Catégorie : Biographie

Gaston Balande (1880-1971) – le dernier peintre naturaliste d’Etaples

Gaston Balande a une histoire familiale mouvementée. Ses grands-parents, qui tiennent l’hôtel de la Gare à Saujon, apprennent que leur fille a une liaison avec le chef de gare, Amédée Reynaud, marié et déjà père d’un enfant. Enceinte, elle s’enfuit avec son amant à Madrid où elle accouche de Gaston, le 31 mai 1880. Bien plus tard, en 1891, elle se marie avec Fernand Balande qui donnera son nom à Gaston. Le jeune garçon n’a pas une enfance heureuse et se réfugie souvent dans le dessin. Gaston Balande développe son talent artistique de manière autodidacte en s’inspirant des gravures et des chromolithographies exposées sur les étals du marché de Saujon. Ses compétences en dessin s’améliorent rapidement, et il remporte même le premier prix de dessin à l’école primaire. Après son certificat d’études, il travaille chez un carrossier puis un peintre décorateur à La Tremblade.

En 1898, il intègre l’atelier d’un restaurateur de cadres et de tableaux anciens à Cholet, où il y reçoit ses premières notions en art et en peinture. Il décide alors de persévérer dans cette voie. Contraint par sa précarité, Gaston Balande doit enchaîner des emplois temporaires au détriment de sa formation artistique. Cependant tout change, lorsqu’en 1900, Alfred Coutureaud, abbé de Royan et peintre amateur, intervient et lui présente son ancien professeur, Henri Harpignies (1819-1916). Cette rencontre se déroule à Paris, lors de l’Exposition universelle de 1900. Élève de Corot et membre éminent de l’École de Barbizon, Harpignies termine sa carrière prolifique. Très influent, il rédige une lettre de recommandation pour Gaston Balande, à l’attention du directeur de l’École des Beaux-arts de Paris, afin qu’il puisse intégrer les cours et améliorer ses compétences en dessin.

A Paris, Gaston Balande renoue avec des emplois précaires et s’active dans un atelier de peinture d’enseignes. Malgré ses journées de travail éreintantes, il suit les cours du soir à l’école de dessin de la rue Étienne-Marcel. Il rend visite à plusieurs reprises à Harpignies, « son protecteur », pour que ce dernier puisse évaluer ses progrès. Après un premier échec, il entre à l’École nationale des arts décoratifs de Paris en mars 1901. En 1902, Gaston Balande est déclaré apte pour le service militaire, ce qui l’oblige à suspendre ses cours à l’École des arts décoratifs. Dans un premier temps, il est affecté à Bordeaux, puis à La Rochelle, où il fait la rencontre du peintre Furcy de Lavaux, également conservateur du musée des Beaux-arts de la ville. Ce dernier l’invite à suivre des cours du soir de dessin. Transféré enfin à Paris, un caporal fortuné de la caserne lui passe commande de son premier tableau : un coucher de soleil sur la Seudre à Ribérou, représentant le port de Ribérou à Saujon. Balande envoie cette œuvre au Salon des artistes français, mais elle est refusée par le jury.

Après son service militaire, Gaston Balande se marie à Paris le 3 septembre 1904 avec Claire Roux. Cette union précipitée lui permet de reconnaître la paternité de son fils Paul Gaston, né le 1er août. C’est l’époque aussi où le jeune artiste reprend ses cours du soir à l’École des arts décoratifs. Il fréquente également les ateliers de Jean-Paul Laurens (1838-1921), peinture d’histoire, et de Rupert Bunny (1864-1947), peintre australien actif à Etaples. Fort de ces enseignements reçus, il se présente avec succès au Salon des artistes français de 1905 avec un tableau ambitieux intitulé Quai d’Orsay en hiver. L’Académie des Beaux-arts, par le biais de l’Institut, reconnaît immédiatement la valeur de cette toile et décerne à Gaston Balande le prix Édouard-Lemaître, qui récompense l’œuvre d’un paysagiste âgé de moins de 25 ans. Selon les Mémoires de Balande, le maître Fernand Cormon aurait joué un rôle important dans cette nomination. D’ailleurs, Cormon lui propose de rejoindre son atelier à l’École des Beaux-arts, ce que Balande n’officialise qu’en 1909.

À partir de 1914, une nouvelle orientation vers une peinture lumineuse se profile lorsque Gaston Balande se consacre à son éclatant chef-d’œuvre intitulé Sur les bords de la Seine. Autour de lui, penché sur sa palette, les convives se délectent d’un pique-nique, se plongent dans la lecture, pêchent et naviguent sur la Seine, lieu qui est devenu le terrain de jeu privilégié des Parisiens. Gaston Balande trouve refuge à La Rochelle, au printemps 1918, puis s’installe peu après la guerre dans le village voisin de Lauzières. L’artiste se laisse guider par son exploration du Pays d’Aunis, dans la campagne rochelaise. En compagnie de Paul Deltombe (1878-1971), ami de Victor Dupont (1873-1941) et des Fauves, il expose à la prestigieuse Galerie Devambez à Paris en 1919. En 1920, Gaston Balande rencontre Albert Marquet (1875-1947), avec qui il partage des séances de peinture en plein air, puis fait également la connaissance de Paul Signac (1863-1935), maître du Pointillisme. Il participe également à la Biennale de Venise, ainsi qu’à de nombreuses expositions à l’étranger, que ce soit au Brésil, en Belgique, en Suisse, en Italie. Aux États-Unis, il expose à Pittsburgh aux côtés de grandes figures telles que Georges Braque, Pablo Picasso et Maurice de Vlaminck. En 1929, il entreprend un voyage au Maroc, ramenant avec lui de nombreuses études colorées, réalisées sur le vif.

Sa trajectoire artistique s’épanouit au gré des rencontres et des voyages, animée par un esprit créatif en perpétuelle mutation vers une modernité toujours plus affirmée. En 1934, une commande d’envergure lui est confiée par la Compagnie générale transatlantique : la réalisation d’un imposant panneau décoratif destiné au salon d’écriture des premières classes du paquebot Normandie. En 1935, lors d’une croisière en Italie, Gaston Balande découvre la Sicile et, à Venise, puise son inspiration pour peindre le majestueux Palais des Doges depuis le ponton du navire. Le peintre partage son savoir-faire dans l’art du paysage avec ses élèves étrangers à l’École Américaine du Palais de Fontainebleau, poste qu’il occupe depuis 1926. Dès 1931, il devient également conservateur du musée de La Rochelle. À la fin de la guerre, en mai 1945, Gaston Balande célèbre cet événement marquant à travers sa toile intitulée La Libération de La Rochelle, puis réalise Réception du général de Gaulle par la ville de La Rochelle, œuvre acquise par l’État en 1946. En 1957, Gaston Balande prend la décision de vendre sa demeure de Senneville, optant pour la conservation de son atelier parisien ainsi que de sa maison à Lauzières.

L’artiste peint jusqu’à la fin de sa vie. Il participe activement au Salon des artistes français dès 1905 jusqu’en 1932, au Salon d’Automne de 1913 à 1944, au Salon des Indépendants de 1921 à 1939 (sous la présidence de Paul Signac et de Victor Dupont), expose à la Société coloniale des Artistes français de 1921 à 1963, dans les régions, au Salon de Bordeaux de 1909 à 1939, de Lyon en 1910-1911 et en 1928 et 1937, de Nantes de 1909 à 1914 et de Dijon de 1931 à 1938, à la Galerie Georges Petit de 1915 à 1934, aux galeries Eugène Druet (1935 à 1938) et Devambez, ainsi qu’à l’étranger (Rome, Milan, Bruxelles, Copenhague, San Francisco, …). Gaston Balande meurt à Paris le 8 avril 1971 et repose au cimetière de Nieul-sur-Mer.

Son passage à Etaples nous est connu grâce à son carnet intime, dans lequel Gaston Balande note, dans un style très libre, les événements importants de sa vie ainsi que son arrivée sur la Côte d’Opale en 1907. Ainsi, il raconte : « A 27 ans je devins possesseur d’un bout de terrain à Etaples, sur les bords de la Canche. Lieu bien situé en angle de rue, en plein soleil, d’une vue admirable sur l’horizon. J’ai eu l’idée d’y faire édifier quatre murs pour un atelier mesurant dix mètres de long sur quatre de large, non pas sans mal puisqu’ils s’écroulèrent pendant la construction. Enfin reconstruit, là, on y passait plusieurs semaines chaque année. Parfois, les fortes tempêtes y causaient quelques dégâts à la toiture. Malgré l’aménagement précaire, cet atelier me fut utile pour l’exercice de ma profession, par les intempéries ou, avec vingt sous, à l’abri, je faisais poser des modèles toute une matinée. Lors d’une année, en but de rapprochement vers nos familles dans le Sud-Ouest, nous ne pûmes l’occuper pendant la période des vacances, aussi, l’avais-je prêté au peintre Jules Adler, sans aucun dédommagement, simplement afin de lui rendre service. J’avoue que, comme compensation, il m’avait proposé pour la Légion d’Honneur au Comité de la Société des artistes français, et peut-être à ses amis influents. »

Peintre des gens de mer, Jules Adler (1865-1952) porte un regard empreint de conscience sociale sur le monde de la Marine, particulièrement à Equihen et à Etaples. Avec une différence d’âge de quinze ans, il exerce une influence considérable sur Gaston Balande, tant dans le choix de ses sujets que dans leur traitement, mettant en lumière la rude réalité des métiers de la mer. Membre de la Colonie d’Etaples, le peintre australien Rupert Bunny (1864-1947) apporte également son soutien à Gaston Balande au début de sa carrière. Il est mentionné comme étant son maître dans les différents livrets des Salons. Cependant, les personnalités des deux hommes sont peu conciliables, et leurs chemins se séparent rapidement. A la veille de la Grande guerre, le peintre compte ses soutiens : « Maintenant, j’avais des amis sur lesquels je pouvais compter : M. Dubois aux artistes français, Cormon à l’Institut. Quant à Bunny, il changeait, devenant réservé, peut-être qu’il soit… ombrageux devant mes succès, car au fond qui étais-je ? ». Malgré les tensions persistantes et le désintérêt croissant du peintre australien, l’influence du style quelque peu grandiloquent de Rupert Bunny, fervent adepte des allégories intimistes, se manifeste dans certaines compositions de Gaston Balande. Finalement, c’est le discret M. Dubois, originaire de Boulogne, qui semble avoir joué un rôle essentiel en attirant Balande sur les côtes de la Manche. Secrétaire du jury des Prix et responsable des accrochages au Salon parisien, il convainc le jeune artiste à se rendre dans le Boulonnais pour étudier des marines et concourir pour un prix de l’Institut. Enfin, le travail de Gaston Balande use de rendus chromatiques sobres et froids, également utilisés par Eugène Vail (1857-1934), même s’il n’est pas mentionné. La proximité de ces deux artistes s’avère patente.

