célèbre Galerie Georges Petit, rue de Sèze à Paris, des huiles et des aquarelles qui plaisent toujours autant. En mars 1935, ses œuvres sont montrées au Maroc, où l’artiste a su croquer des scènes et des personnages, saisissant parfaitement la lumière colorée et éblouissante de l’endroit. La Maison des Arts à Casablanca et le pavillon officiel de la Mamounia à Marrakech sont les écrins de son art. Le 2 décembre 1935, a lieu le vernissage d’une rétrospective à la galerie Borghèse, sur les Champs-Elysées à Paris. Devenu “peintre dandy” malgré lui, l’artiste s’installe à Mougins dès 1936 à la Maison Rose, une villa cossue, puis au Bois des Roches, et enfin à la villa Eden Parc au Cannet en 1938. Malgré la maladie de Suzanne, atteinte de sclérose en plaques, la vie familiale est douce et bourgeoise, retranscrite à travers les nombreux clichés que le couple prend pour illustrer ces moments heureux. En 1937, la Galerie Mona Lisa à Paris est la dernière à montrer son œuvre.

En janvier 1939, le peintre est toujours fidèle à l’Association des Beaux-Arts de Cannes et renouvelle sa cotisation en vue de nouvelles expositions. Mais, peu de temps après, Georges Ricard-Cordingley meurt subitement le 25 avril 1939 à Cannes d’une congestion cérébrale. Il se verra épargner les ravages de la guerre, la destruction de sa maison-atelier à Boulogne, la mort en 1942 de son fils Louis, engagé dans les Forces aériennes françaises libres, et enfin la disparition brutale de sa fille Eliane en 1945. Seule rescapée de ces années dramatiques, sa dernière fille Gabrielle leur survit jusqu’à la Noël 2018. Passionnée par la vie et l’œuvre de son père, nostalgique de ces belles années enchantées, elle écrit inlassablement et organise plusieurs expositions, à Menton (1981), au Touquet (1986), à Boulogne-sur-Mer (1989, 2000), à Brest et à Toulon (2007).

Georges Ricard-Cordingley est aujourd’hui présent dans les musées de Boulogne, Etaples, Le Touquet et Berck, dans les collections du département du Pas-de-Calais, au musée national d’Art Moderne et au musée de la Marine à Paris, sur la Côte d’Azur à Toulon, Menton et Cannes. A l’étranger, les musées de Sydney, Philadelphie, Londres, Saint-Pétersbourg (musée de l’Ermitage), Moscou et Casablanca conservent également des tableaux. L’artiste laisse de nombreux “papiers”, archives et réflexions intellectuelles sur son art et ses recherches. Grand navigateur, peintre de talent, ami de Claude Monet et de Paul Signac, Georges Ricard-Cordingley parvient à “fusionner les éléments fluides dans la dimension de l’espace, dans des tons chauds et suaves” pour illustrer la mer, le ciel et ses mirages. Indépendant et éloigné de toute École ou groupe d’artistes, sincèrement attaché à notre littoral, Georges Ricard-Cordingley s’inscrit aujourd’hui comme un des peintres majeurs de la Côte d’Opale.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Victor Dupont (1873-1941) – un Boulonnais parmi les Fauves

Vers 1900, dans une ambiance laborieuse tournée vers la mer, Boulogne-sur-Mer s’affirme premier port de pêche de France. Ses pêcheurs et leurs traditions séculaires attirent les jeunes artistes en herbe, friands de scènes pittoresques à croquer sur le motif. De beaux sujets d’études sont ainsi offerts aux artistes boulonnais et aux autres de passage dans la région. Sur les traces d’Eugène Boudin, certains s’installent à Boulogne-sur-Mer ou aux alentours, à l’instar du couple Demont-Breton (Wissant), de Georges Ricard-Cordingley (Wimereux) ou de Paul Hallez (Le Portel). Également nombreuses sont les vocations parmi les artistes locaux, préposés à décrire la mer et ses marins, souvent dans un style académique finissant. Un jeune Boulonnais, Victor Dupont, choisit d’étudier le dessin afin d’embrasser une carrière d’artiste. Après un passage rapide à Lille, il s’engage vers une destinée parisienne. Entouré des plus prestigieux artistes de son temps, de Renoir, Cézanne, de Signac ou Schuffenecker, Victor Dupont connaît, à force de travail, des débuts prometteurs suivis d’une riche carrière. Sans renier son Boulonnais natal qu’il met en couleur jusqu’à la fin de sa vie, l’artiste voyage à travers la France et peint ses campagnes, ses villes et son littoral. Si ces sujets sont parfois des scènes de genre ou religieuses, il n’oublie pas de mettre en scène sa famille dans une ambiance intimiste comme seul il sait si bien le faire. Rare et encore trop méconnu, même si un regain d’intérêt est palpable depuis une dizaine d’années, son œuvre s’inscrit dans le mouvement avant-gardiste, teinté de nostalgie.

Victor Dupont est né à Boulogne-sur-Mer le 12 juillet 1873, dans la maison familiale, au 89 rue du Moulin à Vapeur, fils de Louis, un artisan coiffeur originaire de Guînes, âgé de 36 ans, et d’Agathe Dagbert, une jeune Boulonnaise de 19 ans, qu’il a épousée en secondes noces l’année précédente. Premier enfant du couple – deux fils suivront, Eugène et Albert – Victor Dupont grandit entouré de ses parents et de sa grand-mère maternelle déjà veuve. Installé dans le quartier de Capécure durant toute son enfance, il y côtoie le monde des marins et peut contempler chaque jour l’animation des quais et l’incessant manège des navires dans le chenal. A l’école primaire, il suit une scolarité classique et reçoit le 7 août 1886 son certificat d’études. Adolescent, il montre de véritables aptitudes au dessin et à l’observation de son environnement. Après quelques hésitations, ses parents cèdent alors à son envie d’intégrer une école d’art. En 1889, il est admis à l’École municipale de Dessin de Boulogne, aux côtés du peintre maritime Georges Griois et du sculpteur Paul Graf. Il y suit les cours d’Arthur Cloquié, peintre de fleurs et de natures mortes, et des sculpteurs Ernest Péron et Adolphe Thomas (auteur du tombeau de l’historien Ernest Deseille, 1892). Son apprentissage est couronné de succès. En 1890, il obtient une première bourse allouée par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, pour son aptitude au dessin académique, puis une nouvelle deux ans plus tard dans la catégorie sculpture et dessin académique (100 francs chacune). Toujours en 1892, il reçoit une médaille d’argent (3ème classe) en académie, puis une médaille de bronze pour son travail en modelage et sculpture. A cette époque, Victor Dupont réalise surtout des copies d’œuvres, des natures mortes et des bouquets, dont un qu’il offre à la fin de ses études à son camarade de classe Georges Griois.

Son apprentissage est interrompu par le service militaire. Libéré de ses obligations le 15 mars 1898, l’artiste en herbe a gagné en maturité, et décide de poursuivre son instruction artistique aux Beaux-arts de Lille. Il y suit les cours du directeur Pharaon de Winter (1849-1924), le maître flamand des scènes religieuses et intimistes, et d’Edgar Boutry (1857-1938), le fameux statuaire lillois. Mais cette formation ne lui convient guère, trouvant l’Académie trop austère et son directeur trop rigide. A l’instar de Félix Planquette (peintre animalier du Nord) et de Paul Deltombe (futur directeur des Beaux-arts de Nantes), ses camarades de classe, il n’en garda pas un souvenir heureux. En dépit de son cheminement académique, Victor Dupont rêve d’explosions chromatiques et d’études en plein air, à l’instar des peintres postimpressionnistes. A l’automne 1899, après seulement quelques mois vécus à Lille, il rejoint Paris. Ce passage à Lille est surtout important dans sa vie d’homme. C’est en effet à cette époque que Victor Dupont rencontre sa future épouse, Fernande Jaspard, serveuse dans l’estaminet familial qu’il fréquente. Fernande lui donne un premier enfant né hors mariage, en juillet 1900 (Fernande). Leur union est consacrée six mois plus tard, le 26 janvier 1901. Fernande pratique quelques travaux de couture, pendant que Victor tente de vivre de sa peinture. Réalisé vers 1899, Femme à la Couture montre Fernande au travail. La richesse du décor japonisant et la palette aux tons pastels rappellent l’ambiance des œuvres d’Édouard Vuillard (1868-1940) et des peintres du mouvement Nabi. L’année suivante, le portrait au Corsage Rouge, académique mais servi par un dessin expressif et une palette puissante, consacre leur idylle naissante (musée de l’Oise, Beauvais).

Installé dans la Capitale, Victor Dupont fréquente assidûment le milieu artistique et n’hésite pas à demander conseil aux plus grands maîtres. Il découvre avec bonheur les œuvres colorées de la salle Caillebotte du musée du Luxembourg, et apprécie les toiles de Puvis de Chavannes qu’il semble avoir rencontré à la fin de sa vie, de Pierre-Auguste Renoir et surtout de Paul Cézanne, le « maître de la couleur », qui influence beaucoup le jeune artiste. Cézanne convainc Victor Dupont de la prévalence de la couleur sur la lumière, et de l’importance de la superposition des plans. Dès 1903, Victor Dupont parvient à montrer huit œuvres au Salon des Indépendants de 1903 (des maternités et des paysages), aux côtés d’Henri Matisse, d’André Derain et de Maurice de Vlaminck : Enfant à la Chaise, Marais à Aunay-sur-Lens, Coin de Jardin. L’année suivante, au Salon des Indépendants, il présente Fernande et sa première fille dans une Maternité au Berceau, dans laquelle les deux tons de couleur, traités en camaïeu, renforcent l’intimité de cette scène, influencée par l’œuvre de Renoir. Pour son arrivée au Salon d’Automne en 1904, il expose La Seine près Suresnes. Ces premières expositions sont alors, pour Victor Dupont, le détonateur vers un usage expressif et intense de la couleur. En avril-mai 1904, il expose à la galerie Vildrac à Paris « un très bel ensemble d’œuvres probes et vigoureuses paysages, figures, natures mortes. Les paysages surtout sont remarquables par leur coloris et leur atmosphère, s’inspirant pour la plupart de la nature du Nord de la France (les environs de Boulogne). Ils traduisent le mystère et la fluidité donnant de l’air et de la lumière dans les masses vertes des grands arbres. Parfois des figures nues ou habillées mêlent leur note claire à cette atmosphère verte et bleue de sous-bois. Le caractère recueilli de cet art apparaît aussi dans les figures des femmes ou d’enfants, portraits intimes empreintes de tendresse ».

Après l’arrivée du Fauvisme et l’usage intense de la couleur brute (1905), l’artiste propose au salon d’Automne de 1906 six toiles : Étude d’Enfant, Rue des Cévennes, Matinée d’Avril, Matin, Soleil Pâle, Nature Morte Reflet de Soleil. A l’instar d’Albert Marquet et de Raoul Dufy, qui réinterprètent les rues pendant les fêtes du 14 juillet 1906, Victor Dupont excelle dans le même style en réalisant Le Quai Gambetta, une scène singulière de la vie maritime boulonnaise, où se mêlent couleurs crues, cernes noirs et ambiance vaporeuse. Cet « art social » n’est pas nouveau et veut se rapprocher du peuple, jusqu’à « vouloir rivaliser avec l’imagerie d’Épinal » selon les dires acerbes de Louis Vauxcelles. Néanmoins, ce dernier apprécie Victor Dupont « qui a une palette où chantent les tons purs. Les objets valent par la mise en place et la justesse des valeurs »  (Gil Blas, 14 juin 1905). C’est à cette époque que la famille s’installe à la « Ruche », fameuse pépinière d’artistes. Il se lie d’amitié avec Émile Schuffenecker, mécène de Gauguin et le peintre Maurice Boudot-Lamotte.

L’exposition de 1907 au Salon des Indépendants devient le point culminant du Fauvisme. L’ensemble de la presse accepte la dénomination de Vauxcelles, lequel dénombre 25 sympathisants au mouvement. De 1903 à 1914, Victor Dupont y présente un total impressionnant 62 œuvres. Il y exprime sa sensibilité à travers des scènes d’intérieur, des maternités aux tonalités intimistes, des paysages chamarrés et des sujets religieux. En 1910, il expose aux côtés de Paul Deltombe et de Georges Dufrénoy, qui sont qualifiés par Guillaume Apollinaire de « chercheurs dont les œuvres ont toujours du charme et de l’intérêt ». Les critiques deviennent réceptives à son art. L’éclatement du groupe des Fauves n’entame pas la carrière de l’artiste, qui utilise toujours une gamme chromatique lumineuse et expressive, sans pour autant libérer la couleur de sa fonction imitative, comme l’avait fait jadis Matisse. Très régulier dans sa carrière, Victor Dupont expose douze œuvres au Salon d’Automne en quatre années (1904, 1906, 1907 et 1913), avec des thèmes aussi variés que des paysages, des vues d’intérieur et des scènes religieuses. Juste avant la guerre, dans ses Écrits sur l’art, Guillaume Apollinaire apprécie « les qualités de franchise et de force simples » de deux toiles, Le Sculpteur et La Fuite en Egypte. Son ami Victor Dupont est un « peintre probe et d’une grande noblesse d’inspiration ».

