Dès le milieu du 19ème siècle et jusqu’à la Première guerre mondiale, le littoral boulonnais reçoit une foule nouvelle d’excursionnistes, anglais ou français, aristocrates ou bourgeois, venus chercher un dépaysement balnéaire. En marge de ce tourisme naissant, se développe la vente de souvenirs de bord de mer. Outre la colonie de peintres qui parcourt l’estran à la recherche de pêcheurs à « croquer », à l’instar de George Ricard-Cordingley (Wimereux) ou de Virginie Demont-Breton (Wissant), d’autres artistes s’inspirent du monde maritime. Dans ce contexte, un homme va se spécialiser dans la production de petites statuettes en terre cuite. Eugène Blot, qui s’installe à Boulogne dès 1854, y produit des sujets attachants, d’une très belle qualité, destinés aux touristes.
La famille Blot est originaire de Marconnelle, près d’Hesdin, où le père d’Eugène est fabricant de pannes et de tuiles. Quelques années plus tard, la famille s’établit à Grandvilliers dans l’Oise, où né le 14 novembre 1830 Eugène Blot. Prédestiné à reprendre la fabrique de son père, Eugène est attiré dès sa plus jeune enfance par la terre, facile à manier, façonner, à rendre vivante. Son père l’encourage dans cette vocation. Dès 1842, Eugène suit des cours de dessin dans un collège à Dieppe. C’est dans cette ville qu’il rencontre Marie-Anne Thierry, qu’il épouse et qui lui donne un premier fils, Félix, en 1854.
A la même époque, Eugène abandonne l’atelier paternel et devient débardeur de charbon sur les navires amarrés dans le port de Dieppe, où il y côtoie les ouvriers et le monde maritime. Pourtant ingrate, cette fonction lui fournit de nombreux premiers modèles qu’il façonne le soir en revenant du travail. A la suite de cette expérience ouvrière, il enchaîne plusieurs professions, dont contremaître, qui n’ont d’intérêts pour lui que le salaire. Puis, il quitte Dieppe et fait une rencontre déterminante pour sa carrière. Dans ses mémoires, Eugène raconte : « M. le comte de Coët-Logon m’a commandé son portrait et diverses statuettes qu’il m’a payés largement. J’ai fait un groupe qui a été mis en loterie et gagné par l’archevêque de Rouen. Plusieurs autres personnages hauts placés m’ont acheté d’autres pièces, en applaudissant à mes efforts laborieux ». Ces premières commandes jettent les bases de son commerce, qui va prendre son ampleur à Boulogne-sur-Mer.
En 1855, Eugène Blot s’installe à Boulogne, rue Royale, puis rue Thurot, et enfin rue de l’Écu (rue Napoléon) en 1860. Dans son atelier, il sculpte dans la terre cuite des sujets maritimes, puisés au fil de ses rencontres lors de ses promenades sur le port ou l’estran boulonnais. Marins, pêcheurs, matelotes et autres ramendeurs de filets deviennent prépondérants dans sa création artistique. La technique est connue et immuable pour créer ses sujets.