Au-delà de ces péripéties artistiques, les séjours de Gaston Balande dans le Nord de la France semblent être entravés par les conditions climatiques, parfois rigoureuses pour un « méridional » : « Je commençais à me lasser des intempéries d’Etaples. Toujours la brume ou la pluie, toujours le grand vent de la Manche, la mer, toujours grise, souvent le ciel terne, monotone sans soleil et, en plein juillet, il fallait avoir du feu dans l’atelier. Je n’avais point été habitué dans ma jeunesse aux jours tristes du Nord de la France. En Charente Inférieure, comme on le nommait autrefois, j’avais connu seulement les quelques semaines de mauvais temps d’hiver, où le climat est plutôt celui du Midi, du Soleil. Par conséquent, une certaine nostalgie m’inquiétait, ainsi que mon tempérament susceptible au froid. » Cette ambiance parfois maussade enferme quelque peu sa palette dans des tons froids et sombres, comme l’artiste le rappelle, comme pour justifier a posteriori ses quelques œuvres monochromes. Malgré cela, son art connaît un bon succès dans les expositions officielles et provinciales : « Seulement l’art a dominé à Etaples. Si j’ai parfois souffert pour lui avec ma santé, j’ai eu à en jouir par de réels succès. Le soleil me manquait, ceci m’influença dans mes œuvres et ce fut ma manière noire. »

L’hiver 1913-1914, l’artiste le passe à travailler sa Noce Boulonnaise ; c’est l’une de ses dernières œuvres étaploises. A l’été 1914, Gaston Balande part peindre ailleurs : « En juillet, nous avions fait un essai de louer dans l’île de Bougival à la Grenouillère de Maupassant, un chalet au bord de la Seine, où nous y passâmes le mois jusqu’aux lueurs effarantes du monde en émoi. » Comme les autres artistes de la Côte d’Opale, la Première guerre mondiale sonne le glas de l’Ecole d’Etaples : « Depuis, survint 1914, avec la guerre menaçante en plein été ; il n’est plus question d’Etaples. Nous évacuons Paris pour Saujon en Charente Inférieure le matin du 2 août, par le dernier train en partance vers la région, avant la mobilisation. L’effervescence régnait partout, c’est en débarquant que nous apprenons la déclaration de guerre avec l’Allemagne. Déjà on se battait à la frontière. Nous devions ne plus revenir à Etaples. Les Allemands ayant occupé le Nord, aucune nouvelle de l’atelier ne m’était parvenue. Néanmoins, en 1919, à cette époque, j’ai appris qu’il avait été pillé par les gens du pays, il n’y restait, parait-il, même plus les planchers du parquet, ni les volets de clôture. Je l’ai vendu en 1921 à un graveur Anglais. Jamais je ne l’ai revu et ce qu’il en était advenu. »

L’épopée étaploise de Gaston Balande demeure finalement circonscrite, s’étendant de l’année 1907 à l’été 1913, soit sept années, certes, mais d’une créativité bien foisonnante. Malgré cette période éphémère, l’artiste engendre une série d’œuvres pittoresques, véritable hymne à la vie maritime boulonnaise. Chaque venue estivale, le peintre se délecte d’une errance dans les ruelles de la cité portuaire, se mêlant aux marins et à leurs familles, arpentant l’estran à la recherche de scènes de pêche typiques. Tel un Francis Tattegrain, il s’imprègne de la justesse naturaliste pour représenter ses sujets, conférant ainsi à ses toiles un caractère quasi-ethnographique.

Gaston Balande envoie au Salon des artistes français plusieurs œuvres étaploises, souvent produites dans de larges formats, servies par des teintes foncées, presque brunes, mais toujours animées et dynamiques. Dès 1907, Le Départ pour la pêche (musée des Beaux-arts de La Rochelle) fait sensation et lui octroie une médaille : « Le baron de Rothschild est un véritable mécène pour les artistes. Chaque année, il achète un certain nombre de tableaux dont il fait la répartition dans les musées de province. Cette année, c’est La Rochelle qui a bénéficié de ses largesses, avec le tableau de Gaston Balande : Le Départ pour la pêche, qui a figuré au Salon de cette année. L’œuvre, comme son nom l’indique, représente des matelots qui poussent vigoureusement une chaloupe à la mer » (Le Courrier de La Rochelle, 7 novembre 1907). En 1908, l’artiste présente deux œuvres étaploises : Au revoir, min fieu et Désarmement du bateau, détruite dans l’incendie du musée de Dunkerque en 1940, dont subsiste l’étude très proche. En 1910, il envoie Allons, allons, embarque! Scène de quai à Etaples, figurant la hâte d’un départ de pêche pris sur le vif.

L’année suivante, Gaston Balande continue dans cette veine avec L’arrivée au quai à Etaples (musée des Beaux-arts de Dunkerque). Enfin, en 1912, il achève sa série avec Retour de pêche à Etaples, d’un beau format (184cm x 220cm), conservé aujourd’hui à la mairie de Saujon. L’artiste accroche également aux cimaises des Salons régionaux ses œuvres, notamment Les gens de mer à Etaples à la 53ème exposition de la Société des Amis des Arts de Douai durant l’été 1907, puis le même tableau à la 28ème exposition de la Société artistique de Roubaix en octobre de la même année. Il présente Marée basse à Etaples en juillet-août 1908 au Salon de la Société des Amis des Arts de Douai et y remporte une médaille. Gaston Balande envoie une dernière fois au Salon de la Société des Amis des Arts de Douai un tableau intitulé Rentrée au port d’Etaples à l’été 1910. Lors de ces événements artistiques, Gaston Balande produit des scènes de quais étaploises pleines d’énergie, où la figure humaine est toujours mise en exergue. Tels des portraits à part entière, il rend hommage à la population laborieuse, aux gens de mer à Etaples, dans un décor marin bien construit et abouti.

Au terme de son passage dans la région Nord, Gaston Balande apparaît comme l’un des derniers peintres naturalistes de la Colonie d’Etaples. Attaché au « beau métier » et à la peinture sur le motif, conscient de représenter des tranches de vie authentiques des gens de mer, toujours attentif aux conseils de ses maîtres et à la modernité dans son art, l’artiste laisse une œuvre précieuse. « Du talent, du courage, des sympathies, la bonté de ses chefs, tel est le bagage avec lequel M. Balande s’embarque dans la vie. Il ne lui manque rien. » (La Vie Parisienne, 1902). Encore trop peu visible aujourd’hui sur la Côte d’Opale, son travail est conservé à travers quelques études au musée de la Marine et au musée du Département du Pas-de-Calais à Etaples.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Remerciements sincères à la famille de l’artiste.

Helen Mabel Trevor (1831-1900) – une Irlandaise à Étaples

Helen Mabel Trevor est née le 20 décembre 1831 dans une famille pratiquante de l’Église d’Irlande sur un grand domaine, Lisnagade, dans le comté de Down. À l’exception de sa sœur Rose, ses frères et sœurs n’étaient pas en bonne santé, et les sept enfants sont morts célibataires et sans enfant. Rose est restée la compagne d’Helen tout au long de leur vie. Nous ne savons pas si Helen a suivi des cours d’art pendant qu’elle vivait à la maison. Pour qu’une femme puisse aspirer à une carrière, et encore moins à une carrière d’artiste, il fallait une personnalité très déterminée et des moyens indépendants pour financer la formation et les voyages.

Miss Trevor se montre très tôt douée pour le dessin et la peinture et son père lui construit un studio à la maison. À 22 ans, ses œuvres sont été exposées lors de la grande exposition industrielle de 1853 à Dublin, qui s’est tenue dans un pavillon temporaire sur la pelouse de Leinster, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la National Gallery of Ireland. Plus d’un millier de peintures d’artistes nationaux et internationaux majeurs sont exposées, dont cinq œuvres de Trevor. À cette époque, elle commence également à participer aux expositions annuelles de la Royal Hibernian Academy.

Après la mort de son père en 1872, Helen s’installe à Londres avec sa mère et sa sœur Rose. En 1877, elle demande à être admise à la Royal Academy of Arts (RA). À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les artistes irlandais commencent à quitter Londres pour se perfectionner dans les académies et les ateliers privés de Paris. Vers 1880, Helen Trevor suit cette tendance et s’installe à Paris pour poursuivre sa formation auprès de l’artiste français Carolus-Duran, l’un des plus grands portraitistes de l’époque. Elle arrive à une période passionnante du monde de l’art, où l’accent est mis sur un art plus démocratique, capturant la vie quotidienne des gens et des lieux ordinaires.