Et durant ces dix années parisiennes, la famille s’agrandit avec la naissance de quatre enfants (Pierre-Victor né en 1905 à Boulogne, Jean-François en 1910, Marie-Thérèse en 1912 et Marie-Louise en 1914). Tout comme leur mère Fernande, ils participent à l’œuvre de leur père en posant souvent comme modèles, dans l’atelier ou à l’ombre des arbres du jardin de la « Ruche ». Ils figurent dans les paysages, les scènes de genre aux accents boulonnais et les maternités.

Cet enthousiasme insouciant et coloré de la Belle Époque s’achève subitement dans l’horreur. La première guerre mondiale marque profondément Victor Dupont, qui participe activement au conflit. Le 14 août 1914, il est déjà mobilisé et arrivé sur le front à Bourg, près de Lille, dans le 20ème régiment d’infanterie. Il est alors âgé de 41 ans et père de bientôt cinq enfants, Marie-Louise naissant le 16 septembre. Devant l’avancée allemande, la prise de Bruxelles, de Lille et de sa région, il est coupé de sa belle-famille. Pendant un an, comme tous les Poilus, il tente de survivre dans les tranchées et immortalise le conflit en dessinant. Le musée de Beauvais conserve une jolie aquarelle gouachée, Paysage de la Grande Guerre en 1915, montrant des soldats au milieu de tranchées, sous un ciel intensément indigo. Une autre aquarelle réalisée la même année décrit une Casemate sombre, surplombée d’un ciel découpé en triangles ocres et bleus. Ces deux études de plein air confirment l’esprit artistique moderne de Victor Dupont, influencé par l’expressionnisme et le cubisme naissants.

Parti au front le 1er septembre 1915 pour une nouvelle offensive française, il est victime d’une attaque au gaz moutarde, arme terrible utilisée par les Allemands depuis avril. Gravement blessé, il est évacué le 9 novembre. Hospitalisé un temps à Biarritz, il découvre « le pays basque et trouve là matière à un heureux délassement. Il profite de son séjour pour y faire des études nouvelles sous un ciel et au milieu d’une nature dont il ne soupçonnait ni l’éclat radieux ni la riche beauté ». Surtout, il rencontre la reine Nathalie de Serbie (1859-1941), sa « marraine de guerre ». Exilée en France, cette princesse vit dans son château de Bidart à Biarritz, depuis la fin des années 1890. Très religieuse, elle distribue son héritage et devient mécène de nombreux artistes. Après la guerre, elle accueille à plusieurs reprises en villégiature Victor Dupont et sa famille. Le peintre laisse plusieurs toiles du Pays basque, dont la Côte de Bidart, œuvre à la tonalité crue et à l’inspiration lyrique.

Après cet intermède heureux, il est transféré à Limoges le 6 janvier 1916. Trois semaines plus tard, il intègre le 285ème régiment d’infanterie, puis se trouve affecté le 19 avril au 13ème régiment d’infanterie, section camouflage à Amiens. Ce statut de « camoufleur » (peintre combattant) permet à Victor Dupont de continuer à dessiner les scènes de bataille et ses soldats, tout en restant à l’arrière des combats. Les artistes camoufleurs doivent s’adapter à la complexité de leur mission. Leurs dons d’artistes ne sont pas au service de la propagande patriotique mais à la défense de la vie des soldats. Ils ont pour responsabilité de confectionner des leurres, autrement dit des objets destinés à tromper l’ennemi. Toujours dans l’observation, Victor Dupont croque les endroits qu’il traverse, les hommes et les femmes qu’il rencontre, et les destructions qu’il déplore. Mais, l’artiste reste toujours convalescent. A la suite de cette attaque au gaz, l’Armée le déclare invalide à 40% avec versement d’une pension. Il ne se remit jamais complètement de cette douloureuse épreuve. Affaibli, il est libéré du « service à l’Allemagne » le 3 novembre 1917, « comme père de 6 enfants vivants », grâce à la naissance de Marie-Nathalie, le 29 octobre 1917, qui doit son prénom à sa marraine Nathalie de Serbie. L’artiste rejoint alors Paris.

À la fin de l’année 1917, l’État achète pour 500 francs la Petite Allée (85cm x 105cm), présentée au Salon d’Automne de 1913. A l’issue du conflit, il reçoit la Croix de guerre et une citation. Au Salon des Armées, il offre deux tableaux : aux Morts pour la Patrie, une Sainte-Famille, et La France se consacre au Sacré-Cœur pour la chapelle Sainte-Philomène, rue de Dantzig, près de la « Ruche ». Traumatisé par la vue terrible des combats et les destructions massives, qui ont massacré le Nord de la France, Victor Dupont opère un virage radical dans sa vision de la vie et sa carrière artistique. Après la mort de son ami Guillaume Apollinaire et le retour de la paix, Victor Dupont connaît la joie de la naissance d’un septième enfant, Françoise, le 9 janvier 1920. Pourtant ce bonheur est de courte durée. En janvier 1923, l’artiste perd son père, qu’il immortalise à la fin de sa vie dans L’Homme aux Oiseaux. Dans cette aquarelle, traitée sobrement, le peintre y montre son père à la fenêtre de sa maison boulonnaise. Décrit dans une masse sombre, le vieil homme y apparaît encadré par la couleur, renforçant le caractère intime de la scène. Trois ans plus tard, sa première fille Fernande meurt de la tuberculose. Ce dernier drame affecte toute la famille. Victor Dupont se replie alors sur les fondements de sa vie : sa famille et la religion. Devenu ami des milieux nationalistes et conservateurs, à l’instar d’Émile Bernard ou de Maurice de Vlaminck, qui prône un « retour à l’ordre » esthétique et politique, il garde néanmoins des contacts avec des anarchistes, comme ses grands amis Paul Signac (1863-1935) et Émile Schuffenecker (1851-1934), vieille connaissance de Paul Gauguin. Il compose alors des œuvres centrées sur ses proches, ses enfants souvent représentés dans ses toiles, à l’instar de ses deux jeunes filles qui posent en vacances dans Les Enfants au Chien, accompagnées du malinois de la maison (huile sur toile, 70cm x 85cm). Présentée au Salon des Indépendants de 1920, dont il est le commissaire de 1920 à 1922, l’œuvre est achetée par l’État et attribuée à la ville de Boulogne-sur-Mer.

Mais surtout, à cette époque, Victor Dupont exprime de plus en plus sa foi à travers les sujets religieux. Il se rapproche des Ateliers d’art sacré, ouverts à la fin de 1919 et emmenés par Georges Desvallières (1861-1950) et le fameux Maurice Denis (1870-1943), qui l’influence vers un art plus décoratif, comme le Mois de Marie (1922), scène florale aux teintes expressionnistes. En 1921, le critique d’art Guillaume Jeanneau apprécie l’artiste : « Poète lyrique fait pour l’hymne, Victor Dupont trouve des accents d’une éloquence élevée. Son œuvre, dépouillée de toute rhétorique facile, est grave et recueillie comme un chant d’église». Le peintre et critique d’art très conservateur, Tristan Klingsor, loue un Christ en Croix de 1924, « Pièce de musée, digne d’être accrochée près de vieux maîtres italiens. Tout ici s’accorde dans un effet de gradeur, couleurs et formes. Un sentiment religieux profond a commandé l’ordonnance ; un métier magnifique a réalisé la conception de l’esprit. Il faut remonter jusqu’aux Le Nain ou Philippe de Champaigne pour retrouver les vrais ancêtres de l’artiste contemporain ». Devant tant de louanges, l’ancien Fauve est devenu le chantre d’une peinture réactionnaire et sentimentaliste. Chez Victor Dupont, « le métier est au service de l’émotion».

Ses œuvres sont toujours appréciées si bien, qu’au Salon d’Automne de 1925, le directeur de la Revue des Beaux-arts reproduit Le Ruisseau aux Vaches, cette peinture étant « l’une des meilleures toiles exposées », qui présente dans un paysage champêtre un berger et son troupeau, figurant son fils Jean-François en modèle choisi. Les sujets religieux deviennent omniprésents dans ses présentations aux Salons parisiens, notamment Visitation (1924), Nativité (1926) et Saint-Jean d’inspiration néo-renaissance (1928), Jean-François servant à nouveau de modèle. En marge de ces productions religieuses, Victor Dupont participe en 1926 à la prestigieuse rétrospective Trente Ans d’Art Indépendant, 1884-1914, tenue au Grand Palais à Paris, où il accroche six œuvres, dont le Corsage Rouge. En juin 1927, il présente enfin sa première rétrospective à la galerie de la Palette française (boulevard Haussmann) et propose au public 31 toiles et dessins représentatifs de son art : des maternités, des vues d’Auvergne et du Pays Basque, des scènes religieuses, et des sujets boulonnais. La presse est unanime et salue l’artiste qui « a réuni une trentaine de ses chauds et solides tableaux dans lesquels on trouve facilement le résultat de vingt-cinq années d’effort soutenu ». C’est un beau succès.

Durant cette période d’entre-deux-guerres, l’artiste participe activement au Salon d’Automne (1919 à 1926, 1932, 1935 à 1938, 1940), où il présente au total 37 œuvres. Au Salon des Indépendants, il montre ses tableaux régulièrement (1920 à 1926, 1932 à 1941). En 1925, on lui doit notamment le Portrait de Paul Signac (1863-1935), président du Salon et inventeur du « divisionnisme » (technique de peinture qui consiste à peindre par juxtaposition de touches de peinture de couleurs primaires) avec Georges Seurat. Au faîte de sa gloire, Victor Dupont se fait écrivain pour résumer son art : « Ce que je demande à la peinture, c’est d’être plus qu’un simple ornement, qu’une parure d’appartements, qu’une agréable virtuosité. Le peintre fait œuvre d’artiste quand, avec les moyens plastiques dont il dispose, il provoque chez le spectateur une émotion ».

À cette époque de la maturité, Victor Dupont est quinquagénaire, l’État lui achète deux tableaux destinés au musée du Luxembourg, Le Petit Violoniste (huile sur toile de 1922, 95 cm x 80 cm) et Vase de Fleurs (huile sur toile, 46 cm x 38 cm), acquises le 20 janvier 1927 (aujourd’hui en dépôt au Fonds national d’art contemporain de Puteaux-La Défense). Toujours à l’affût d’expériences artistiques nouvelles, Victor Dupont se met avec succès à la lithographie originale, reprenant souvent des scènes intimistes, comme cette maternité intitulée sobrement Scène d’Intérieur, montrant une mère cousant et son enfant installé dans sa chaise haute (Fernande et une des plus jeunes filles). En juin 1928, l’artiste montre à la galerie Martin (rue de l’Université à Paris) une série de petits tableaux, notamment un portrait de sa mère. En décembre 1928, aux galeries du Fuseau chargé de Laine, « le rare Victor Dupont présente un ensemble d’ouvrages qui résume tout son effort. C’est un groupe magistral, qui fera admirer un très haut sentiment artistique et, en particulier, un coloris très orignal ». Son entrée du port de Boulogne y est remarquée. En mars 1929, Victor Dupont participe à l’exposition tenue à la galerie de l’Arc à Paris, consacrée aux portraits de femmes, aux côtés d’œuvres prestigieuses des peintres Van Gogh, Toulouse-Lautrec, Renoir, Gauguin, Modigliani, Odilon Redon et d’autres grands noms. L’artiste, qui excelle dans les maternités colorées et intimistes, reçoit une critique chaleureuse.