Le Journal de l’Académie Nationale de juin 1860 relate parfaitement la technique et les résultats de la fabrique Blot : « M. Blot soumet à l’appréciation du Comité quelques statuettes en terre cuite représentant les pêcheurs du littoral boulonnais. Le comité constate la parfaite exécution, et la touche pleine de finesse, d’art et de vérité de ces charmantes statuettes. Les groupes sont d’une animation saisissante, et les individus isolés ont tous une pose et une attitude qui frappent par le naturel et l’exactitude du type de la belle population maritime de Boulogne. M. Blot fait suivre son envoi de quelques détails plein d’intérêts sur la manière dont il prépare la terre, qui est extraite des falaises boulonnaises, et cuit ses statuettes. Deux tiers de terre glaise et un tiers d’argile manipulés, bien mélangés, forment la matière première de ce travail. Pour modeler cette terre, M. Blot se sert de régulateurs en terre cuite de son invention. Il est proscrit l’emploi du fil de fer. Quand les objets modelés sont secs, il les place dans un four disposé exprès pour les recevoir, et dans lequel il fait du feu pendant vingt-quatre heures. Le feu est conduit graduellement jusqu’à ce que la flamme sorte blanche du milieu des objets. Alors M. Blot ferme le four hermétiquement et ne donne de l’air que le lendemain. Cet air doit être donné peu à peu, et avec une grande précaution. Grâce à ces soins, les objets modelés résistent à l’ai aussi bien que la terre la plus dure. »
Les années passant, Eugène Blot connaît une belle notoriété et les commandes affluent, pour preuve ce courrier en date du 3 janvier 1863. L’artiste écrit au maire de Boulogne : « J’ai l’honneur de soumettre à votre approbation l’envoi au musée de notre ville les portraits en bustes dont voici les noms : MM. Menche de Loisne, d’Hauttefeuille, Mariette, Adam, Alexandre, Demarle, docteur Cazin. Si monsieur le Maire, vous daignez accepter mon initiative, je me propose pour l’avenir dans l’intérêt de l’illustration boulonnaise, de rechercher et reproduire afin de pouvoir être conservés les traits des honorables personnes, qui se sont plus ou moins rendues utiles à notre cité. » Tous ces bustes, saisissants de finesse et de réalisme, sont conservés au château-musée de Boulogne.
En 1865, Eugène participe à l’exposition philomathique (scientifique et artistique) de Bordeaux. L’année suivante, il figure à celle de Dublin. En 1867, il montre à l’Exposition Universelle de la pêche à Boulogne une large panoplie de sa production : figurines, groupes de personnages, bustes, pipes à têtes de matelots, coquillages ouvragés et pots à tabac. Malgré tous ces honneurs, Eugène Blot n’est jamais admis au Salon des Artistes français, véritable reconnaissance artistique, ce qui l’attriste toute sa vie durant. On lui reproche de trop favoriser le détail des costumes au détriment de l’expression des visages, et de s’inscrire dans un misérabilisme et une théâtralité trop prononcés.
A partir de 1870, Eugène Blot se désinvestit de son travail et laisse la fabrique à ses trois fils Félix, Achille et Ernest. Achille est le seul à créer de nouveaux modèles et à atteindre un bon niveau artistique, les deux autres enfants ne produisant que des modèles moulés de moindre qualité. Eugène Blot quitte Boulogne en 1893 pour l’Oise, où il meurt en 1899 à l’âge de 69 ans.
Aujourd’hui, on peut encore ainsi admirer des pêcheuses de crevettes, des marchandes de poissons, des pêcheurs en cuissardes, ou des matelotes arborant fièrement leur soleil boulonnais. Les œuvres les plus caractéristiques d’Eugène Blot sont de petites sculptures, hautes de 15 à 30 cm, en terre cuite rougeâtre, allant souvent par paire (Couple de Boulonnais, Marin et Pêcheuse de crevettes, …). La physionomie des personnages est rendue avec habileté et le costume est restitué avec un souci scrupuleux des détails et des accessoires. Malgré la simplicité du matériau de base, la qualité de la réalisation dépasse de loin la notion de simple souvenir ou de document anecdotique. En témoignent d’ailleurs des pièces plus importantes, composées de nombreux personnages, véritables scènes de genre d’une grande valeur artistique. Plus rarement, l’artiste a laissé des bustes de pêcheurs ou de matelotes, d’un coût plus accessible à l’époque pour le touriste.
Durant ses vingt années d’activité artistique, Eugène Blot a dispersé à travers les touristes un témoignage révolu de la vie maritime boulonnaise. Son art s’inscrit dans le courant réaliste de la grande sculpture du milieu du 19ème siècle, et témoigne d’un climat artistique porté sur les scènes typiques et les personnages pittoresques. La participation de Pierre Graillon et de Victor Fourdrin, autres artistes reconnus, et d’Eugène Blot aux grandes expositions universelles, régionales, générales ou maritimes, de la seconde moitié du 19ème siècle, est un des facteurs principaux de diffusion et de succès de cette forme d’art. A l’instar de la peinture, Eugène Blot a eu une approche similaire, très naturaliste, en composant des tranches de vie du peuple de la mer.
Auteur : Yann Gobert-Sergent