Les colonies d’artistes en Bretagne étaient populaires auprès des artistes irlandais, et ainsi Helen Trevor s’y rendit pour la première fois en 1881. Elle avait une empathie particulière pour le peuple breton, une communauté distincte avec sa propre langue, ses traditions, ses costumes de fête et ses dévotions religieuses. Le pittoresque Pont-Aven fut l’un des premiers villages à accueillir des artistes. Le tableau de Trevor, « The Old House, Pont-Aven », se trouvait sur la place du village, à côté de la Pension Gloanec, l’auberge préférée de Gauguin et de son entourage, dont l’artiste irlandais Roderic O’Conor.

Helen Trevor aimait travailler avec les enfants. Dans « Breton Boys en retenue », sept garçons sont en retenue dans la salle d’école. Froid, fatigués et inquiets, quels méfaits ont-ils bien pu commettre ? – Trevor capture les émotions sur les visages de chacun des enfants et les détails de leurs vêtements en lambeaux. La dernière décennie de la vie de Miss Trevor a été la période la plus fructueuse de sa carrière. Après une tournée de six ans en Italie, de 1883 à 1889, Trevor retourne à Paris et reprend ses visites en Bretagne. Helen Trevor revient à Paris en 1889 et reprend le travail avec Carolus-Duran. Elle visite régulièrement la Bretagne pendant cette période, mais elle reste à Paris pour le reste de sa vie à plusieurs adresses. En 1889 et 1899, elle expose au Salon de Paris.

En 1892, déjà âgée, elle passe à Étaples sur les pas de son ami Franck O’Meara, décédé jeune en 1888 à l’âge de 35 ans. Cette année-là, sous les présidences d’Eugène Chigot et d’Henri Le Sidaner, elle participe à l’Exposition des Amis des Arts à Étaples présentant 4 œuvres dont : « Vieille matelote d’Étaples », un portrait, une étude, et « Sur les dunes ». La « Vieille matelote d’Étaples », qui connaît un grand succès, est également appelée « La mère du pêcheur ». Dans ce portrait, la femme âgée regarde directement le spectateur. Ses yeux perçants et son regard direct et inflexible laissent entrevoir une grande force intérieure. Les mains qui tiennent la canne, enlacées autour de son chapelet, témoignent d’une vie de dur labeur soutenue par une foi fervente.

Au cours de sa vie, Trevor a exposé 60 œuvres dans 37 expositions majeures à Dublin, Londres et Paris. Trevor et John Lavery ont été les deux seuls artistes irlandais de cette période à voir leurs œuvres acceptées dans dix prestigieuses expositions du Salon de Paris. Elle laisse peu d’œuvres du Nord de la France et d’Étaples, essentiellement des portraits de femmes de pêcheur et de leurs enfants.

Helen Trevor meurt d’une crise cardiaque dans son studio à Paris, le 3 avril 1900, à l’âge de 68 ans. Dans son testament, elle fait don de « La mère du pêcheur » et de « L’intérieur d’une maison bretonne » à la National Gallery.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Léon Auguste Derruau (1888-1984) – aux couleurs du Portel

Durant sa carrière, Léon Durruau expose principalement au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, des aquarelles et des peintures à l’huile. Dès 1921, l’artiste s’intéresse aux sports et produit quelques œuvres sur ce sujet, remarquées au Salon de la Nationale. En 1924, il présente au Salon d’Automne deux médaillons en plâtre « celui de coureurs à, pied côte à côte allant dans un style élégant, et celui d’une sportive franchissant une haie« . L’année suivante, il expose un bois sculpté, très remarqué par la critique.

Lors des Jeux de la 7ème Olympiade qui se passent à Paris en 1924, il reçoit une médaille dans la catégorie peinture. Dans les années, 1930, il est affichiste pour des grandes marques. En 1931, il s’engage comme d’autres artistes auprès de la Ligue Internationale contre l’antisémitisme.

Très actif entre les deux guerres, Léon Derruau continue la peinture, essentiellement des scènes de genre, des vues de Paris et des nus, passés de mode à l’époque moderne. Oublié de tous, il meurt en 1984 presque centenaire.

Cet artiste, qui s’essaie à tous les supports, visite durant l’été 1927 la Côte d’Opale. En août 1927, Léon Derruau passe au Portel où il croque la côte, la plage, le fort de l’Heurt, la crevasse à Ningles ainsi que les ruelles de la ville. Il réalise une centaine d’aquarelles très modernes, aux couleurs crues et acides.

La touche de l’artiste est très libre et transmet bien la vigueur des vagues qui frappent le fort de l’Heurt, dans un camaïeu de bleus, verts et violets.

Les couleurs s’illuminent pour illustrer les rues du Portel et les maisons accrochées aux falaises.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Fernand Quignon (1854-1941) – peintre de la Côte d’Opale

Ferdinand Juste Quignon, dit Fernand Quignon, naît à Paris le 20 septembre 1854. Ses parents sont tous deux picards, originaires de l’Aisne. Son père Napoléon Quignon est né à Fère-en-Tardenois, où il exerce le métier de charpentier. Sa mère Victorine Tallot dit Margival est de Soissons. A son décès en 1871, Fernand, qui vient de terminer ses études secondaires, va rejoindre l’entreprise familiale reprise par son frère Gustave. C’est là qu’il s’initie au dessin, à la conception de meubles et de décoration d’intérieur.

C’est en 1879 que Fernand saute le pas ; il va d’abord s’exercer au dessin d’art, puis à la gravure. Il partage alors un atelier rue du Faubourg Saint-Jacques avec Charles André. Celui-ci l’entraîne dans la vallée de l’Yerres dont il est un habitué, et où il a déjà exécuté un certain nombre d’œuvres. André a exposé au Salon et travaille surtout le dessin sur le motif. La première œuvre peinte de Fernand Quignon est une petite toile représentant l’Yerres : La rivière d’Yerres à Villeneuve Saint-Georges, dans laquelle on retrouve l’influence de Charles André et de l’École de Barbizon. Quelques maîtres de Barbizon exercent une influence certaine sur le jeune peintre, en particulier Léon Germain Pelouse (1838-1891), Emmanuel Lansyer (1835-1893) et Henri Harpignies (1919-1916).

Encouragé par ses amis, Fernand prépare pour mars 1880 sa première participation au Salon des Artistes français. Deux œuvres sont acceptées par le jury : Le ruisseau (Evry-les-Châteaux) et Nature morte (fromage de Livarot). Ce sera un premier succès qui couronnera le travail et la détermination du jeune peintre, et rendra hommage à l’apprentissage autodidacte qu’il a choisi. En même temps, Fernand Quignon entreprend son voyage initiatique vers l’Italie que tout apprenti peintre de l’époque se doit d’accomplir. Il visite les plus grandes villes,du nord au sud, étudie les œuvres des peintres classiques, admire la nature italienne et s’imprègne de la lumière de ses paysages. A son retour, en avril 1880, il déclare sa flamme à la fille d’un ébéniste et sculpteur de la maison Quignon, Marie Gestelli.

Mais cette formation originale ne saurait être complète sans les bases techniques que peut apporter la fréquentation d’autres peintres, dans un milieu choisi et un environnement propice. Il va donc suivre le chemin de peintres étrangers initiateurs : séjourner à Pont-Aven, colonie artistique dans laquelle il pourra parfaire sa formation. Les communautés rurales artistiques en vogue (telles aussi Barbizon ou Cernay) permettent aux jeunes peintres de travailler en groupe sur le motif, d’être conseillés par des aînés, peintres confirmés, et de vivre quotidiennement dans une camaraderie d’échange artistique. Pont-Aven est alors à l’apogée de son rayonnement grâce à la présence de nombreux peintres étrangers, en particulier anglo-saxons. Fernand Quignon arrive à Pont-Aven le 25 mai 1880 ; c’est le premier des quatre séjours annuels qu’il effectuera et qui représentent sa formation artistique essentielle. Il séjourne à la
pension Gloanec, comme tous les peintres de l’époque.

C’est sans doute à Pont-Aven que Fernand rencontre une des personnes les plus importantes de sa vie sociale : Maurice Meys qui est alors aussi photographe amateur. Il deviendra professionnel plus tard à
Boulogne-sur-mer et sera un des inventeurs de la photographie couleur. C’est aussi de Pont-Aven en 1880 que Fernand écrit à Antoine Gestelli pour lui demander la main de sa fille Marie, qui lui sera accordée.

Toujours à la recherche de paysages nouveaux, Fernand Quignon séjourne en 1887 dans la Vallée de Chevreuse, près de Senlisse. Il y exécute plusieurs tableaux et en particulier son œuvre majeure : Les Moyettes (gerbes de blé groupées verticalement) une des premières grandes représentations du travail des champs et de la saison des moissons. Le tableau est présenté au Salon de 1888 et reçoit la médaille de 3ème classe, puis exposé dans le monde entier ainsi qu’aux deux expositions universelles de 1889 (médaille de bronze) et de 1900 et à celle de Chicago en 1893. Fernand Quignon devient sociétaire des Artistes français. Dorénavant tous les tableaux présentés au Salon seront acceptés ; en 1891, une médaille de 2ème classe est attribuée au peintre (Les regains), le plaçant « hors-concours ». Il exposera donc librement au Salon jusqu’à la fin de sa vie. C’est finalement dans le Vexin, dans le village de Verville en 1887, que le peintre va établir sa résidence secondaire et y peindre les paysages des différentes saisons avec une prédilection pour la période des moissons. Les travaux des champs, les chaumières, les lavoirs, les églises et les fermes sont ses thèmes récurrents.