Dans les années 1930, au crépuscule de sa vie, Victor Dupont s’est séparé de sa femme et souffre de l’absence de ses enfants. Les difficultés de l’entre-deux-guerres, aggravées par la crise économique, affectent l’artiste. Les méventes deviennent préoccupantes. Les raisons en sont diverses : absence d’un galeriste fidèle, omniprésence des œuvres religieuses qui peinent à trouver leur public, et positions politiques trop marquées. Son ami Maurice Denis s’émeut des difficultés grandissantes de Victor Dupont depuis ces dernières années : « Il n’est pas fait pour réussir. Sa peinture est trop moderne pour une catégorie d’amateurs au goût petit, trop solidement traditionnelle pour l’autre, celle que le snobisme mène». En juin 1933, il participe à l’exposition Jeunesse et Maternité à la galerie Sambon au « profit de l’œuvre de préservation et de sauvetage de la Femme », qui réunit 200 peintures et sculptures, provenant en grande partie de collections particulières. Sont présentes des toiles d’Auguste Renoir, Berthe Morisot, Mary Cassatt et Maurice Denis entre autres.

A l’automne 1935, grâce à son amitié ancienne avec le peintre lillois André Léveillé (1880-1963), Victor Dupont participe à une expérience des plus novatrices pour l’époque : le Train Exposition des Artistes. Cette exposition itinérante, forte d’environ 500 œuvres, parcourt la France durant un mois et demi. Partie le 17 septembre, elle passe par Chartres, Laval, Cherbourg, Caen, Rouen, puis Beauvais, Amiens, Abbeville, Boulogne (9-10 octobre), Calais (11 octobre), Dunkerque (12-13 octobre), Arras (14-15 octobre), Lille (19 octobre), et s’achève le 31 à Soissons. Le concept est simple : les visiteurs contemplent les œuvres exposées dans les wagons à quai et peuvent les acheter directement. Le succès est immédiat et nombre d’artistes célèbres y participent : Georges Andrique de Calais, Abel Bertram de Saint-Omer, Omer Bouchery graveur de Lille, Félix Desruelles sculpteur de Valenciennes, le peintre-mécène Henri Duhem de Douai, le fauve Othon Friesz, Georges Griois de Boulogne, Marcel Gromaire et Henri Matisse, Lucien Jonas, Jules Joëts de Saint-Omer, Henri Le Sidaner, André Lhote, Richard Maguet d’Amiens et Robert Pinchon, maître de l’École de Rouen. Victor Dupont y présente deux grands paysages colorés : Le Ruisseau et Pâturage Boulonnais mis en vente 1.200 et 1.500 francs, ce qui constitue de bons prix.

En octobre 1935, il répond au journaliste boulonnais Jean Carvalho : « Où ai-je passé mes vacances ? Je ne puis vous nommer l’endroit, mais je n’ai guère quitté Paris. La crise. Les travaux en cours ? La recherche continue du beau métier des anciens. J’ai une Ève que je viens de terminer pour le prochain Salon d’Automne, c’est elle qui me fait vivre quelque temps au paradis terrestre ». Le journaliste conclut : « Dans les pénibles moments qu’ils traversent, nos artistes gardent toujours leur bonne humeur ». Le Conseil général de la Seine acquiert en novembre de la même année Le Pont Neuf. En mars 1937, lors de l’exposition des Rosati, Victor Dupont retrouve ses amis Jules Joëts, Henri Le Sidaner, Henri Matisse, André Léveillé, Richard Maguet et Abel Bertram à la fameuse galerie Durand-Ruel, avenue de Friedland à Paris. C’est sa dernière exposition privée, en marge de sa participation aux Salons des Indépendants (1937 à 1940) et d’Automne (1937, 1938 et 1940).  

Toute sa vie durant, Victor Dupont n’oublie jamais son Boulonnais qu’il aime tant. Jusqu’à la fin des années 1920, l’artiste rend visite régulièrement à ses parents, qui vivent toujours à Boulogne, dans le quartier de Capécure. Son père Louis y décède en janvier 1923, sa mère Juliette Dagbert, dix ans plus tard. Quand il revient dans sa ville natale, Victor Dupont loge chez son beau-frère Alex Mony, époux de Rosette, la sœur de Fernande Jaspart-Dupont. Le couple tient un hôtel-restaurant au 5 rue Monsigny, proche du théâtre. Cet établissement est acquis vers 1907 et en activité jusqu’à la Seconde guerre mondiale. Une photo de famille, datant d’août 1922, montre la mère de Victor accompagnée de Fernande et de ses enfants posant sur la plage de Boulogne. Tout ce beau monde est endimanché et heureux de se réunir. En père aimant, Victor Dupont emmène ses plus jeunes filles se promener sur les collines du Mont-Lambert, admirer le port et la ville en contrebas.

En marge des visites familiales, Victor Dupont en profite toujours pour fixer les chemins de la campagne boulonnaise ou prendre un instantané de la vie maritime. Ce sont là ses deux thèmes de prédilection, qu’il développe et expose sa vie durant, aux côtés des œuvres de genre (scènes intimistes, maternité ou œuvres religieuses). La production boulonnaise reste privilégiée dans son œuvre. Déjà, à la fin des années 1890, ses premières toiles décrivent souvent l’immensité de la mer, dans son plus simple appareil, à l’instar de La Vague et de Vagues et Rochers, conservées au musée de Beauvais. Dans La Vague, Victor Dupont adopte une mise en page recherchée, ne laissant subsister qu’une mince bande de ciel, tandis que l’intérêt se reporte au premier plan sur le jeu des vagues et des filets. La rapidité de la notation rejoint la justesse de l’effet. Il peint également des natures mortes (harengs) et Rue de la Beurière, emblématique du quartier des marins boulonnais, qui subsiste encore aujourd’hui.

Dix ans plus tard, les œuvres maritimes ont encore gagné en maturité et adoptent une pâte toujours plus moderne. Après la révélation du Fauvisme en 1905, Victor Dupont réalise des huiles où se mêlent couleurs crues et cernes noirs. Dans Le Quai Gambetta (1906), le peintre croque un moment de la vie maritime boulonnaise. Cette œuvre, des plus accomplies, n’est pas sans rappeler Albert Marquet, ses grisailles portuaires troubles, ses perspectives obliques, ses silhouettes, son fondu. Dans sa facture, Victor Dupont adopte une touche plutôt grasse et large. Le cadrage, rompu, est très japonisant et la simplification puissante, sans maniérisme graphique. Ces tableaux fauvisants révèlent à la fois un parfait usage des couleurs et des mises en scène du sujet abouties. A la même époque (1909), dans un style sobre et appliqué où le dessin prédomine, son jeune fils Pierre apparaît dans un très beau portrait, croqué en Matelot Boulonnais.

Après la guerre, dans les années 1920, le peintre réalise encore des toiles typiquement boulonnaises, parfois monumentales comme les Matelots, présentée au Salon des Indépendants en 1924 et aujourd’hui non localisée. Une idée précise de cette œuvre transparaît dans le tableau sobrement intitulé Port de Boulogne (étude sans les personnages). Bien composée, la scène décrit le quai Gambetta encombré de cordiers (bateaux à vapeur) tandis qu’un voilier se dresse au milieu du chenal. L’artiste y impose une ambiance brumeuse servie par des tons camaïeux. Un aperçu des personnages composant les Matelots est rendu possible avec la vue d’un Islandais, auquel son fils Pierre a servi de modèle. Avec ce pêcheur qui arbore fièrement sa vareuse orange en regardant l’horizon, Victor Dupont cherche à exprimer symboliquement des sentiments intérieurs, l’angoisse du départ, de la séparation et de la mort, souvent vécus par les marins au long cours. Cette œuvre reçoit une bonne critique, notamment : « J’aurais pu citer à part M. Victor Dupont, pour ses Matelots de Boulogne et sa Nature morte, qui sortent très particulièrement du commun, sans ostentation ». Au Salon d’Automne de 1925, l’artiste présente sa fille Marie-Louise coupant une pomme. Dans ce joli portrait intimiste, Victor Dupont use de sa palette chatoyante et fait contraster les couleurs chaudes portées par l’enfant et l’arrière-plan, traité dans un frais camaïeu de verts et de bleus.

En marge des œuvres maritimes, Victor Dupont croque à l’envi la campagne boulonnaise. Ses paysages « montrent l’attachement de l’artiste à la nature et l’émotion particulière qu’il sait si bien extérioriser dans ses toiles». Dans La Maison sur la Colline, datant des années 1900, l’artiste représente un coin du Mont-Lambert sur les hauteurs de Boulogne, encore vierge de toute modernité à outrance. Vue presque abstraite, marquée par les Nabis et Paul Sérusier, qui s’emploient à simplifier les formes et à donner le pouvoir à la couleur, cette toile étonne par sa modernité. Dans un cadrage original, les tons vifs explosent sur la toile et écrasent le ciel gris, réduit à la portion congrue. A la même époque, il réalise La Voie Ferrée, où la mise en scène soignée confronte une nature paisible à une locomotive qui dévale la colline à vive allure. Ce paysage boulonnais bénéficie d’une influence cézannienne dans le traitement cubiste des maisons. Au fil de ses promenades, le peintre produit une série de chemins campagnards, dont Le Chemin et Le Chemin du Moulin, traités avec une pâte généreuse, où les toits rouges typiques de la région du Nord sont omniprésents. Victor Dupont explique comment il obtient sa palette audacieuse et ses coloris fauves : « Je ménage l’acidité de mes couleurs pour qu’au bout de 5 ou 6 ans, elles aient pris une maturité durable. La beauté du coloris est obtenue par un emploi savant des verts et des rouges, soit purs, soit habilement rompus».

Plus tard, présentées au Salon des Indépendants en 1912, Vallée de la Liane et Route de la Vallée montrent des pins parasols installés sur la route partant de Boulogne et menant à Saint-Étienne-au-Mont, Hesdigneul et Carly. Les ocres puissants et les verts tendres dominent le ciel éthéré. Au printemps 1927, lors de sa première rétrospective à la galerie de la Palette française à Paris, l’artiste propose au public 31 œuvres, notamment des vues boulonnaises : Jeune Fille sur la Falaise, Vieux Remparts, La Vallée de Boulogne-sur-Mer et La Haute-Ville, Porte Gayole. Les sujets boulonnais sont aussi récurrents dans les achats de l’État. En octobre 1935 et juin 1936, le musée de Saint-Quentin acquiert deux grandes huiles Paysage Boulonnais et Pâturages en Artois, qui sont un hymne à la nature vierge de son enfance.

La carrière et l’œuvre de Victor Dupont sont emblématiques d’une époque troublée et engagée. Si l’artiste suit tout d’abord un parcours académique, il s’engage rapidement vers les expériences nouvelles du Fauvisme et de l’Expressionnisme. S’il aime le dessin, Victor Dupont privilégie l’usage intensif de la couleur pour construire ses œuvres et mettre en scène ses sujets. Comme d’autres artistes, c’est aussi un homme marqué dans sa chair par l’horreur de la Première guerre mondiale. Ce choc le radicalise dans ses convictions et enflamme sa foi chrétienne. Alors qu’il croit révolutionner l’Art en participant aux Ateliers de l’art sacré, il s’enferme au contraire dans des conventions parfois dépassées, se coupe d’une partie de son public, et refuse l’appui des galeristes pour vendre son travail. Très marqué par les derniers bombardements de Boulogne, c’est un homme malade et un artiste quelque peu oublié qui subit bien malgré lui la débâcle de 1940. Affaibli par une malnutrition chronique et atteint de tuberculose, Victor Dupont décède le 7 juillet 1941 à l’hôpital Laënnec à Paris. Dans cette période troublée, le monde artistique est affecté par la disparition de ce petit homme élégant à lunettes, la cigarette toujours à la main, ancienne gloire postimpressionniste, qui a animé pendant plus de trente années les grands Salons parisiens. Sa production reste limitée, composée d’environ 400 œuvres peintes et d’une centaine d’aquarelles, gouaches, dessins et gravures. Sous l’impulsion de Maurice Boudot-Lamotte, le Salon d’Automne de 1941 lui consacre une rétrospective. Son ami lui dédie alors ces quelques mots qui résume bien la force artistique de Victor Dupont, qui fut un « dessinateur solide, d’exécutant vigoureux et de coloriste puissant chez qui l’harmonie ne résulte pas de l’atténuation des teintes, mais de la science des accords ». Depuis, l’artiste n’a plus été consacré. A nous de faire revivre l’œuvre chatoyant de Victor Dupont et de mettre aux cimaises de notre musée les Enfants au Chien figurant sa famille, adorée par l’artiste, et ses autres beaux sujets boulonnais.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Eugène Vail (1857-1934) – peintre américain de l’École d’Étaples

A la fin du 19ème siècle, de nombreux artistes fréquentent la Côte d’Opale à la recherche de sujets pittoresques. Déjà, avant eux, beaucoup s’étaient rendus en Bretagne pour peindre, de l’École de Pont-Aven autour de Gauguin à la colonie d’artistes américains à Concarneau. Boulogne, sa pêche industrielle et son service transmanche attirent beaucoup de peintres français et d’ailleurs. A Étaples, engagés dans une pêche plus traditionnelle, les gens de mer sont étudiés et croqués par des artistes de tout horizon, des Français bien sûr comme Eugène Chigot (1860-1923) et Gaston Balande (1880-1971), mais aussi par des étrangers, anglais, américains, australiens… C’est la « Colonie d’Étaples », qui perdure jusqu’à la Grande guerre. D’origine américaine, Eugène Vail s’inscrit dans cette veine naturaliste, où les retours de pêche agités, la plage parsemée de navires échoués et les pêcheuses laborieuses alimentent son œuvre.