Fort de ses expériences antérieures en Bretagne et en Normandie où il a pu s’initier aux marines, le peintre part en saison dans un nouveau lieu plus au nord, là où de nombreux peintres se sont déjà exercés : la baie de Somme. Dès 1889, il séjourne à plusieurs reprises à Cayeux. C’est son premier contact avec la Manche et avec les flobarts, ces bateaux typiques de la région, qu’il commence à croquer. Plusieurs séjours à Cayeux se succèdent, en particulier en 1894 et 1895, et sont un avant-goût de ce que le peintre étudiera dans la région de Berck (pêcheurs, bateaux, étendues maritimes, plages et chaumières…) ; il découvre surtout la lumière exceptionnelle des ciels et ses variations.

Les Meys, Quignon et André sont très liés et se rendent mutuellement visite ; Quignon découvre donc Boulogne dès la fin des années 1880. Des séjours plus importants ont lieu en 1894, puis en 1895, année notée dans les archives du peintre. Du 16 août au 28 septembre 1895, les Quignon se partagent entre Cayeux et Boulogne. En mai 1898, Maurice Meys devient le parrain de Jean, le fils Quignon (la marraine
étant la femme du peintre Cauchois). Toutes les photos «officielles» de la famille Quignon sont faites par Maurice Meys dans son studio de Boulogne.

Germaine Quignon, la deuxième fille du peintre est atteinte de tuberculose osseuse. Ses parents sont donc à la recherche d’une institution de soins. Elle séjourne d’abord quelque temps à Canteleu Lambersart, près de Lille en 1898. Cette institution religieuse est décrite ainsi par le peintre : «… un établissement grandiose dans un quartier boisé genre Passy…». L’expérience n’est pas renouvelée et les Quignon vont chercher un autre établissement. Sans doute conseillés par les Meys, et attirés par la bonne réputation médicale de Berck-sur-mer, ils vont y placer Germaine. La première cure de 1899 étant profitable à Germaine et le peintre trouvant un environnement propice à son art, les Quignon viendront donc plusieurs fois par an à Berck de 1899 à 1905, selon les cures de leur fille.

Une correspondance de juin 1895 montre qu’Adrien Breton (1851-1928) et Virginie Demont-Breton (1859-1935) sont liés d’amitié avec Quignon bien avant cette date ; ils partagent les mêmes cercles artistiques et se côtoient dans les Salons. Mais cette amitié est encore renforcée par le rôle de Maurice Meys, qui devient un proche des Demont-Breton. La première rencontre de Meys et des Demont, chez eux, au Typhonium (maison atelier égyptisant sur les hauteurs de Wissant)qu’ils occupent depuis 1890, est citée dans le livre d’Adrien Breton « Souvenances – Promenades à travers ma vie » (Arras, 1927). Maurice Meys arrive en voiture (chose exceptionnelle à l’époque) et déclare : « J’adore la peinture. Je sors de chez Carrier- Belleuse qui m’a conseillé de venir vous voir, je désirais tant vous connaître ! J’habite Boulogne et j’espère vous y recevoir un jour ». Adrien le décrit comme : « Un homme fort intelligent, actif, s’exprimant avec facilité et brio… C’est un franc luron ! ». C’est ainsi que commence l’amitié des Meys-Demont et l’intégration de Quignon dans le milieu artistique de la région… A Wissant, Quignon rencontrera un certain nombre d’autres peintres, dont certainement Georges Maroniez (1865-1933), lié avec les Demont-Breton et François de Montholon (1856-1940). Il deviendra aussi proche de Pierre Carrier-Belleuse (1851-1932).

Francis Tattegrain (1852-1915) est installé à Berck où il a un chalet depuis 1870 ; il est un lien fort apprécié entre la population autochtone et les Parisiens qui découvrent la côte, qu’ils soient peintres ou estivants. Il est probable que Quignon et Tattegrain se soient tout d’abord rencontrés lors des Salons parisiens et qu’ils aient conforté leur amitié par l’intermédiaire des Demont-Breton. Les séjours à Berck rapprochent
les deux peintres, dont les thèmes d’étude sont parfois très proches. Tattegrain fait le portrait de Marthe Quignon en 1900, dans le costume de franciscaine « en hommage à Sainte Marthe ». Cette amitié continuera après les séjours à Berck, comme le prouve une correspondance ultérieure entre les deux peintres.

Hommage à la Côte d’Opale, en 1900 Fernand Quignon expose au Salon un premier grand tableau ayant les dunes de Berck comme thème. La même année, il reçoit une médaille d’argent à l’exposition universelle pour Pommiers en fleurs. Quignon se déplace sur la côte du nord au sud selon les années, en s’arrêtant plus particulièrement à Wissant, Berck ville, Waben, Montreuil, ou à Fort-Mahon en 1905. Six œuvres majeures ayant la région pour cadre seront présentées au Salon : Dunes à Berck, étude en 1900, Soir d’automne à Waben en 1903, Les disiaux et la mer, au Cap Gris-Nez et La mare à Waben en 1905, Maison de pêcheurs dans les dunes (Fort-Mahon) en 1906, L’église historique d’Audinghen (Pas-de-Calais) en 1924. Par ailleurs, de 1899 à 1930, le Salon de la Société Internationale présente 21 œuvres du peintre exécutées dans le Pas-de-Calais ; les différents autres Salons de Paris ou de province de 1901 à 1935 en présentent 44. C’est dire l’importance de la région dans l’œuvre du peintre et le rôle que l’artiste a pu jouer dans la « promotion » artistique et touristique de la Côte d’Opale. Ses tableaux demeurent un témoignage picturale de la vie du littoral à son époque ; ils font partie intégrante du patrimoine de la région et restituent aussi la merveilleuse lumière des ciels.

De 1899 à 1905, sur cette côte qu’il affectionne tant, Quignon exécute plus de 180 tableaux actuellement connus et de nombreux dessins. Ses thèmes sont variés et vont des grandes étendues maritimes sous des cieux cléments ou agités, aux activités diverses des pêcheurs (apprêts de départ ou retours de pêche), sans oublier les villages de l’arrière-pays.

Boulogne tient une place à part dans la vie de Fernand Quignon. Il la découvre dès l’arrivée de Maurice Meys et le mariage de Charles André ; il y revient plus longuement en 1889. En dehors des nombreuses visites à la famille Meys, où il ne trouve pas forcément le temps de peindre, et des deux séjours plus longs de 1894 et 1895, Quignon y séjourne de façon plus stable et plus fructueuse artistiquement de 1902 à 1904.

En 1940 au début de cette nouvelle guerre, il se réfugie en Bretagne. Il revient à Paris pour se soigner d’une mauvaise grippe, mais décède le 31 janvier 1941, à 86 ans dans son appartement du Boulevard Richard-Lenoir. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise.

A ce jour, 1.234 œuvres de Fernand Quignon sont connues et inventoriées, 23 sont exposées dans douze musées, dont deux du Pas-de-Calais : Pêcheurs de crevettes, au Château-Musée de Boulogne-sur-mer ; Les petits malades de l’hôpital maritime et Bateau à l’échouage au musée Opale Sud de Berck.

Auteur : Brigitte Potiez-Soth – comité Quignon

Thomas Austen Brown (1857-1924) – recueil aux couleurs d’Etaples

Thomas Austen Brown est un peintre, aquafortiste et graveur écossais. Né à Édimbourg le 18 septembre 1857, il est le fils d’un artiste local. Après des études primaires, sa formation artistique est acquise à la Royal Scottish Academy, qu’il fréquente de 1878 à 1888, avec les professeurs William MacTaggart et W. E. Lockhart. Ses camarades sont alors P. W. Adam, J. H. Lorimer, J. T. Ross, C. M. Hardie, Henry W. Kerr et Birnie Rhinds.

En 1880, il expose pour la première fois à la Royal Scottish Academy en 1880 : une œuvre remarquée intitulée « Little Nell » accompagnée de trois paysages. En 1889, il est élu membre associé de l’Académie écossaise avec M. E. A. Walton. Dès le début de sa carrière, Thomas Austen Brown s’intéresse vivement au travail des artistes français. Et, pendant une longue période, l’influence de Bastien Lepage est très marquée dans ses tableaux. L’expérimentation artistique demeure pour lui une passion. Tout au long de sa vie, Brown pratique de nouvelles méthodes avec assiduité et essaie tous les supports, refusant d’être sujet à la routine de nombreux artistes.

Au début de sa carrière, il trouve un terrain propice à la peinture à Largo, à Blair-Gowrie et près de Stirling, pendant de nombreuses années. Puis, il quitte l’Écosse pour Londres et, à partir de 1897, il part peindre en France. En 1907, il achète une petite propriété au Trépied près d’Etaples. Thomas Austen Brown continue cependant à voyager, visitant l’Espagne, le Maroc, l’Italie, la Hollande, la Belgique et l’Allemagne, et aussi les Etats-Unis où il reste une année.

Thomas Austen Brown expose au Salon de la Société Nationale des Beaux-arts pendant une vingtaine d’années dès 1893, des sujets d’Etaples à partir de 1910 jusqu’à la Première guerre mondiale :

  • 1893 : Evening, Milkingtime (deux aquarelles)
  • 1897 : Homewards
  • 1898 : At the Farm Ferry, Burning Weeds, Sainte Geneviève (aquarelle) – trois œuvres
  • 1899 : At the gate
  • 1901 : Labour au crépuscule
  • 1902 : Portrait d’une musicienne, un portrait (deux œuvres)
  • 1903 : Portrait de Mme Brown
  • 1904 : Un ramasseur de fagot
  • 1905 : Manteau chinois, Mère et fille (deux œuvres)
  • 1906 : Portrait de M. John Macral
  • 1910 : Pêcheuse de moules
  • 1912 : Près de l’Etang, le soir
  • 1913 : Les deux arbres (estampe originale sur bois)
  • 1914 : Une promenade en hiver

Véritablement cosmopolite dans ses intérêts et dans sa réputation, élu membre associé de la Société Nationale des Beaux-arts de Paris et membre honoraire de la Société des Beaux-arts de Bruxelles, Thomas Austen Brown est récompensé par des médailles à Budapest, Munich, Dresde et Barcelone. Il est représenté par des œuvres importantes dans les musées de Dresde, Mannheim, Bruxelles, Liége, Ottawa, Toronto, Wellington, Santiago … Outre son appartenance à la Royal Scottish Academy, il était membre de diverses sociétés artistiques à Londres.

Après une brève maladie, Thomas Austen Brown décède à Boulogne-sur-Mer le 9 juin 1924, où il est enterré dans le cimetière anglais de la ville. Son ami M. Martin Hardie écrit à son sujet : « Vivant tranquillement, fuyant le marché et la foule, Austen Brown était de ceux qui sont patients, endurants et dévoués dans leur recherche de la vérité, dans leur satisfaction de ce que l’Art peut fournir pour répondre aux besoins spirituels. J’aimerais en dire plus sur l’homme lui-même, sur sa gentillesse, sa sympathie et sa chaleureuse humanité ; mais les mots avec lesquels on essaie d’exprimer ses regrets sont toujours insuffisants et trop lents, quand les pensées sont trop profondes pour les larmes. »

Artiste de nos jours oublié, Thomas Austen Brown est surtout connu dans le Boulonnais pour son recueil d’images d’Etaples, reprenant ses dessins et aquarelles réalisés de 1916 à 1918. L’artiste y montre la ville, son port, ses pêcheurs et ses villageois, témoignage révolu des derniers feux de l’Ecole d’Etaples. Publié à Londres à deux cents exemplaires, aujourd’hui rare, l’ouvrage connaît à l’époque un beau succès outre-Manche.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Maurice Bonvoisin (1849-1912) – sable et galet sur la Côte d’Opale

Maurice Charles Mathieu Bonvoisin dit Mars voit le jour le 26 mai 1849, au sein d’une famille aisée qui possède une filature de laine à Verviers en Belgique. Dès son plus jeune âge, il manifeste un talent inné pour le dessin et la caricature. Ses années d’études le conduisent de Liège à Lille. À l’âge de 22 ans, la perte de son père le conduit à prendre les rênes de l’entreprise familiale. Son entrée dans le monde de l’illustration se concrétise grâce à Draner, qui deviendra son ami, avec la publication de son premier dessin dans Le Monde comique en 1872. Son cercle d’amis artistiques s’élargit également à Félicien Rops, dont il devient collectionneur.

Au bout de huit années à diriger l’entreprise familiale, il laisse la gestion à son frère. Encouragé par le succès, il fait le choix de se consacrer entièrement à sa passion artistique et s’installe à Paris. Il contribue abondamment avec des caricatures au sein de journaux satiriques. En 1892, il publie un bel album de planches de dessins figurant les plages des côtes du Nord de la France, Normandie et Picardie. Dans Sable et Galet, Mars oscille entre la représentation du tourisme balnéaire naissant et la caricature de ces nouveaux estivants au milieu des pêcheurs et des matelotes. De Berck-sur-Mer à Boulogne-sur-Mer, en passant par Equihen et Etaples, ses vues côtières ravissantes décrivent des plages à la Belle Epoque, dont beaucoup ont été abimées par les guerres.

Mars fournit de nombreuses caricatures au journal satirique Le Charivari, des dessins d’actualité aux journaux illustrés parisiens tels que La Vie élégante, Le Monde Illustré et l’Illustration, notamment pour des visites officielles de souverains ou chefs d’état étrangers. Il se spécialise également dans les évènements mondains et la vie parisienne, et fréquente les salons chics. En 1893, à l’occasion de la visite de l’escadre russe en France, il la suit pendant tout son séjour et en fait un livre.

Dans son Dictionnaire des caricaturistes édité en 1900, Emile Bayard raconte la vie de son ami cher : « C’est un jeune homme blond, d’un blond sans mélange, qui nous reçoit en effet dans un élégant cabinet de travail, tandis que nous notons que Mars est né le 26 mai 1849 à Verviers en Belgique : nouvel étonnement. Ce dessinateur si parisien est Belge, du midi de la Belgique cependant. Est-ce que par hasard les Parisiennes si potelées du dessinateur ne seraient autre chose que de luxuriantes Flamandes… déguisées ! Mars fait très agréablement les frais de la conversation ; il est abondant, il nous jette des moissons de souvenirs que nous retenons à peine dans l’éclatante exubérance de notre hôte, l’œuvre de l’artiste se juge bien à travers l’âme joyeuse que reflètent ses yeux. Dès ses débuts, au lendemain de 1870, un rayon de soleil salua la venue de ce crayon facile et heureux. Il faut croire que jamais l’artiste ne connut ni les obstacles ni les premières luttes, car nos questions sur ce point demeurent sans réponse. On sent fort bien que Mars a oublié les heures de déboires, s’il en eut, pour ne parler que de son rêve réalisé ; c’est encore une coquetterie. Nous ne trouvons en effet aucun renseignement sur l’enfance de Mars dans les nombreuses monographies que nous feuilletons ; nous savons seulement que l’artiste se produisit tout seul, sans maîtres. »

En 1882, Il s’installe définitivement à Paris, laissant l’entreprise familiale de filature, pour laquelle il sillonnait l’Europe depuis 1871, à son frère. Spécialiste des évènements mondains et de la vie parisienne, Mars publie des albums. Initiateur des « Dîner du crayon » en mars 1890, il est membre de La Société des dessinateurs humoristes.

Il collabore avec de nombreux périodiques : Le Journal amusant (1871-1912), Monde comique (1872-75), au Charivari (1874-1903), L’Actualité (1876), L’Éclipse (1876-77), Petit Journal pour Rire (1878-98), La Presse Illustrée (1880), Almanach pour Rire (1880-99), La Vie moderne (1881-85), Le Monde illustré (1881-86), La Vie élégante (1882), La Revue pour Tous (1882-83), Les Premières Illustrées (1882-1886), L’Art et la Mode (1882-94), Le Monde MilitaireLa Vie militaire illustréeAlmanach du Petit JournalAlmanach Comique (1883), Almanach du Figaro (1883-84), Agenda du Louvre (1883-87), La Vie Militaire (1884), L’ArtAlmanach du Bavard (1885), Le Globe Illustré (1885-86), La Chronique Parisienne (1886-92), L’Illustration, (1886-93), La Revue illustrée (1886-95), Soleil du Dimanche (1889), Figaro Illustré (1893), Mère Cigogne Almanach (1893-94), Almanach Vermot (1896-97), Le Petit Bleu (1898), La Mode Artistique (1898-99), Le Rire (1900), Le Bon Vivant (1901-02), MedicaMes Cartes Postales (1904), L’Indiscret (1905), Le BlaireauComediaComoedia illustré (1909), La Vie ParisienneLa Vie AmusanteAu Quartier LatinLe Journal pour TousLa Mode ContemporaineLe DrapeauRevue Thermale et balnéaireRevue des Convalescents, ainsi que pour des revues belges et anglaises.

Maurice Bonvoisin meurt accidentellement des suites d’une fracture du crâne, le 27 mars 1912 à Monte-Carlo.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Hilda Rix Nicholas (1884-1961) – une Australienne à Étaples

Née le 1er septembre 1884 à Ballarat et décédée le 3 août 1961 à Delegate, Hilda Rix Nicholas est une peintre et dessinatrice australienne. Elle suit une formation artistique entre 1902 et 1905 sous la tutelle du prestigieux peintre impressionniste australien Frederick McCubbin, à la National Gallery of Victoria Art School. Elle rejoint ensuite les rangs des premières artistes membres de la Melbourne Society of Women Painters and Sculptors. Après le décès de son père en 1907, elle se rend en Europe en compagnie de sa sœur Elsie et de sa mère, poursuivant ses études artistiques à Londres puis à Paris. Parmi ses professeurs notables figure Théophile Alexandre Steinlen.

Son père, Henry Rix, envisage d’emmener sa famille avec lui et prévoit d’étudier les réformes de l’éducation britannique lors de ce voyage. Il achète des billets de première classe, fixant la date du voyage en 1906. Cependant, la santé fragile et la charge de travail accablante d’Henry entraînent sa mort subite. Sa veuve sollicite une pension qui lui est refusée, arguant que Henry, décédé à l’âge de 58 ans, est considéré comme trop jeune. Malgré ce revers, la famille, déterminée à poursuivre le projet de voyage, doit réorganiser ses affaires. Au début de 1907, grâce à un héritage, à la mise en location de la maison familiale et à la vente d’œuvres de la mère et de la fille, ainsi qu’à l’échange des billets de première classe contre des couchettes de deuxième classe, elle parvient à réaliser son objectif et met le cap sur l’Angleterre.

Puis, elle décide de partir en France, attirée par l’émulation artistique parisienne. Avant qu’elle ne parte, le peintre Arthur Streeton conseille à Hilda Rix d’étudier auprès de plusieurs maîtres. À l’automne de 1907, Hilda Rix quitte l’Angleterre pour s’établir à Paris, à Montparnasse, en compagnie de sa sœur et de sa mère. Là-bas, elle fait la rencontre de l’artiste australien E. Phillips Fox et pratique le dessin dans le jardin du Luxembourg, où Ethel Carrick exerce également. Sur les traces de Béatrice How, elle intègre l’Académie d’Auguste Joseph Delécluse (1855-1928). Elle trouve ses conseils sur le dessin d’après nature particulièrement précieux. L’année suivante, elle bénéficie des enseignements de l’impressionniste américain Richard Miller. Sous sa tutelle, elle développe l’utilisation d’une palette de couleurs relativement vive, même si le résultat n’est pas toujours naturaliste. Persévérant dans l’acquisition de nouvelles compétences, elle poursuit ses études à l’Académie de la Grande Chaumière, notamment avec l’illustrateur d’origine suisse Théophile Alexandre Steinlen.