Eugène Vail est né à Saint-Malo le 28 septembre 1857, d’une mère bretonne, Clotilde Le Gué, et d’un père américain. Son grand-père s’est exercé à l’art de la miniature à New-York, quand son père pratique l’aquarelle. Aux États-Unis, après ses études primaires, il fait une formation d’ingénieur dans le New-Jersey pour suivre les vœux paternels. Lors d’un long voyage scientifique en Amérique, il réalise les portraits de ses collègues ce qui va lancer sa vocation. Après un passage rapide à la « Art Students League » (École d’art de New-York), il revient en France en 1882 pour entrer dans l’atelier d’Alexandre Cabanel (1823-1889) à l’École des Beaux-Arts de Paris. Il y reçoit une formation classique, axée sur le dessin et la forme. Sur les conseils de Cabanel, il quitte Paris en 1884 pour rejoindre Concarneau, Audierne et Pont-Aven, sur les traces de ses illustres prédécesseurs, afin d’y peindre en plein air. En 1885, il vient à Étaples pour la première fois. A l’automne 1889, il rentre en Amérique pour s’y marier en janvier 1890 avec Gertrude Mauran, une riche héritière rencontrée à Paris. Élevée en France, son épouse parle le français et a étudié le dessin et l’aquarelle. De retour en Europe, le couple fait un passage à Dordrecht (Pays-Bas), où l’artiste s’exerce. Il y retournera plusieurs fois.

A l’automne 1890, il s’installe à Étaples et se lie naturellement avec les nombreux artistes qui vivent dans ce petit village côtier, notamment avec les Anglo-saxons. En 1893, Virginia Couse, la femme du peintre Irving Couse (1866-1936), célèbre pour ses tableaux étaplois et son album photographique, témoigne de l’importance d’Eugène Vail au sein de la communauté des artistes locaux : « C’est un artiste américain qui vit ici depuis une dizaine d’années […] Les parents de sa femme sont très riches et leur viennent en aide. Bien que M. Vail soit un bon peintre, ses tableaux n’ont pas l’air de se vendre beaucoup. Mme Vail a conscience de son rang et prodigue ses conseils aux peintres et à leurs épouses ». En effet, en dépit de son talent, l’œuvre d’Eugène Vail peine à trouver son public. Contrairement à d’autres artistes, il ne bénéficie pas des commandes de l’État pour écouler ses grands formats et, seules les expositions plus modestes semblent lui permettre quelques ventes. Le contexte se durcit davantage encore après la guerre 14-18, où des artistes et des courants plus modernes remportent l’intérêt grandissant des collectionneurs qui achètent de la peinture pour orner leur intérieur. La qualité de ses grandes compositions figurant des pêcheurs à l’ouvrage ne suffit plus à intéresser les acheteurs, qui se tournent de plus en plus vers des œuvres décoratives aux couleurs chatoyantes.

Durant sa carrière, Eugène Vail peint surtout à Étaples, mais réalise aussi des œuvres à Boulogne et à Berck. Il voyage également à Venise, où il compose des vues de la place Saint-Marc et des canaux, dans une approche plus impressionniste et lumineuse. Il peint aussi à Florence et à Sienne. Au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, il présente : Dans Venise la Rouge, La Salute, Nuit de Gala en 1902, Saint-Marc, Clair de Lune, Le Grand Canal et Vieux Murs en 1903, puis un triptyque intitulé Nocturnes à Venise en 1906. Durant la Grande guerre, le couple Vail se réfugie en Suisse, à Saint-Moritz (scènes d’hiver) et à Davos, où Eugène Vail peint à ses temps perdus. Longtemps établi sur la Côte d’Opale, c’est pourtant à Paris qu’il meurt le 25 décembre 1934. L’année suivante, la Société Nationale des Beaux-Arts honore sa mémoire en organisant une rétrospective de son œuvre.

Malgré la mévente récurrente de ses œuvres, Eugène Vail participe à de nombreux salons et sociétés d’art. En Amérique, il est reconnu avec une médaille d’argent remportée à la Lousiana Purchase Exhibition de Saint-Louis (Missouri) en 1904. Il fait une exposition personnelle à la Rhode Island School of Design à Providence en 1906. En Europe, il est récompensé à Munich, à Anvers, à Berlin (grand diplôme d’honneur en 1891, puis médaillé avec Soleil de Mars en 1900) et à l’Exposition Universelle de Liège en 1905.

En France, Eugène Vail expose au Salon des Artistes français pendant une dizaine d’années, répondant aux affinités classiques demandées par le jury. Il commence en 1883 avec Seulette, puis Le Port de Pêche à Concarneau l’année suivante, L’Avant-port à Dieppe en 1885 et Sur la Tamise en 1886. A ce Salon officiel, il obtient une première mention en 1886, puis une médaille de troisième classe en 1888, et enfin une médaille d’or à l’Exposition Universelle à Paris en 1889 avec Paré à Virer. En août 1894, il reçoit la Légion d’Honneur aux côtés de Virginie Demont-Breton (1859-1935). Ensuite, l’artiste se tourne vers la Société Nationale des Beaux-Arts pour en devenir sociétaire dès 1896, et y exposer douze années durant. En décembre 1897, la galerie Mancini à Paris accueille « Eugène Vail, que des succès antérieurs avaient signalé depuis longtemps à l’attention des délicats, qui est en ce moment en pleine évolution, et c’est à une nouvelle forme d’art qu’il consacre désormais son talent arrivé à pleine maturité. C’est un évocateur. Ses colorations vigoureuses et calmes donnent une émotion profonde, car ce peintre traduit la nature sans mièvrerie et sait faire passer dans l’esprit du spectateur le sentiment et l’impression qui se dégagent des êtres et des choses. Heureux mélange de symbolisme et de réalité, troublante évocation d’art, telle est l’œuvre d’Eugène Vail, qui a su imprimer à ses toiles une individualité consciencieuse, hardie, originale, qui mérite de fixer l’attention des amateurs d’art les plus éclairés » (L’Intransigeant, 1897). Il participe au Salon de Rouen en 1893, au Salon de Bordeaux en 1897 et 1901, et expose au Salon des Peintres orientalistes français en 1904 et 1906 (œuvres vénitiennes). A l’Exposition Universelle de Paris en 1900, il montre au public Matin d’Octobre, Voix de la Mer et Soir en Bretagne, florilège de son talent.

En marge de ces divers Salons, Eugène Vail présente son travail dès 1896 dans la prestigieuse galerie d’art Georges Petit. En février 1882, le marchand Georges Petit avait ouvert une luxueuse salle d’exposition 8 rue Sèze à Paris. Très rapidement, l’adresse devient incontournable pour les amateurs fortunés et les artistes. Grâce aux vernissages grandioses, Georges Petit parvient à attirer la haute société parisienne et étrangère. Eugène Vail accroche ses toiles aux cimaises de cette galerie jusqu’en 1906. En 1900, il intègre la Société Nouvelle de peintres et de sculpteurs, riche de 22 sociétaires, dont les grands artistes du moment, et ses collègues nordistes, Henri Le Sidaner (1862-1939), Henri Duhem (1860-1941) et le norvégien Fritz Thaulow (1947-1906). Ce groupe expose chez Georges Petit à chaque printemps, et devra cesser ses activités avec l’entrée en guerre à l’été 1914. Eugène Vail y revient en juin 1921 lors d’une exposition personnelle composée de 83 tableaux, saluée par la critique, dont une vue d’Étaples et des paysages du Nord. Dans cette galerie, sa rencontre avec ces artistes plus avant-gardistes le fait évoluer et éclaircir sa palette. Ce changement est notamment visible dans ses tableaux italiens, baignés de lumière et de couleurs coruscantes.

Dans son œuvre boulonnaise, la vie des marins et des matelotes, mise en scène dans une description précise des activités halieutiques, revêt des accents véritablement ethnographiques. Eugène Vail aime partager la vie des pêcheurs pour y trouver l’inspiration la plus juste. Dans une palette sobre aux couleurs froides, « parfois tristes comme en deuil » (Le Matin, 1897), ses compositions demeurent souvent impressionnantes, servies dans des formats gigantesques. Si la plupart ont aujourd’hui disparu, certaines se trouvent encore dans les musées, notamment américains. Cependant, les nombreuses études travaillées sur le motif nous renseignent parfaitement sur ses sujets de prédilection. Les Salons parisiens et provinciaux se font l’écho de son art régionaliste, très présent dans les années 1890-1900.

Au Salon des Artistes français de 1887, l’artiste débute avec Veuve ! (huile sur toile, 230cm x 160cm). Dans ce premier grand format, une femme vêtue de noir tient par la main une fillette. Le drame des disparitions en mer est ici évoqué en filigrane, de manière subtile, sans mièvreries. Puis, en 1888, c’est Paré à Virer, tableau impressionnant qui recevra l’année suivante la médaille d’or à l’Exposition universelle. Satisfait de son ouvrage, l’artiste se fait photographier fièrement devant l’œuvre. Localisée à Boulogne, elle est aujourd’hui conservée au musée de Chicago (huile sur toile, 238cm x 318cm). A l’arrière d’un bateau de pêche, des marins manœuvrent dans une mer démontée. Sujet également représenté par Francis Tattegrain (1852-1915) et d’autres artistes du moment, Eugène Vail montre dans cette toile sa bonne maîtrise dans la figuration de cette tranche de vie des marins, qu’il a sûrement observée à bord.

En 1889, Eugène Vail présente Mon Homme ! une autre œuvre monumentale. Dans cette composition impressionnante, l’artiste y représente une matelote courant sur la digue de Boulogne, lors d’un retour de pêche mouvementé. Plus tard, en 1894, Eugène Vail réinterprète ce sujet dans Retour de Pêche à Boulogne. Réalisée en automne, durant la saison du hareng, cette œuvre reçoit des tons froids, des camaïeux de gris et de marron. Seules l’écume de la vague tempétueuse et la « calipette » de la matelote éclairent la toile. Debout sur la jetée, la mère et sa jeune fille regardent le ballet incessant des navires de pêche, le visage marqué par une anxiété palpable. Au premier plan, presque centrée, la fillette emmitouflée dans un châle accompagne sa mère. Toute menue, elle paraît bien fragile dans cette atmosphère venteuse et glaciale, et semble faire face aux éléments naturels en se réfugiant contre des jambes maternelles plus solides. D’une image pittoresque, Eugène Vail parvient, sans fioritures, à attendrir le spectateur, ému par la précarité de cette frêle silhouette enfantine. En résonance avec ces grandes compositions, l’artiste convainc aussi par les portraits, plus intimistes, qui rendent hommage à la communauté maritime telle cette Léonie, présentée de profil avec sa coiffe traditionnelle, matelote étaploise anonyme sublimée à la manière d’une femme de haut rang.

Au Salon des Artistes français de 1893, l’artiste expose Pêcheurs, Mer du Nord, figurant un déchargement de la marée à Étaples. Cette gigantesque huile (457cm x 915cm), dont l’étude est conservée au musée du Touquet (huile sur toile, 69cm x 99cm) est probablement son record en termes de format. En 1890, son collègue Louis Dessar (1867-1952) raconte que ce tableau obligea Vail « à faire un trou dans le plancher pour le sortir de son atelier ». Puis, en 1894, Soir d’Automne à Étaples décrit, « dans une atmosphère toute grise, une femme et sa fille qui s’en vont sur une passerelle au bord de l’eau, toutes deux courbées sous le vent qui vient du large chargé d’embruns. Il y a de la largeur dans le dessin et une mélancolique harmonie sur toute la toile ». C’est un succès car le tableau « frappait tous ceux qui connaissent la baie de Canche et le pont qui relie Étaples à Paris-Plage. L’exactitude des moindres détails jointe à l’effet si bien observé de la brume crépusculaire a fait le succès de cette belle toile » (Dépêche de Brest, 1894).