En 1908, l’artiste entreprend un voyage en France et en Italie, puis elle intègre la Colonie d’artistes d’Étaples. Elle y côtoie Jules Adler, qui manifeste un vif intérêt pour son travail, ainsi que de nombreux Australiens tels que Rupert Bunny, James Peter Quinn, Edward Cairns Officer et Iso Rae. Elle y passe plusieurs étés consécutifs, se consacrant principalement à la peinture de sujets ruraux pris à Étaples tels que « Marché de fruits » (1910), « Procession à Étaples » (1913), et « Grand mère » (1914).

Cette période enchantée, oscillant entre l’Occident et l’Orient, entre Paris, Tanger et Étaples, prend brusquement fin lorsque Elsie et Elizabeth succombent simultanément du typhus en 1914. Profondément affligée, Hilda se réfugie dans sa peinture et dans sa récente union avec le major George Matson Nicholas. Cependant, ce bonheur est éphémère, car il est appelé au front où il perd la vie. Cette période sombre dans la vie d’Hilda Rix marque un tournant majeur dans son œuvre : dévastée par le chagrin, elle rentre en Australie en 1918. Elle se tourne alors vers la représentation de son pays natal, capturant les grands paysages sauvages du bush australien.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Mathurin Méheut (1882-1958) – dessiner la Marine boulonnaise

Mathurin Méheut est un peintre et illustrateur français, né le 19 octobre 1882 à Lamballe, en Bretagne, et décédé le 26 février 1958 à Paris. Il est surtout connu pour ses œuvres représentant la vie quotidienne, la nature et les traditions de la Bretagne Né dans une famille d’artisans, il commence son apprentissage dès 1896 à Lamballe chez Mathurin Guernion, peintre en bâtiment. Puis, En 1902, il entre à l’École des Beaux-arts de Paris.

Méheut a montré un intérêt précoce pour l’art, et ses talents ont été encouragés par sa famille. En 1902, il s’installe à Paris et intègre l’École nationale supérieure des Beaux-arts, où il étudie sous la direction de Fernand Cormon. Pendant son séjour à Paris, il fréquente également l’Académie Julian.

Son style artistique distinctif combine l’influence du symbolisme et du modernisme avec une approche réaliste. Méheut a trouvé son inspiration principale dans les paysages et les coutumes de la Bretagne, sa région natale. Ses œuvres présentent souvent des scènes de la vie rurale, des pêcheurs, des marins et des animaux, capturant l’essence de la culture bretonne.

Au cours de sa carrière, Méheut a exploré divers médiums artistiques, dont la peinture à l’huile, la gravure sur bois, la céramique et l’illustration. Il a travaillé sur des projets variés, illustrant des livres, créant des affiches et collaborant avec des revues et des journaux. Ses compétences en tant qu’illustrateur ont été particulièrement remarquées, et il a contribué à populariser l’image de la Bretagne à travers ses œuvres.

Dans les années 50, Mathurin Méheut participe à la publication de deux ouvrages sur la pêche boulonnaise :

  • La pêche artisanale à Boulogne-sur-Mer, calendrier pour les pêcheries Delpierre, 1956.
  • Roger Vercel, grand port de pêche, édité par le Comité d’entraide aux familles des marins péris en mer du chalutier Colbert, Nantes, Imprimerie Beuchet et Vandenbrugge, février 1956.

En plus de son travail artistique, Mathurin Méheut a été engagé dans la promotion des arts en tant qu’éducateur. Il a enseigné à l’École des Beaux-arts de Rennes et a joué un rôle actif dans la vie artistique de la Bretagne.

En 1956, Mathurin Méheut est élu à l’Académie de Marine. Il meurt à Paris le 22 février 1958, puis inhumé à Paris au cimetière de Montparnasse. Son héritage artistique perdure, et les œuvres de Mathurin Méheut sont exposées dans de nombreux musées en France.

Sa contribution à la représentation visuelle de la Bretagne, et plus largement de l’art maritime régionaliste dont le Boulonnais, associée à son engagement envers l’art et la culture, ont consolidé sa place parmi les artistes notables du début du 20ème siècle.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Marie Cazin (1844-1924) – peintre et sculptrice intimiste

Marie Clarisse Marguerite Guillet est née le 19 septembre 1844 à Paimbœuf, dans une famille d’artistes. Son père Louis Claude Aristide Guillet est peintre et dessinateur, et sa mère Clarisse Marie Brault peint également. Marie Cazin est tout d’abord élève de Juliette Peyrol (1830-1891), la sœur de la fameuse Rosa Bonheur (1822-1899), à l’École de dessin de Paris, puis elle suit les cours du peintre Jean-Charles Cazin (1841-1901), qu’elle épouse finalement quelques temps plus tard en 1868.

Le mariage avec un artiste connu facilite l’accès aux Salons, limite les critiques et renforce le mécénat de la bourgeoisie. De cette union, naît Michel Cazin, peintre et graveur. Après la mort de son mari Jean-Charles Cazin en 1901, Marie Cazin quitte progressivement Paris pour revenir à Equihen dans la grande maison-atelier du couple, perchée sur la falaise (disparue lors de la Seconde guerre mondiale) : « Marie Cazin, ayant gardé son originalité propre auprès de son illustre mari, désirerait avoir les moyens de renoncer à son atelier de Paris pour s’installer définitivement à Equihen où l’existence est moins dispendieuse qu’à Paris« . (Léonce Bénédite).

À partir de 1876, Marie Cazin fait ses débuts au Salon des Artistes français en tant qu’artiste peintre. Elle présente initialement des paysages, des études d’animaux et des figures, notamment des œuvres telles que Étang de Picardie (1876), Village de pêcheurs (1877), Ânes en liberté (1880), et Convalescence (1886). Par la suite, à partir de 1882 avec Tristesse, l’artiste se tourne vers la sculpture, travaillant avec divers matériaux tels que le bronze, le plâtre et le grès coloré. En 1883, elle expose un buste en bronze grandeur nature intitulé David. Son œuvre la plus célèbre, Les Jeunes filles, un groupe en bronze, est dévoilée en 1886 et acquise par l’État en 1899, pour être conservée au musée du Luxembourg à Paris. Elle crée également le buste en bronze La Fortune en 1883.

À partir de 1890, elle présente ses créations au Salon de la Société nationale des Beaux-arts, devenant sociétaire en 1891, ce qui témoigne de la reconnaissance de son statut professionnel. Parmi ses expositions notables figurent La Science et la Charité (1893, groupe en bronze) et une statue de Jean-Charles Cazin (1904). Elle prévoit également de réaliser un monument intitulé La Nature en hommage à son mari, décédé brutalement en 1901.

Les œuvres artistiques de Marie Cazin, réalisées de manière régulière entre 1876 et 1914, reflètent l’influence de ses engagements sociaux associés à sa vie personnelle. Plusieurs de ses créations mettent en évidence sa préoccupation pour la condition des femmes dans leurs rôles les plus modestes, à une époque où les femmes artistes s’émancipent regroupées à l’Union des Femmes Peintres de Virginie Demont-Breton. Parmi ses œuvres socialisantes, on peut citer les tableaux Oubliées montrant deux pauvres femmes et leur enfant posés sur un banc (musée de Tours, 1890), Femme de Marin (bronze, musée d’Orsay) et Vie obscure (1901), ainsi que les bas-reliefs en bronze (1893) intitulés L’Étude et La Charité (ou Visite à l’accouchée).

En tant que belle-sœur du docteur Henri Cazin, un spécialiste des maladies osseuses infantiles, elle est également l’auteure du Monument aux docteurs Cazin et Perrochaud à Berck (1893), représentant la Science et la Charité soignant un jeune garçon. En raison de ses liens avec les familles Adam et Perrochaud, elle a également créé des monuments destinés aux sépultures de ces familles à Outreau et Boulogne-sur-Mer (cimetière de l’Est). Pour honorer la mémoire de son mari, elle réalise plusieurs bustes et statues le représentant, ainsi qu’un ensemble monumental érigé sur sa tombe au cimetière de Bormes-les-Mimosas, dans le Var.

« Mme Marie Cazin — qui sculpte comme elle peint, avec un grand charme de rêverie et d’intimité — expose un groupe en bronze : la Science et la Charité, complété par un bas-relief également en bronze : les Enfants de l’hôpital de Berck. Ces deux ouvrages, qui font partie d’un monument élevé par souscription à la mémoire des docteurs H. Cazin et P. Perrochaud, seront très remarqués. » (Le Rappel, 1893).

Après la mort précoce de son fils Jean-Michel en 1917, Marie Cazin s’éteint seule à Equihen en 1924. Elle est enterrée à Boulogne-sur-Mer. L’atelier du couple Cazin est rasé durant la guerre 39-45, et le musée qui leur est consacré à Samer, pillé. Aujourd’hui, ses œuvres s’avèrent rares et recherchées.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Vicente Gil Franco (1898-1959) – maîtriser le feu et exalter la couleur, l’œuvre céramique

Vicente Gil Franco est né le 25 février 1898 à Barcelone, d’une famille de commerçants en fruits. Il reçoit une solide formation artistique à l’École Libre des Beaux-Arts de Valence, puis dès 1910 à celle de Barcelone, notamment en sculpture. Orphelin de père, il quitte l’Espagne pour la France en 1918, et travaille comme saisonnier vendangeur en Roussillon. Il s’installe ensuite à Paris puis dans le Nord, où il devient marbrier. En octobre 1925, il rencontre à Lille un étudiant en médecine, Robert Vrasse, qui va le soutenir dans ses projets artistiques futurs. Grâce à Robert Vrasse, Vicente Gil Franco découvre Boulogne et Équihen (juillet 1926), où il décide de s’installer (octobre 1926). Dix années difficiles s’annoncent, marquées par la barrière de la langue et la difficulté de vendre son art. A cette époque, il se lie d’amitié avec l’autre chantre de la Marine boulonnaise, le peintre Georges Griois (1872-1944). Vers 1928, la faïencerie d’art Fourmaintraux lui commande ses premières maquettes de statuettes.

Dès 1936, la guerre civile espagnole l’oblige à repartir en Espagne pour y soutenir la république. Deux ans plus tard, l’arrivée de la dictature force son retour à Boulogne. Lors d’une exposition de céramiques donnée en 1939, il rencontre sa future femme. Mais en mai 1940, lors d’un bombardement, sa maison et une grande partie de son œuvre sont détruites. Réfugié à Rodez puis à Paris, Gil Franco ne revient à Boulogne qu’en 1947. Il retrouve une ville anéantie, défigurée à jamais. Malgré tout, l’artiste se remet à la tâche et produit des œuvres toujours plus modernes et abouties, huiles, dessins, gouaches et céramiques, montrant un monde maritime boulonnais finissant. Reconnu de tous, sollicité par la ville et l’État, il ouvre en 1957 la « Rose des Vents« , sa boutique tutélaire installée rue Gustave Charpentier, qui présente et vend son travail. Ce bonheur s’avère trop fugace, Vicente Gil Franco meurt le 6 novembre 1959 d’une embolie, au sommet de son art.

Son œuvre, immense, tant par la quantité des sujets créés que par la diversité des supports, marque profondément Boulogne et ses gens de mer. Cette diversité et cette inventivité se retrouvent également dans sa sculpture. Si Gil franco s’oppose au Naturalisme de l’art officiel, à l’instar des terres-cuites d’Eugène Blot qui l’a précédé, il s’inscrit pleinement dans la lignée du mouvement Expressionniste, initié par Auguste Rodin, chantre de la liberté des formes. Les céramiques de Gil Franco, réalisées dans l’atelier Fourmaintraux à Desvres puis à l’abbaye de Wisques, nous le rappellent de la plus belle des manières.

Déjà, dès la fin des années 1920, Gil Franco propose au public, en marge de ses dessins et autres huiles, de petites sculptures boulonnaises. Il participe d’ailleurs à la 36ème Exposition des Artistes Lillois, installée au Palais Rameau, du 20 avril au 13 mai 1929. Huit œuvres y sont présentées dont « Quai de Boulogne » et « Équihen« , accompagnées d’autres huiles et dessins … Mais surtout, trois sculptures sont exposées : « Pêcheurs de Crevettes« , « Matelote » et « Matelot« . Le catalogue ne fournit pas de clichés de ces figurines, mais elles sont probablement déjà issues d’une production amorcée dans la faïencerie de Gabriel Fourmaintraux à Desvres. L’année suivante, Gil Franco participe à la 37ème Exposition des Artistes Lillois. Seule « Procession à Équihen » (peinture) est portée aux cimaises du 10 mai au 2 juin 1930. Il est vrai que l’artiste peine à trouver sa place parmi tous ces exposants, au demeurant bien installés et à l’art souvent déjà entendu. Aux côtés du vieillissant peintre Paul Hallez, président de la manifestation, et actif depuis près de 40 ans, Vicente Gil Franco apparaît alors comme une véritable curiosité artistique, une attraction convenue pour le public lillois. A cette époque, aux côtés de son œuvre peint, ces premières petites statuettes sont mises en vente chez Berthou, bijoutier boulonnais installé rue Faidherbe.

Dans ces mêmes années, le sculpteur se confronte également à la matière brute. Dès 1928, il réalise une série de plats de cuivre repoussé, martelé et ciselé, qui demandent beaucoup d’énergie et de charisme. L’artiste travaille aussi la pierre, support qui rend si vivants, réalistes et authentiques les visages burinés des gens de mer. Il est vrai que le granit se trouve facilement et coûte bien peu cher pour un artiste encore débutant. Lors de l’exposition donnée en hommage à l’artiste, tenue au musée de Boulogne puis au casino, de mai à août 1970, les organisateurs y présentent trois sculptures réalisées sur pierre dans ces années 1930 : « Porteloise« , « Équihennoise« , et « Groupe de Marins« . Production très limitée certes, mais support tellement moderne et pittoresque à la fois, ces sculptures nées de rochers marins s’inscrivent dans un art moderne naissant. L’artiste travaillera également l’azobé, bois très dur utilisé dans la Marine, afin de réaliser d’imposants sujets notamment « La Relève des Filets« , monumental groupe de marins. Mais c’est surtout de la rencontre entre Vicente Gil Franco et les faïenceries Fourmaintraux, que va naître la production céramiste la plus épanouie de l’artiste, multipliant les différents sujets et thèmes.

Très ancienne, la maison Fourmaintraux compte une dizaine de générations de potiers, établis depuis la fin du 17ème siècle. Habitués à travailler la glaise avec une technique assurée, les potiers successifs de la maison Fourmaintraux s’imposent à Desvres en produisant des objets décoratifs, ainsi que des carreaux de faïence. Gabriel Fourmaintraux (1886-1984) est le plus illustre représentant de cette dynastie. Après un passage à la manufacture de Sèvres (1902), il reprend la faïencerie familiale et développe les collections, en proposant une multitude de boîtes, vases, sujets, encriers et autres objets de style art Déco, puis des objets publicitaires. La faïencerie atteint alors à son apogée, et c’est dans ces conditions favorables que les ateliers accueillent d’autres créateurs à l’instar de Vicente Gil Franco et de René Delarue. Dès la fin des années 1930 et jusqu’au début des années 1950, malgré l’interruption provoquée par la Seconde guerre mondiale, Gil Franco dessine de nombreux modèles destinés à la faïencerie Fourmaintraux. Du plus simple au plus élaboré, de la petite plaque émaillée à la grande céramique, en passant par des objets du quotidien décorés, la production s’avère étendue. Grâce au Livre des formes de la faïencerie, où sont conservés les dessins préparatoires de tous les artistes, les créations de Vicente Gil Franco demeurent bien connues. D’après leur numérotation, ses dessins préparatoires semblent être antérieurs à mai 1940, même si nombre de céramiques sont réalisées après la guerre.

Suivant les quelques modèles primitifs produits vers 1928-1929, Gil Franco renoue donc avec Fourmaintraux au milieu des années 1930. A cette époque, Gabriel Fourmaintraux crée une collection sous le patronyme « Cloda Mano« , contraction heureuse des prénoms de ses enfants Claude et Françoise. De consonance sud-américaine, très à la mode dans l’ambiance Art Déco, « Cloda Mano » décline surtout des sujets animaliers, en faïences craquelées ou décorées. Gil Franco s’inscrit dans cette collection, mais en créant des figurines de la Marine boulonnaise. Les sujets se montrent assez « simplistes« , tant dans leur silhouette, quelque peu hiératique d’inspiration cubiste, que dans leurs coloris aux tons pastel, à la palette peu étendue, un tantinet fade. Deux sujets, particulièrement emblématiques, sont alors commercialisés. Un « Groupe de Boulonnaises » (trois Boulonnaises au Soleil, accolées sur une base triangulaire) et un « Couple de Porteloises » (deux matelotes groupées) constituent les deux seuls modèles proposés par l’artiste, sous les références 4909 et 4910 du Livre des formes. D’une hauteur de 20 cm, ces petits sujets, assez rudimentaires, n’expriment pas encore l’ampleur du talent créatif de Gil Franco.

En marge de ces statuettes, Vicente Gil Franco va également travailler la technique de l’aplat. De 1936 à 1939, la faïencerie Fourmaintraux commercialise de petites plaques décoratives rectangulaires, sculptées en creux, agrémentées du thème maritime. Les personnages et les groupes apparaissent sur un fond animé de vagues, accompagné de la silhouette d’un navire ou d’une mouette. Traitées dans des tons pastel, ces plaquettes explorent le folklore boulonnais : « Plaque à la Matelote » (6391), « Plaque aux Matelotes de Profil » (6392), « Plaque à la Matelote de Profil » (6393), « Plaque aux Porteloises à la Chapelle » (6406), « Plaque aux Matelots devant le Phare » (6407), « Plaque aux Matelots au Panier de Poissons » (6408), « Plaque au Matelot à la Pipe » (6409), « Plaque au Matelot au Panier » (6410), « Plaque aux Porteloises à la Procession » (6411). Ces petites plaques deviennent aussi prétexte à servir de couvercles pour deux boîtes à tabac : « Boîte à Cigarettes Boulonnaise » (6419) et « Boîte à Cigarettes Porteloise » (6420), très en vogue à l’époque. Enfin, la faïencerie demande à l’artiste de réaliser d’autres objets décoratifs à l’instar d’un « Pot Décoratif Sculpté » (4713), d’un « Cendrier Poisson » (4759), d’une « Corbeille de Fleurs » (4760), d’une « Coupe aux Chérubins » (4769) et d’un « Pot à Tabac » (4770). La Seconde guerre mondiale interrompt brutalement cette association naissante, et ces petits modèles sont alors abandonnés.