Au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, Eugène Vail présente Rue de Village en 1896, Enfants et leur Mère en 1897, sept œuvres en 1898 dont Crépuscule, Il pleut sur la Ville, Portraits, Voix de la Mer, six œuvres en 1899 dont Heure de Prière et Marine. Après sa série de tableaux vénitiens réalisés de 1902 à 1906, il abandonne ce Salon. Dans les expositions régionalistes du Nord de la France, le peintre y envoie ses études de tableaux. Au Salon de la Société artistique de Roubaix-Tourcoing en 1888, il montre La Grande Sœur. En 1894, au Salon de la Société des Amis des Arts de Douai, son tableau Crépuscule à Berck reçoit un bon accueil du public.

Après sa mort survenue en 1934, Eugène Vail revit à travers des rétrospectives posthumes qui mettent à l’honneur un corpus de ses œuvres. En France, la galerie Charpentier expose son travail en juin 1937 et édite un catalogue préfacé par son ami Henri Le Sidaner. A cette occasion, le fameux critique d’art, Louis Vauxcelles, salue « cet harmoniste qui gradue musicalement ses modulations beiges ou argentées, avec une sensibilité pénétrante ». D’autres manifestations suivent aux États-Unis de 1939 à 1941, sous l’impulsion de son épouse. Mais, la Seconde guerre mondiale puis le modernisme artistique envoient au rebut l’œuvre naturaliste d’un grand nombre d’artistes du début du 20ème siècle. Eugène Vail est alors oublié. Heureusement, depuis une trentaine d’années, le regain d’intérêt pour les artistes qui ont peint la Côte d’Opale à la Belle Époque annonce son retour dans les expositions. Aujourd’hui, l’œuvre d’Eugène Vail est surtout représenté dans les musées américains (New-York, Washington, Chicago, Rhodes-Island, Gloucester, Hagerstown, Worcester), à Rome (trois tableaux à l’ambassade américaine) et à Venise, à Paris aux musées du Louvre (Port de Concarneau) et du Luxembourg, et dans les musées de province (Le Touquet, Hazebrouck, Brest, Gray, …). « Heureux mélange de symbolisme et de réalité, troublante évocation d’art, telle est l’œuvre d’Eugène Vail, qui a su imprimer à ses toiles une individualité consciencieuse, hardie, originale, qui mérite de fixer l’attention des amateurs d’art les plus éclairés » (L’Intransigeant, 1897), et qui s’inscrit définitivement dans le cercle des grands artistes de l’École d’Étaples.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Georges Maroniez (1865-1933) – chantre des marines de la Côte d’Opale

Si Georges Maroniez a profondément marqué, de son empreinte, le littoral de la Côte d’Opale, il n’était pourtant pas prédestiné à la peinture. Avant de planter son chevalet sur l’estran ou de reproduire à l’envi des scènes de pêche dans son atelier, Maroniez se vouait à une carrière de magistrat. Servi par un talent sérieux pour le dessin, il croque tout d’abord sa région natale avant de rejoindre la colonie de peintres établie à Wissant autour du couple Demont-Breton. Il devient alors le spécialiste des retours de pêche agités et des scènes maritimes animées, de Wissant à Equihen, de Boulogne au Portel.

Georges Maroniez est né à Douai le 17 janvier 1865. Il y passe toute sa scolarité et se lie d’amitié dès le lycée avec Fernand Stiévenart (1862-1922), futur artiste de « l’École de Wissant », établi avec sa femme Juliette de Reul (1872-1925). Fils d’industriel et petit-fils de militaire, il se destine logiquement au droit. Néanmoins, il fréquente déjà l’École des Beaux-Arts de la ville. A quinze ans, il devient l’élève de Pierre Billet (1836-1922) à Cantin, puis rencontre dans son atelier Adrien Demont (1851-1928), peintre paysagiste réputé. A l’époque, dans leur maison à Montgeron, les Demont-Breton attirent la belle société et “reçoivent souvent, le dimanche, quinze à vingt convives autour de la table. On y rencontrait Luc Olivier Merson, Rovel, Planquette, Stiévenart, Salgado, Maroniez…”. Amitiés et filiations artistiques s’établissent entre Adrien Demont et ses élèves, Georges Maroniez, Fernand Stiévenart et Veloso Salgado (1864-1945), artiste portugais de passage à Wissant. En 1885, âgé de seulement vingt ans, et sur les conseils du fameux Jules Breton (1827-1906), beau-père d’Adrien Demont, Georges Maroniez présente au Salon de Douai une première œuvre. Deux ans plus tard, il expose à Paris son premier tableau.

En villégiature estivale à Wissant, Georges Maroniez découvre les paysages du littoral et fréquente de plus en plus les Demont-Breton, qui entreprennent la construction du Typhonium en 1890, leur maison-atelier de style égyptisant, installé sur les hauteurs du village au milieu des dunes. Plusieurs amis et disciples les y rejoignent, à l’instar de Francis Tattegrain (1852-1915), le chantre de la marine berckoise, et du couple douaisien Henri (1860-1941) et Marie Duhem (1871-1918). Ils composent le « Groupe Demont » ou « l’École de Wissant » et reçoivent les conseils d’Adrien Demont : « Les jours où le grand vent du large nous empêchait de peindre sur la plage ou quand il pleuvait, le rustique hangar de madame Lefebvre-Duval nous servait d’abri et d’atelier de plein air. Fernand Stiévenart et Henri Duhem, logés à l’hôtel Duval, y venaient aussi. L’École Demont se met au vert disait Maroniez”. Tous ces artistes s’influencent mutuellement, partant peindre en petits groupes, protégés du soleil par des parasols, sous la férule d’Adrien Demont. En 1889, parrainé par son maître, Georges Maroniez devient sociétaire des Artistes français, tout en continuant à peindre avec ses amis à Wissant. En 1891, il est nommé juge à Boulogne-sur-Mer, puis continue sa carrière à Avesnes-sur-Helpe (1894), puis Cambrai (1897). Mais sa grande passion continue à l’animer, et il expose tous les ans au Salon de Paris, où il obtient plusieurs mentions.

Installé à Cambrai dès 1899, Georges Maroniez s’y marie et y vit jusqu’à la Première guerre mondiale. Tout en poursuivant ses activités professionnelles, il s’intéresse à la peinture mais aussi à la photographie pour laquelle il invente de nouveaux procédés (appareil photographique le Sphinx, breveté le 25 août 1891). La séparation de l’Église et de l’État en 1905, ainsi que les répressions laïques qui s’en suivent, provoquent une rupture dans ses convictions, et il décide de démissionner de la magistrature. La guerre 14-18 marque un douloureux arrêt dans son chemin artistique. Dès septembre 1914, Georges Maroniez est mobilisé à Boulogne et nommé capitaine au tribunal militaire. Devant la débâcle française, il se replie rapidement à Amiens. Mais, lors des combats, les Allemands bombardent et incendient Cambrai, et son atelier est en grande partie pillé. Seules les études sur carton sont sauvées par sa femme, qui est d’ailleurs déportée avec quelques autres notables de la ville à Holzminden durant plusieurs semaines. A la fin du conflit, des œuvres sont retrouvées dans un coffre de banque à Cologne, marque d’un vil pillage.

Au retour de la paix, le couple s’installe à Paris, et une exposition a déjà lieu en 1919 à la galerie Chaperon. L’artiste s’inspire alors beaucoup de la Bretagne, et sa peinture connaît même le succès à l’étranger (Angleterre, Allemagne, Amérique, …). Les professionnels de l’édition reproduisent son œuvre pour le plus grand nombre, sous forme de gravures, lithographies et cartes postales colorisées. Dans son atelier où se mélangent fumées de tabac et odeurs de térébenthine, il produit des séries de tableaux à partir de ses carnets d’études réalisées lors de ses voyages ou de ses vacances. En 1927, il est nommé conservateur du musée de Cambrai. A cette époque, il expose chaque année à Paris, Douai, Arras, Cambrai et Boulogne. En pleine reconnaissance artistique, il meurt subitement d’une crise cardiaque le 11 décembre 1933.

Ce qui étonne dans l’œuvre de Georges Maroniez, c’est la variété des thèmes qu’ils abordent. De 1880 à 1900, l’artiste peint essentiellement son entourage, la campagne douaisienne, les travaux des champs et la vie rurale, les rivières de l’Escaut, la Sensée. Les vues dévoilant les labours, les moissons, les moulins et les chevaux attelés sont nombreuses. Son tournant artistique a lieu en 1888, quand il rejoint pour la première fois ses amis douaisiens, lors de ses vacances passées sur la Côte d’Opale. De 1891 à 1894, il vit à Boulogne. Fréquentant assidûment le couple Demont-Breton, le sujet maritime devient essentiel dans son œuvre. Sous l’influence de Virginie Demont-Breton (1859-1935), mais surtout d’Adrien Demont et du chantre de la marine berckoise Francis Tattegrain (1852-1915), Maroniez observe et peint les vagues, les rochers, les plages, les bateaux, les marins et les couchers de soleil. Les vues des Caps Gris-Nez et Blanc-Nez le stimulent dans la création de ses paysages marins pris sur le vif. Si la mer est omniprésente dans ses scènes, l’action humaine n’est jamais loin et le pêcheur souvent au labeur. Vers 1900, il est devenu un élément incontournable de « l’École de Wissant« .

En marge de ces deux grands thèmes, l’artiste voyage en Méditerranée. En 1897, il fait son premier voyage en Afrique du Nord et en rapporte de nombreuses études lumineuses et colorées. Durant l’année 1909, il entreprend avec son épouse un grand voyage qui l’emmène en Italie et en Égypte. Plus tard, il fait un passage en Algérie et en Espagne, puis visite la Grèce et le Bosphore, où il laisse quelques aquarelles d’Istanbul. Bien qu’éclectique, l’œuvre de Georges Maroniez s’inscrit néanmoins dans la grande tradition naturaliste, introduite dans la seconde moitié du 19ème siècle. Issu d’un milieu bourgeois, peu ouvert à l’innovation, formé par des maîtres académiques, l’artiste garde un style très classique mais sans manque d’intérêt. Le dessin construit le sujet animé par des couleurs tout en nuances et en subtilité.

Grand travailleur, Maroniez laisse derrière lui un nombre considérable de paysages, natures mortes, portraits, animaux, effets de neige, de lune, scènes animées. Il s’est plié à tous les genres. Les techniques utilisées montrent une maîtrise de l’aquarelle, de la plume, de l’huile et du pastel. La facture globale de ses œuvres montre un coup de pinceau habile et ferme, une touche en pâte et en relief pour accentuer l’éblouissement du soleil couchant, les effets de lune, ou les vagues se brisant sur les rochers. La palette de couleurs est franche et réaliste, les contours bien dessinés. En dépit de quelques séries de tableaux se ressemblant énormément, et qui trahissent un aspect commercial indéniable dans les années 1920, l’apport de Georges Maroniez est incontestable et il s’affirme comme le parangon de nombreux suiveurs. Il est l’un des derniers grands artistes à avoir peint la Côte d’Opale à l’époque faste, bien avant les plaies laissées par la guerre 39-45.

L’artiste participe activement au Salon des Artistes français à Paris aux côtés des plus grands peintres de l’époque. En 1887, il y présente pour la première fois un tableau rural intitulé Soleil Couchant à Esquerchin. Il reçoit de nombreux prix : médaille de 3ème classe pour son tableau Anxiété au Salon de 1905, médaille de 2ème classe au Salon de 1906. Il y expose jusqu’à sa mort. En 1911, pour fêter ses noces d’argent avec la Société des Artistes français, il accroche près de 100 toiles à la galerie Valcourt, rue de la Boétie à Paris. En marge de ce grand salon parisien, Georges Maroniez montre son œuvre dans les expositions régionales dans le Nord de la France, notamment à la Société des Amis des Arts de Douai dès 1886, à la Société Artistique de Roubaix-Tourcoing dès 1888, à l’Union Artistique du Nord à Lille dès 1893, à la Société Valenciennoise des Arts dès 1895, soit plus de 200 tableaux sur trente ans. Il participe aussi à la 11ème Exposition d’Art d’Avesnes en 1897, présentant Marine, Lever de Soleil, Effets de Lune sur la Mer, Dans les Champs, Les Vieux, Soleil Couchant. A l’Exposition Internationale des Beaux-Arts de Boulogne qui a lieu du 18 juillet au 15 septembre 1901, il livre Derniers Rayons. Ailleurs, en province, il envoie des œuvres à Toulouse, Souvenirs au Salon de l’Union Artistique en 1895, puis Au Bord du Marais au même salon en 1899, et enfin à l’Exposition Industrielle Internationale en 1908 Nuit sur la Plage et Raz-de-marée. Il accroche ses toiles aux cimaises du Salon des Indépendants en 1911 (quatre vues de Hollande), à l’École française en 1913, au Salon d’Hiver avec Virginie Demont-Breton de 1932 à 1934, à la Galerie Georges Petit en 1910 et 1922, au Salon de Bordeaux de 1895 à 1933.