Après la guerre 39-45 et son retour à Boulogne en 1947, l’artiste reprend sa collaboration avec la faïencerie Fourmaintraux. Plus mature dans son œuvre, Gil Franco étend largement sa gamme et complexifie sa production. Il s’agit alors de revisiter les traditions et les métiers de la Marine boulonnaise. Pour ce faire, il propose des œuvres plus abouties, plus travaillées, plus stylisées et plus grandes aussi, afin de renouer avec un public plus large. Le cheminement, du dessin préparatoire à la céramique finale, semble immuable. Tout d’abord, Vicente Gil Franco réalise un premier croquis, qu’il enrichit et améliore, annote et précise, notamment pour la taille et les coloris. Ensuite, une fois satisfait, l’artiste réalise l’étape la plus importante. Il sculpture la « mère de moule« , c’est-à-dire le modèle unique qui va servir à créer le moule. C’est à partir de ce moule que le potier réalise la production de masse. Chaque céramique est ensuite « tirée » à 200, 300 ou 500 exemplaires, selon les modèles, pour répondre à la demande du grand public. Les figurines reçoivent une double signature à la base, dans la masse avec « GF » pour Gil Franco, et tamponnée à l’encre de « GF-Desvres-France » pour justifier la faïencerie Fourmaintraux. D’après le Livre des formes, on peut définir de grandes catégories dans cette production céramique.

Les sept premiers modèles s’attachent à témoigner de la dureté des métiers de la Marine boulonnaise : la « Porteloise » (4677), la « Boulonnaise » (4678), la « Matelote au Fichu » (4682), la « Matelote à la Cape » (4683), le « Couple de Matelotes avec Enfants » (4686), le « Galant et la Boulonnaise » (4694) ainsi que la « Marchande de Crevettes » (4695). Cher à l’artiste, ce thème se perpétue dans son œuvre céramique, pour ces modèles édités à 500 exemplaires chacun. Dans cette première réalisation, Fourmaintraux ne trahit pas l’artiste. Au premier regard, les grandes céramiques, de 25cm à 30cm de hauteur, impressionnent par leurs coloris chatoyants et la multitude de leurs détails. Parfaitement authentiques, les costumes demeurent finement détaillés, du bijou (boucles d’oreilles dites « milanos« ) à la coiffe (soleil boulonnais, coiffe courte ou fichu), du costume (châle à franges) en passant par l’outillage (manne, filet). Les visages semblent précocement marqués, taillés par des arêtes franches, parfois austères. Toujours travaillés en volume, les bras tombants organisent le mouvement et apportent le côté dynamique à l’ensemble. Enfin, le dos courbé de certains modèles retranscrit une vie de dur labeur où le travail manuel prend toute son ampleur. Dans cette première série de céramiques, au demeurant très féminines, Gil Franco s’évertue ainsi à témoigner son attachement et son admiration à l’endroit des gens de mer. Cette création est la plus connue de son œuvre céramique.

Plus tardives, d’autres figurines en céramique émaillée enrichissent l’œuvre. Bénéficiant de tirages moindres, généralement de 100 à 200 exemplaires, leurs tailles sont plus variables. Certaines atteignent une certaine ampleur, notamment quand elles sont nanties d’imposants équipements (filets, mannes, caisses) : « Porteuse d’Eau » (4762), « Matelote » (4763), « Matelot au Panier » (4764), autres « Matelote » (4765) et « Matelot » (4766), « Marchande de Poison » (6398), « Matelot sur le Quai » (6399), « Matelot au Filet » (6401), « Deux Matelots à la Manne » (6402), « Couple de Boulonnais » (6403) et « Couple à la Lanterne portant un Filet » (6405). Toutes ces œuvres, d’une grande qualité, demeurent néanmoins dans la lignée commerciale imposée par Fourmaintraux. Moins consensuelles, mais ô combien plus avant-gardistes, les céramiques produites à l’abbaye de Wisques montrent une plus grande ampleur de la qualité artistique de Vicente Gil Franco.

Durant l’hiver 1951-1952, Vicente Gil Franco s’installe à l’abbaye de Wisques. Fondée le 23 juillet 1889, l’abbaye Saint-Paul de Wisques se tourne rapidement vers des réalisations artistiques. L’abbé Dom Bellot (1876-1943) dirige un fameux cabinet d’architecture qui initie le style « Dom Bellotisme » (constructions associant brique polychrome et béton). En 1946, le Père Bouton crée les premiers modèles servant à la fabrication de céramiques, notamment des carreaux en céramique, décorés d’émaux peints à la main, reprenant l’histoire des Saints. Après une cuisson à 800 degrés, ces carreaux sont ensuite encadrés et vendus au public. L’atelier de poterie propose également des plats, pichets et autres objets décoratifs, à motifs plus profanes.

Dans cette abbaye, Gil Franco installe son atelier éphémère. Il y conçoit une série de 29 modèles pétris de sa main, reproduits en nombre très limité, de dix à une vingtaine d’exemplaires. Il réalise également quelques pièces uniques, témoin de l’étendue de son savoir-faire. Statuettes, groupes de personnages, plats circulaires et plaques ajourées composent sa création. Son cheminement artistique est immuable ; Gil Franco modèle la terre, au doigt et à la spatule. Puis, après une première cuisson, il pose l’émail en couleur et recuit l’ensemble. Technique difficile à appréhender, le résultat s’avère éblouissant : la couleur est intense et les irisations des surfaces éclatent aux yeux, tout en nuances. Presque cramoisie, aux reflets chatoyants, cette cohue chromatique exalte les personnages, amplifie la courbure des corps sous le poids des « attirails« , et renforce la dureté des visages striés par le labeur. Sous chaque sculpture, l’artiste signe et numérote son travail, au milieu des marques salutaires laissées par ses doigts façonneurs. Déjà, en décembre 1951, une première exposition de ces céramiques expérimentales est organisée à Lille, et un film, consacré à son séjour et à son atelier, y est projeté le 17 décembre par son réalisateur, le docteur Porichez. Datées de 1952, inspirées par le thème récurrent des traditions maritimes, ces 489 pièces se répartissent ainsi :

         – 4 grandes pièces uniques (groupe de personnages) dont « Retour de Pêche« , « Procession de Notre-Dame » et deux plats.

         – 5 groupes de personnages (50 exemplaires) dont « Famille Boulonnaise« , « Retour de Pêche » et « Pêcheurs Ramendant leurs Filets« .

         – 6 sujets (75 exemplaires) dont « Pêcheur et son Filet« .

         – 5 plats circulaires en céramique polychrome (115 exemplaires) aux décors lacustres, maritimes ou boulonnais dont « Assiette à l’Hippocampe« , « Plat aux Armes de la Ville de Boulogne-sur-mer« , « Plat au Pêcheur« , « Plat à décor d’un Couple de Pêcheurs et d’une Ancre » (diamètre de 22cm, 25 exemplaires).

         – 8 plaques (circulaires, carrées ou rectangulaires) en céramique polychrome (245 exemplaires) reprenant les thèmes maritimes boulonnais typiques, dont « Plaque à décor en relief de Pêcheurs » (10 exemplaires), « Plaque circulaire à décor de Navire » (25cm de diamètre), « Plaque rectangulaire à décor en bas relief de Marin et de Matelote » (15cm x 32cm, 15 exemplaires).

Au terme de cet épisode créatif, au demeurant assez éphémère, Gil Franco continue à produire des plaques ajourées, à partir de moules anciens, notamment « Boulonnaise au Soleil au Panier de Poissons » et « Marin au Filet devant son Bateau« . Celles-ci sont montrées lors d’une exposition tenue en octobre 1956 dans le hall du journal de la Voix du Nord à Boulogne. L’artiste reprend également d’anciens modèles qu’il travaille sur une gamme de coloris inédite. De grands plats sont également présentés, comme « Neptune » et « Marin Boulonnais à l’Ancre« . Le fond de ces plats apparaît mat, le relief des sujets est accusé par un trait creux, et les couleurs tendres évoquent le pastel. Dans les dernières années de sa vie, Vicente Gil Franco témoigne ainsi de sa « joie de créer des pièces nouvelles, mais aussi la difficulté de la mise au point avant d’y parvenir« . Dès 1957, dans sa boutique nommée la « Rose des Vents« , installée rue Gustave Charpentier à Boulogne-sur-mer, l’artiste produit encore une série de plats (18 cm). Assez sobres, sur un fond blanc nacré, flanqués en leur centre d’un petit motif, personnage ou animal marin, ces plats en céramique polychrome constituent les dernières faïences proposées par Gil Franco.

Plus que tout autre artiste, Vicente Gil Franco a su rendre le sentiment de fardeau, l’angoisse et la résignation de cette population laborieuse aux visages burinés. A l’instar d’un Jules Adler, chantre du monde ouvrier, Gil Franco se montre particulièrement attaché aux drames et aux difficultés du monde maritime boulonnais. Sans tomber dans un misérabilisme trop facile, cet artiste entier, à travers ses œuvres emblématiques, devient le parfait porte-parole des gens de mer et de leurs peines. Aujourd’hui, ses œuvres céramiques sont conservées au Château-musée de Boulogne-sur-Mer, au musée « A la Belle Époque de la Faïence de Desvres« , au musée de la Céramique à Desvres (« Pêcheur Ramendant son Filet« , céramique de Wisques), au Fonds National d’Art Contemporain (FNAC), et dans de nombreuses collections privées.

Artiste prolifique et Boulonnais très apprécié de son vivant, Vicente Gil Franco s’avère davantage connu pour son œuvre peint que pour son œuvre céramique. Pourtant, du succès commercial des sujets tirés de la faïencerie Fourmaintraux, à la fertilité avant-gardiste des créations de Wisques, les céramiques de Gil Franco restent aujourd’hui d’une modernité et d’une justesse, artistique et ethnographique, impressionnantes. Plus que jamais, Vicente Gil Franco demeure l’un des meilleurs et derniers représentants de l’art populaire des traditions maritimes boulonnaises. Ses céramiques polychromes participent pleinement à cette mémoire collective.

Auteur : Yann Gobert-Sergent