Vers 1900, son thème maritime a remplacé le goût champêtre de ses débuts. Dans sa grande production, parfois répétitive et commerciale, certaines œuvres sont localisées sur notre côte : Matinée d’Avril à Boulogne (1890), L’Épave au Portel (1893), Effets de Lune à Boulogne (Salon de 1899), Pêcheurs d’Equihen (Salon de 1902), Les Moulières au Portel (1904), Dans le Port de Boulogne (1905), Sur la Plage de Berck la Nuit (Salon de 1909), Vieilles Maisons de Pêcheurs à Equihen (1911). Maroniez reprend parfois, en plus petit format, des œuvres emblématiques de sa production exposée au Salon à Paris, qu’il vend ensuite en province. Il laisse des vues remarquables du Portel aujourd’hui détruit, des navires traditionnels échoués sur l’estran, des dunes éventées de Wissant et des côtes sauvages d’Equihen, peuplées de gens de mer méritants.

La participation de Georges Maroniez à un grand nombre d’expositions en France et à l’étranger a provoqué une dispersion de son œuvre, aux États-Unis notamment avec Octobre (Salon de 1890) au musée de Buenos-Aires, Retour de Pêche (Salon de 1898) au musée de Chicago, Mauvais Temps (Salon de 1901) au musée de Saint-Louis, Soir d’Été et Sur la Falaise (Salon de 1895 et 1896) au musée de San Francisco (deux œuvres détruites dans le tremblement de terre). Un carnet de croquis laisse à penser qu’il a réalisé environ 3.000 œuvres, des huiles, gouaches, dessins et autres pochades, dont certains en plusieurs exemplaires, dans différents formats, afin de satisfaire la demande des clients. Malheureusement, les pillages et les bombardements provoqués par les deux grandes guerres ont fait disparaître beaucoup d’œuvres, notamment à Douai.

En 1934, Jeanne Maroniez, sa femme, offre au musée de Cambrai un lot de 138 pochades. En 1993, après le décès de sa fille, dans un souci de sauvegarde et de conservation, les héritiers déposent à la photothèque de Cambrai un lot de 1.400 clichés pris par Georges Maroniez (clichés sur plaques de verre et autochromes couleur). Aujourd’hui, ses tableaux sont visibles principalement dans les musées du Nord de la France (Boulogne, Lille, Cambrai, Douai), sans oublier les collections privées. Bien qu’il s’en défende, Georges Maroniez reste un peintre profondément attiré par la mer, à laquelle il donne le meilleur de lui-même. Les effets de lumière à la tombée de la nuit et l’emprise dramatique de la mer sur l’Homme restent ses œuvres les plus abouties.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Henri Rovel (1849-1926) – ami vosgien du couple Demont-Breton

Sur la Côte d’Opale, Wissant a attiré de nombreux artistes durant tout le 19ème siècle, à l’instar de Boulogne, Étaples, Équihen et Berck. Dans ce petit village pittoresque, qui bénéficie alors de la présence voisine de la nouvelle gare de Rinxent, vient s’installer le couple d’artistes célèbres Virginie Demont-Breton et son mari le paysagiste Adrien Demont. Ces deux peintres habitent le Typhonium, leur maison au style égyptisant achevée en 1900, et accueillent nombre d’artistes en herbe pour leur apprentissage et les conseiller. Ce « Groupe Demont », aussi connu comme « École de Wissant », marque durablement l’époque qui perdure de nos jours encore, à travers les œuvres de Georges Maroniez, Félix Planquette, Édouard Houssin et bien d’autres. Certains artistes sont simplement de passage chez leurs amis wissantais, travaillent avec eux comme Francis Tattegrain, ou reçoivent leurs précieux conseils. Ingénieur de formation, Henri Rovel est très éclectique dans ses passions et ses activités. Il vient à plusieurs reprises à Wissant et croque la Côte d’Opale, essentiellement les villages de pêcheurs ainsi que Boulogne. Si son travail orientaliste, fruit de ses pérégrinations au Maghreb, est aujourd’hui reconnu, ses peintures boulonnaises restent encore confidentielles. Bien qu’elles soient rares, elles méritent un éclairage nouveau.

Henri Rovel est né le 8 juillet 1849 à Saint-Dié dans les Vosges, d’une famille de cultivateurs. Son père, Jean-Baptiste Rovel, s’établit dans cette ville et exerce l’activité de marchand de papier peint. Orphelin à 10 ans, le jeune enfant est recueilli par M. Wolfrom, un commerçant amateur d’art. Il l’encourage dans ses études. A 15 ans, l’adolescent part à Nancy pour suivre une classe préparatoire.  Il intègre l’École Polytechnique en 1868 et y devient ingénieur. Il en sort officier d’artillerie quand la guerre de 1870 se déclare. Au début du conflit, au temps des premières défaites, Henri Rovel parvient à s’échapper du siège de Metz et rejoint l’armée de la Loire. Dans la « Lorraine Artiste » en 1892, l’artiste se confie sur cette épreuve de jeunesse : « Après la capitulation, je fis la route de Nancy à Bourges en traversant les lignes prussiennes… De Tours, on m’envoya à Rennes et je partis à l’armée avec le capitaine Douvres. Blessé et prisonnier, il me laissa le commandement de la batterie, j’avais 21 ans et il me restait 3 hommes par pièce… ». Vers 1871, il rencontre Adrien Demont à Douai. Après la guerre, Henri Rovel rédige quelques mémoires appréciés sur les questions militaires, mais cette carrière de contraintes ne l’enthousiasme guère. En 1874, il démissionne et préfère « se lancer dans l’étude de la peinture. Je n’avais jamais touché une palette, mais j’en avais le plus vif désir… J’ai toujours travaillé seul et si j’ai été chez Cormon, c’est pour pouvoir facilement y dessiner le nu ».

Dans l’atelier Cormont, il suit l’enseignement académique de ce vieux maître. Il y apprend la peinture classique pour réaliser des paysages, des nus et des portraits. Il se veut « peintre réaliste, ressemblant, pragmatique et presque commercial ». Membre de la Société des artistes français, il expose régulièrement au Salon des Champs-Élysées à partir de 1882 et aux Salons de province à Saint-Dié, Épinal et Remiremont. Amoureux de sa région natale, il croque son environnement et ses traditions, notamment des vues vosgiennes : « Dans les Vosges » (1886), « Schlitteur » (1888), « Le Pêcheur de truites dans les Vosges » (1896). Certaines de ses œuvres régionalistes sont conservées au Musée Pierre-Noël de Saint-Dié : « Vue de Lusse » (1890), « Pêcheurs sur le lac de Gérardmer » (1908), « Calvaire Vosgien » (24 cm x 33 cm), « Schlitteurs dans les Vosges », « Le Pont des Fées près de Gérardmer » (musée de Toul), « La Skieuse » (musée de Saint-Dié). Grand voyageur, Henri Rovel se nourrit de la couleur et de la lumière du sud de l’Europe : en Espagne notamment avec « Danseuse Espagnole » (1886), « L’Église Santa-Isabel à Séville » (1891), ainsi qu’en Suisse avec « Vue du château d’Arroccato » (1888). A cette époque, Henri Rovel fait découvrir au couple Demont-Breton, la région des Vosges. Dans ses mémoires, Virginie Demont-Breton raconte : « Nous fîmes avec lui un voyage à pied, sac au dos, dans les Vosges, sa chère province. Il était si fier de ses belles forêts, de ses coteaux roussis au soleil, de ses étourdissantes cascades… ».

En mars-avril 1895, Rovel accompagne les Demont-Breton au Maghreb. En cette fin du 19ème siècle, l’Orientalisme est très en vogue auprès du public. Ce courant marque l’intérêt et la curiosité des artistes et des écrivains pour les pays du Couchant et du Levant. En 1893, la création du Salon des peintres orientalistes consacre le succès des thèmes exotiques. Puis, en 1908, la Société coloniale des artistes français rassemble les peintres orientalistes. Virginie Demont-Breton parle de leurs pérégrinations en Afrique du Nord de manière affectueuse, et révèle au passage le caractère cabotin et sympathique d’Henri Rovel : « Au départ, tandis que le train nous emportait vers Marseille où nous devions nous embarquer pour Alger, à bord du Général Chanzy, Rovel dit : Il faudra que chacun de nous inscrive ses impressions sur les pays merveilleux que nous allons visiter. En tirant de sa poche un petit carnet tout neuf, il inscrivit en première page : Notes Hebdromadaires ».

Si Virginie Demont-Breton peint beaucoup autour de Biskra, des campements, des tentes et leurs bédouins, Henri Rovel semble plus éclectique dans ses sujets. Attiré par la lumière de ces terres dorées, Henri Rovel voyage davantage. Il y peint dans la tradition orientaliste et laisse des vues de Tunis et des oueds africains, aux couleurs chatoyantes : « Village Fortifié en Tunisie », « Vue de Tunis au coucher du soleil » (achat par l’État en 1896, musée d’Épinal), « Plage de Monastir », « Oued Gabès », « Vue de Gafsa » (1900), « Village fortifié en Tunisie » (27 cm x 43 cm) visible au Musée Pierre-Noël de Saint-Dié. L’artiste séjourne également en Algérie et en rapporte dessins, croquis et peintures : « Vue d’Alger » (1899) et « Soldat Arabe », une très grande toile figurative, très colorée et expressive. Dans cette veine orientaliste, il réalise également des affiches pour les chemins de fer : « Vue de Tunis, Kairouan, El Djem, Tebessa, Bizerte », affiche en couleurs, lithographiée par la Société Lyonnaise de photochromographie (110 cm x 80 cm).

En marge de sa peinture, Henri Rovel réfléchit à la création artistique et publie en 1908 un article important intitulé « Les lois d’harmonie de la peinture et de la musique sont les mêmes ». Il pratique également la musique, notamment le piano. En plus des arts, Henri Rovel reste un polytechnicien et s’intéresse à la science. Passionné par les phénomènes météorologiques, il consacre les quinze dernières années de sa vie à l’observation et à la prévision du temps à venir. Observateur de son époque, il se montre également auteur engagé en laissant des ouvrages économiques et sociologiques : « Roman et étude sociale – Pour l’Humanité et la Patrie – Suppression de la misère » (1897), « Association du capital et du travail, seule solution pratique du problème social » (1901), « Le droit à la vie et l’éducation » (1908).

Dans la débâcle de la guerre de 1870, Henri Rovel rencontre Adrien Demont en passant à Douai. De cette rencontre va naître une longue amitié, à la fois intellectuelle et artistique. Cet artiste paysagiste lui fait connaître par la suite sa femme, Virginie Demont-Breton, et son beau-père, le fameux peintre Jules Breton. Virginie Demont-Breton raconte : « Au printemps 1888, peu après la naissance de notre petite Adrienne, comme j’étais encore alitée ayant été très souffrante, j’entendis un jour une exquise mélodie inconnue qui montait du salon, situé au rez-de-chaussée, et je reconnus le style très original de Rovel. […] Il venait de l’improviser. Il lui donna pour titre : La Jeune Mère, et me la dédia ». Invité à plusieurs reprises à Montgeron, Henri Rovel est reçu dès les années 1890 à Wissant, où le couple Demont-Breton a fait construire le Typhonium, leur belle demeure égyptisante, et découvre ainsi la Côte d’Opale. Les sujets wissantais puis boulonnais apparaissent alors dans son œuvre picturale.

Ses vues de Wissant sont interprétées dans la lignée du travail de Virginie et d’Adrien Demont. Henri Rovel traduit la vie maritime et les gens de mer dans un goût naturaliste, mais tout en privilégiant les paysages. Datée de 1896, sa toile la plus importante reste « Calvaire de Wissant » (huile sur toile, 64cm x 91cm) : dans cette composition apparaissent l’influence vosgienne et son goût pour les grands espaces verdoyants. La toile est divisée en deux parties égales, partagée entre le décor naturel traité en un camaïeu de verts, et le ciel et la mer confondus dans des tons bleus, verts et roses. Au premier plan, un groupe humain composé d’un vieux marin, d’un pêcheur habillé pour partir en mer, et d’une matelote agenouillée en habits traditionnels (calipette et robe à jupons), sont en prière devant un Christ en croix. Cette représentation forte du calvaire de Wissant, installé en contrebas du Typhonium, est un témoignage de la vie maritime et des croyances chrétiennes, qui aident à survivre aux drames de la mer.

La vie de ces marins transparaît également dans « Pêcheur de Wissant » (huile sur toile, 42cm x 24cm). Pris sur la dune, ce portrait en pied présente un pêcheur vêtu de ses habits traditionnels : les houssiaux (grandes bottes de pêche), la vareuse ocre, le bonnet surmonté d’une houppette rouge. Avec sa barbe touffue, fumant sa petite pipe, l’homme regarde au loin la mer plate et le Cap Griz-Nez, fermant la baie. Dans cette œuvre pittoresque, le dessin est posé et omniprésent, la palette reste cantonnée à la plus simple expression des couleurs réelles du sujet. Ainsi, Henri Rovel s’inscrit dans la veine naturaliste exercée à maintes reprises par Virginie Demont-Breton, qui peint la réalité des gens de mer de Wissant.

Une autre œuvre reprend un sujet emblématique, représenté par la plupart des artistes de l’École de Wissant, par Adrien Demont et Alexandre Houzé : « Le pont à l’entrée de l’Herlen » (huile sur toile, 31cm x 43cm). Prise de nuit, la vue figure le pont traversé par l’Herlen à la sortie du village, un soir de pleine lune. Dans des tons très monochromes, le bourg et son église se dessinent à peine à l’arrière-plan. Seule la lune, comme un phare céleste, éclaire de reflets bleutés et éclatants la petite rivière qui traverse le village.

Henri Rovel peint aussi Boulogne, la ville et son port. Il laisse notamment « Bal des Capucins à Boulogne », montrant une foule en liesse sur la Place Saint-Nicolas. Il participe également à l’Exposition d’Art de Boulogne en 1901. En effet, presque quinze ans après le succès de 1887, une nouvelle Exposition Internationale d’Art est organisée à Boulogne. Le comité qui rassemble entre autres le couple Demont-Breton, Francis Tattegrain, Fritz Thaulow, veut plus particulièrement mettre à l’honneur les sujets boulonnais. Adrien Demont en est le vice-président. L’exposition se déroule du 18 juillet au 15 septembre 1901, quai Gambetta, dans les nouveaux locaux de la Chambre de Commerce. Près de 600 œuvres sont exposées au public, essentiellement dans la « section internationale », le reste dans la « section boulonnaise » et dans la « section école de dessin de Boulogne-sur-Mer », qui rassemble les travaux des élèves primés. Aux côtés de ses amis artistes, Henri Rovel présente deux petites huiles, « La Liane à Boulogne-sur-Mer » et « Le Bassin à flot à Boulogne-sur-Mer » (n° 293 et 294), qui reçoivent un bon succès. Contrairement à son habitude, où l’artiste aime s’appuyer sur un dessin abouti servi par des couleurs franches, Henri Rovel expérimente cette fois-ci une palette plus douce qui construit l’espace. Dans « Le Bassin à flot à Boulogne-sur-Mer » (huile sur toile, 44cm x 27cm), l’artiste utilise un format vertical afin de renforcer le champ et la perspective de la vue. Au premier-plan, un voilier amarré au quai laisse échapper un bout de sa coque rouge. A l’arrière-plan, bateaux à moteur et voiliers sont alignés en attendant la prochaine sortie en mer. Tous ces navires semblent flotter sur une mer aux tonalités brunes. Les deux autres tiers de l’œuvre sont dévolus à un ciel traité en fines touches, légères et évanescentes, aux accents postimpressionnistes. Ainsi, dans cette toile, l’artiste se montre davantage évocateur de l’ambiance portuaire, que véritablement peintre naturaliste. En 1903, toujours aussi proche des Demont-Breton, il présente à l’Exposition des Beaux-arts de Boulogne un portrait des filles des peintres wissantais. Au Salon des Artistes français, Henri Rovel expose « Travaux du port de Boulogne-sur-Mer – Effet de Nuit » (1905) et « Un coin du port de Boulogne-sur-Mer – La Cale au Bois » (1906). Ces deux œuvres sont les dernières présentées par l’artiste à Paris.

Dans son tableau « Le dernier vol du capitaine Ferber au champ d’aviation de Wimereux » (huile sur toile, 25cm x 42cm), l’artiste représente le drame qui s’est joué le 22 septembre 1909. Ce jour-là, Ferdinand Ferber, ancien polytechnicien et pionnier de l’aviation, inaugure « La Semaine de l’Aéronautique de Boulogne-sur-Mer ». Lors de ce meeting aérien, le pilote fait un mauvais atterrissage, son avion Voisin touche un sol inégal et les roues se calent dans une rigole. La catastrophe n’est pas tout de suite visible. L’appareil bascule en avant à l’arrêt et le moteur s’écrase sur Ferber, qui néanmoins se dégage seul. « C’est bête tout de même, un accident comme cela » déclare t-il avant de succomber à une hémorragie interne un quart d’heure plus tard. De cet événement, Henri Rovel laisse une œuvre naturaliste, montrant la campagne boulonnaise, ses collines et ses moulins, ses prairies verdoyantes et ses chemins tortueux. L’avion biplan apparaît discrètement, réduit à la portion congrue, comme pour masquer le drame inéluctable.

Durant sa vie très riche en activités, événements et amitiés, Henri Rovel semble toujours vouloir apprendre. Sorti de l’atelier de Cormont, qui finalement ne lui enseigne que les bases académiques, l’artiste s’enrichit au contact du couple Demont-Breton, avec lequel il partage des moments d’amitiés et de créations picturales, à Montgeron puis à Wissant. Si les sujets boulonnais restent rares dans sa production, Henri Rovel a néanmoins bien saisi les paysages, les marines et les gens de mer de la Côte d’Opale. Doucement, il se libère du dessin, parfois trop rigide, pour s’ouvrir à une palette plus douce et lumineuse qui construit les volumes et l’espace. Virginie Demont-Breton salue son ami qui disparaît le 1er août 1926, âgé de soixante-dix-huit ans : « Jusqu’à la fin, il a étudié la météorologie et il a écrit. Quelle que soit la foi ou la philosophie qui l’a secouru à sa dernière heure, on peut dire qu’il est mort en contemplant le ciel ».

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Georges Griois (1872-1944) – de la couleur des quais boulonnais

Période faste et brillante, le début du 20ème siècle a connu les plus grands mouvements artistiques. Nés en France, des suites de l’Impressionnisme vers le Fauvisme et de l’utilisation toujours plus intensive de la couleur, ces mouvements marquent également profondément les artistes provinciaux. C’est dans cet esprit que s’inscrit la carrière de Georges Griois. Sa vie durant, à la manière de ses illustres prédécesseurs, cet artiste boulonnais croque à l’envi, la vie tumultueuse des quais, animés par des marins laborieux embarqués sur leurs navires chatoyants. Il y développe son art, sincère et coloré, rassemble ses confrères au sein d’une société artistique, et organise sa vie durant de nombreuses expositions. Très inspiré par Boulogne et son littoral capricieux, son œuvre forme aujourd’hui un véritable « album témoignage » de cette époque révolue, interprété dans un style chromatique des plus personnels.

Né à Boulogne-sur-Mer le 9 août 1872, Georges Louis Griois est le fils de Frédéric, employé de commerce, et de Julie Gervais, tous deux âgés de 23 et 24 ans. La famille demeure tout d’abord rue de l’Amiral Bruix, puis emménage rue Nationale. Malheureusement, la jeunesse du jeune Georges est endeuillée par la disparition prématurée de ses parents. Sa mère décède alors qu’il n’a que six ans (13 août 1878). Assez rapidement, son père se remarie à Marie Grare, repasseuse de métier, en juin 1879. Ce bonheur est précaire, puisque Frédéric Griois meurt à peine trois ans plus tard, le 7 mai 1882. Le petit Griois se retrouve orphelin à l’âge de 9 ans. Il est alors recueilli par son oncle, Eugène Duval. Entouré de ses trois cousins, Georges grandit dans la cordonnerie familiale, installée rue Damboise. Il fréquente l’école publique à Boulogne, puis à l’âge de 14 ans, avec son cousin Gaston, il est apprenti dans le métier de relieur. C’est l’époque où le futur artiste cultive son amour de la lecture et des beaux ouvrages.

Adolescent, il montre de véritables aptitudes au dessin et à l’observation de son environnement. A la fin des années 1880, Georges est admis à l’École municipale de Dessin de Boulogne, aux côtés du peintre Victor Dupont (1873-1941), qui lui lègue à la fin de son cursus une toile représentant un bouquet, et du sculpteur Paul Graf (1872-1947). Il y fréquente également Augustin Demizel, dont la mère habite rue Damboise, Lucienne Boulanger qui lui offre une nature morte, et Raoul Lamirand dont la palette chromatique est proche de la sienne. Georges Griois y suit les cours d’Arthur Cloquié, peintre de fleurs et de natures mortes, et des sculpteurs Ernest Péron et Adolphe Thomas (auteur du tombeau de l’historien Ernest Deseille, 1892). Son apprentissage est couronné de succès. En 1893, il reçoit une médaille d’argent (3ème classe) en « académie », puis une autre identique pour son travail en « modelage et sculpture« . A cette époque, Georges Griois produit surtout des copies d’œuvres, des paysages, des natures mortes et des bouquets.

Sa formation d’artiste est interrompue par le passage obligé du service militaire. Incorporé le 11 novembre 1893 au 8ème régiment d’Infanterie de Saint-Omer, il bénéficie finalement de l’article 21 du code militaire, qui dispense de service les « aînés d’orphelins« . Il est mis en congé le 25 septembre 1894, puis « passé dans la réserve de l’armée active le 1er septembre 1896« , selon son dossier militaire. Il est alors décrit comme un homme svelte mesurant 1.66 mètre, nantis de « cheveux et de sourcils châtains, d’yeux gris et d’un nez moyen« .

A son retour du service à l’automne 1894, Georges Griois s’oriente vers la décoration d’intérieur en travaillant chez un certain Gilles Mativat. Il travaille l’espace par quadrillage pour réaliser sur papier ses projets, avant de les mettre en peinture sur les murs de quelques belles maisons bourgeoises boulonnaises. Le 12 janvier 1899, il épouse Marie-Marguerite Rethier, modiste d’un an plus jeune, fille de Joseph, cordonnier, et de Marie-Louise Bardaux. Georges Griois quitte alors sa famille adoptive de la rue Damboise pour s’installer rue de l’Enseignement-Mutuel. Les débuts sont difficiles, Georges ne possède que ses outils de peintre (environs 50 francs), alors que Marie apporte l’essentiel du ménage, à savoir le mobilier et le linge de la maison, complétés par 1.318 francs de dot. Le couple aura trois enfants. En 1900, il rachète finalement le fond de commerce de Mativat pour y créer son premier atelier de peinture et décoration.

Si la vie artistique est à son apogée à Paris et dans les grandes villes, Boulogne n’est pas en reste. Après la création des Sociétés artistiques de Lille et d’Arras, et l’organisation des Salons provinciaux, certains artistes boulonnais se réunissent pour institutionnaliser et mieux structurer la vie artistique de leur ville balnéaire. Aux côtés de peintres fameux, comme Virginie Demont-Breton, Georges Maroniez, Ricard-Cordingley, et bien d’autres, Boulogne accueille de nombreux artistes en herbe, étrangers ou du cru. Le développement de la ligne de chemin fer, concomitant de la naissance du tourisme, entraine une demande accrue de souvenirs de plage et de toiles maritimes typiques. Ainsi, la bourgeoisie locale, nordiste ou anglaise, permet l’émergence de la peinture maritime sur notre littoral. Dès 1900, pour satisfaire une clientèle mondaine, le Casino de Boulogne organise une grande exposition internationale. Le succès est complet.

Dans ce contexte porteur, Georges Griois fonde, l’année suivante, avec Eugène Altazin, adjoint au maire et membre de la Chambre de commerce, la « Société Académique des Beaux-Arts et Arts Industriels de Boulogne-sur-Mer« . Une première « Exposition Internationale des Beaux-Arts » est inaugurée le 18 juillet 1901 par M. Roujon, directeur des Beaux-Arts, sous le patronage des grands peintres du moment : Virginie Demont-Breton, Francis Tattegrain, Henry Bonnefoy, Eugène Chigot et Fritz Thaulow. Installée dans les locaux du collège communal, l’exposition présente un ensemble de 600 œuvres (peintures, sculptures, céramiques, gravures), d’artistes boulonnais ou nordistes. Secrétaire de cette société de 1902 à 1904, Georges Griois y montre quatre œuvres en 1901, puis trois vues de Wimereux en 1903. Sa carrière semble maintenant lancée. Partagé entre la peinture et la décoration, Georges Griois s’intéresse également au théâtre pour lequel il dessine des décors, notamment lors des revues patoisantes, entre 1907 et 1914. Ces années d’avant-guerre sont fastes pour son art. Il parcourt Boulogne et y croque la ville et ses remparts. Quelques passages à Équihen lui font connaître les artistes installés dans ce petit havre de pêcheurs, notamment Jean-Charles Cazin et Edmond de Palézieux. L’estran est prétexte à la réalisation de portraits de pêcheurs au travail, armés de leurs outils et autres « basquettes » (panier de pêche). Sur des petits formats de bois, Georges Griois va à la rencontre de ce peuple de la mer qu’il peint à l’envi, dans des décors apprêtés où mer et ciel se confondent dans des bleus azurs et des roses pastels.

Si l’artiste suit tout d’abord un parcours académique, il s’engage rapidement vers les expériences nouvelles inspirées du Fauvisme et de l’Expressionnisme. Comme d’autres artistes de son temps, Georges Griois est influencé par le Fauvisme. Ce mouvement artistique, créé en 1905, influence tout l’art du 20ème siècle en libérant la couleur. Les peintres fauves ont recours à de larges aplats de couleurs violentes, pures et vives. Souvent, la couleur est séparée de sa référence à l’objet afin d’accentuer l’expression. Ainsi, Matisse, le maître du courant Fauve, peint sans complexe une herbe bleu. S’il aime le dessin, Georges Griois privilégie l’usage intensif de la couleur pour construire ses œuvres et mettre en scène ses sujets, sans pour autant dissocier sujet et couleur. Les vareuses des pêcheurs restent teintées d’un jaune orangé typique, quand les arbres des remparts boulonnais gardent leurs feuilles tachetées d’un vert translucide. Bon coloriste, le peintre pratique une touche légère, proche du Pointillisme, qui consiste à peindre par juxtaposition de petites touches de couleurs primaires et de couleurs complémentaires. Georges Griois obtient ainsi une peinture colorée et légère, emportée dans un mouvement salutaire. De manière rigoureuse, l’artiste s’applique toujours à étudier son sujet par le dessin préparatoire, le quadrillage et l’aquarelle avant de produire une œuvre finale à l’huile. Ses cahiers de croquis témoignent de cet attachement à restituer la stricte vérité visuelle. Ses portraits, ses scènes de quai et ses paysages gardent encore toute leur force et reflètent une touche maîtrisée. Dans cet art bien personnel, les œuvres de Griois sont très reconnaissables et répondent à une époque moderniste, tentée par des intentions picturales nouvelles.

Toujours très actif, Georges Griois fait évoluer sa société d’art en « Société des Artistes Peintres, Sculpteurs et Architectes Boulonnais« , créée le 11 juillet 1911. A l’image de la Société des Artistes français installée à Paris, Griois s’attache à fédérer les artistes boulonnais afin de mieux faire connaître leurs œuvres. Le siège de cette société est établi place Capécure, au sein du quartier maritime. En 1913, l’artiste illustre les revues patoisantes boulonnaises à succès « Aïe m’mère » et « Boulogne de plus en plus poubelle« . Le port de Boulogne est à son apogée, et Georges Griois continue à en croquer chaque jour l’effervescence, à travers ses chalutiers chamarrés et ses scènes de quais évanescentes. A la même époque, il réalise les décors muraux de la Taverne Anglaise, établissement réputé installé sur le quai Gambetta, ainsi que ceux de l’Hôtel-de-ville et des jardins du casino. L’horreur de la Première guerre mondiale porte un coup d’arrêt provisoire à cet art généreux.

Déjà nommé caporal le 30 octobre 1909, en récompense à son investissement dans l’armée de réserve, Georges Griois est mobilisé dès le 1er août 1914. Mais son état de santé le préserve du front. Le 18 février 1915, la commission de réforme de Boulogne le place dans les « services auxiliaires« , en raison de sa myopie et de sa surdité. Le 26 décembre 1915, il est affecté au petit dépôt de munitions de Boulogne. En mars 1916, il part à Montluçon, prendre un poste dans les ateliers de chargement. Le 5 novembre 1916, à la suite de la loi Dalbiez, il est finalement affecté dans un bataillon d’Infanterie, mais ne semble pas combattre. Il est finalement libéré le 1er octobre 1918 et retourne à Boulogne.

Après le conflit et le retour à la paix, les affaires reprennent. Son entreprise de décoration connaît une prospérité nouvelle, employant jusqu’à une quinzaine d’ouvriers. Une grande bâtisse située au 21 boulevard Clocheville devient la maison familiale et accueille également l’atelier, aménagé sous une verrière au fond de la cour. En 1920, Albert Chatelle, académicien et conservateur au musée du Louvre, lui demande d’illustrer la couverture de son ouvrage, maintenant fameux, « Boulogne sous les Bombardements« . Cette collaboration sera la naissance d’une amitié. Toujours motivé par sa passion, Georges Griois demande à la ville de Boulogne de soutenir ses projets en faveur des jeunes artistes, souvent en difficultés matérielles après quatre années de guerre destructrice. Dans une lettre datée de juin 1920, Georges Griois déplore « les conditions lamentables dans lesquelles se débat l’Académie municipale de dessin« . Et il note qu’étant « donné l’importance primordiale de cette institution qui a contribué à former de nombreux artistes, professeurs, artisans, patrons et ouvriers, […] », il est important de créer de « nouveaux cours d’apprentis« . La ville répondra à son attente. Participant à la réfection des chapelles de la cathédrale en 1921, Georges Griois travaille à la composition de sept personnages, disposés au-dessus de chaque arc-doubleau.

Devenu membre en 1924 de la Société des Artistes Indépendants à Paris, Georges Griois expose à ce prestigieux salon en 1925, de 1927 à 1930, de 1932 à 1939, et enfin de 1942 à 1944. A chaque fois, il y présente à un public averti deux œuvres emblématiques de son art. Il montre également son travail au Salon des Tuileries, mais ne semble pas fréquenter le Salon d’Automne. L’artiste participe aussi à des salons provinciaux et monte des expositions personnelles. En 1926, une grande exposition sur « Georges Griois, peintre de la Grande Pêche » est organisée à la galerie Decroix, rue Faidherbe à Boulogne, avec 43 œuvres. Pourtant, le succès n’efface pas la mort prématurée de l’épouse du peintre, Marie Marguerite, le 21 décembre 1928. Très affecté par ce nouveau drame familial, l’artiste choisit de prendre du champ et s’éloigne un temps de Boulogne. Dès février 1930 et durant quelques mois, Georges Griois voyage ainsi en Norvège, à Sauda, Stavanger et Bergen, où il produit des œuvres très lumineuses et épurées, qui mettent en exergue la beauté sauvage des grands fjords.

Toujours en 1930, une exposition personnelle montée dans le hall du journal Le Télégramme à Boulogne connaît un franc succès. L’année suivante, ses œuvres rencontrent une nouvelle fois le public parisien lors d’une exposition tenue à la galerie des Palais, avenue de Versailles. En 1932, Georges Griois accroche aux cimaises du palace du Royal Picardy du Touquet une collection de 22 tableaux. L’accueil du public est enthousiaste devant le « Chalutier Givré« , le « Soir d’Hiver aux Remparts« , « Le Quai« , « Le Caquetage » très typique, ou « Les Pêcheurs« . Le grand écrivain André Mabille de Poncheville, qui a déjà consacré un ouvrage à l’artiste en avril 1931, est dithyrambique : « Les bassins avec leurs voiliers devenus rares, leurs chalutiers aux lignes superbes, aux coques empourprées de rouille ou fraîchement peintes au minimum, les cheminées exhalant vers le ciel des torrents de fumée, autant de motifs qu’il s’agissait de rendre avec l’atmosphère qui les enveloppe d’une harmonie. L’activité humaine, enfin qui se déploie parmi eux, surtout lors de la saison du hareng, est celle que Georges Griois a enregistrée dans une toile de grande dimension, La Harengaison« . Plus qu’un art coloré, l’œuvre de Georges Griois devient un témoignage du temps passé, de la grande marine à voiles, irrémédiablement disparue. En 1934, il participe toujours à la Société des Beaux-Arts de Boulogne en présentant deux œuvres. Il récidive en 1936 avec quatre nouveaux tableaux.

A l’automne 1935, grâce à son amitié ancienne avec les peintres André Léveillé (1880-1963) et Victor Dupont (1873-1941), Georges Griois participe à une expérience des plus novatrices pour l’époque : le « Train Exposition des Artistes« . Cette exposition itinérante, forte d’environ 500 œuvres, parcourt la France durant un mois et demi. Partie le 17 septembre, elle passe par Chartres, Laval, Cherbourg, Caen, Rouen, puis Beauvais, Amiens, Abbeville, Boulogne (9-10 octobre), Calais (11 octobre), Dunkerque (12-13 octobre), Arras (14-15 octobre), Lille (19 octobre), et s’achève le 31 à Soissons. Le concept est simple : les visiteurs contemplent les œuvres exposées dans les wagons à quai et peuvent les acheter directement. Le succès est immédiat et nombre d’artistes célèbres y participent : Georges Andrique de Calais, Abel Bertram de Saint-Omer, Omer Bouchery graveur de Lille, Félix Desruelles sculpteur de Valenciennes, le peintre-mécène Henri Duhem de Douai, le Fauve Othon Friesz, les fameux Marcel Gromaire et Henri Matisse, Lucien Jonas, Jules Joëts de Saint-Omer, Henri Le Sidaner, André Lhote, Richard Maguet d’Amiens et Robert Pinchon, maître de l’École de Rouen. Georges Grois y présente deux œuvres sur bois très pittoresques : « Boulonnaises » coiffées de leurs imposants soleils, et « A la m’sure« , mis en vente 600 et 800 francs, ce qui constitue des prix plutôt modestes. La critique est bonne : « Arrêtons-nous un instant sur Georges Griois, qui, longtemps, s’est confiné avec trop de modestie, et propose depuis quelques années d’excellentes œuvres dans de justes et agréables tonalités. Cet artiste fait honneur à sa ville« . L’année suivante, il renouvelle l’expérience ; ce sera sa dernière participation à cette manifestation qui s’arrête définitivement avec la guerre.

Pendant trois années, de 1937 à 1939, Georges Griois montre sa peinture au public breton. La « Société Lorientaise des Beaux-Arts » reçoit durant ces années huit, puis cinq et enfin trois tableaux de l’artiste. Mais la guerre et ses aléas dramatiques mettent un terme brutal à sa carrière. En 1942, Georges Griois est évacué et part habiter chez sa fille à Eaubonne dans le Val d’Oise. Durant cette période angoissante, il croque néanmoins les rivages de l’Oise et produit « Les Péniches » et « Les Bords de l’Oise« . En décembre 1943, il retourne à Boulogne, qu’il retrouve dévastée. Les charmantes scènes de quai, qu’il a produit quarante années durant, sont maintenant un poignant souvenir d’un passé encore proche, rasé par des bombardements aveugles. Très affecté par cette situation, l’artiste regagne Eaubonne. Au Salon des Indépendants de 1944, il présente ses deux dernières toiles : « Les Ormes sous la Neige » (vue des remparts de Boulogne en décembre) et « Entrée du Village sous la Neige » (Tournehem). Il décède le 27 novembre 1944 à Ermont (Val d’Oise), à l’âge de 72 ans, et repose aujourd’hui aux côtés de sa femme au cimetière de l’Est à Boulogne.

Au-delà d’une carrière bien remplie et couronnée de succès, de voyages et de rencontres, Georges Griois reste un artiste boulonnais emblématique. Formé dans sa ville natale, il choisit d’y rester sans répondre aux sirènes de la capitale, contrairement à son ami Victor Dupont qui tente l’aventure parisienne. Très engagé dans la vie artistique boulonnaise, il anime de ses toiles pittoresques la vie artistique des années fastes mais troublées, de la Belle Époque aux Années Folles. S’il n’a pas révolutionné le « Grand Art » par ses audaces chromatiques, Georges Griois conserve une palette très personnelle et sait mettre en scène, dans un mouvement toujours attractif, les personnages et les endroits qu’il peint. Mais surtout, au-delà de son dessin assuré, de ses couleurs maîtrisées et de sa touche éthérée, Georges Griois, acteur et témoin d’une époque artistique passionnante, demeure « le chantre d’une marine boulonnaise disparue« .

Auteur : Yann Gobert-Sergent