Catégorie : Biographie

Paul Morchain (1876-1939) – un peintre breton sur la Côte d’Opale

Paul Bernard Morchain est né à Rochefort le 27 décembre 1876, d’une famille originaire de Cambrai. On connaît peu son enfance. Artiste délicat, Paul Morchain manifeste très jeune un goût marqué pour l’art pictural. Il suit les cours de Paul Dupuy à l’Ecole des Beaux-arts de Paris. Mais, hormis quelques conseils prodigués par Eugène Chigot lors de ses venues sur la Côte d’Opale, Paul Morchain travaille sans véritable maître. Il se partage entre la Bretagne (Douarnenez) et le Boulonnais, croquant surtout Boulogne et Equihen, notamment dans cette scène de calfatage prise à Equihen et présentée au Salon de 1910.

Paul Morchain vient à Paris pour exposer. Il débute au Salon des Artistes français en 1906, puis en 1909 obtient une mention honorable, suivie d’une médaille d’argent en 1913 et une médaille d’or en 1920. L’année suivante, il est nommé Peintre officiel de la Marine (1921). Paul Morchain devient un habitué de Douarnenez et de sa région. Il s’impose comme un peintre majeur du Pays Cornouaillais. Son style se situe dans la tradition de ces peintres locaux qui recherchent la vérité et l’atmosphère de la vie locale avec sincérité et qui rappelle l’approche et le style des peintres de Pont-Aven. Paul Morchain a su traduire avec charme tout le côté pittoresque spécial des côtes de la Manche, de la Bretagne ou des Charentes.

En 1929, il présente une rétrospective de son art à la galerie Dalpeyrat : « En ce moment, nous sommes conviés à visiter l’exposition du peintre Paul Morchain. Pour ceux qui sont sensibles aux titres, M. Paul Morchain pourrait faire état d’une très longue liste. Nous retiendrons qu’il est membre de la Société des Artistes français (hors concours) et peintre officiel du Ministère de la Marine. Ce sont des paysages marins qu’il nous a envoyés. Point d’outrances, mais la recherche des délicatesses et subtilités des atmosphères marines, un art vibrant de la vie quotidienne des ports de pêche avec leur population de marins et de barques. Un équilibre parfait de composition et de coloris, une science approfondie des gris, des gris chauds et aériens comme bien peu de peintres savent les peindre. Devant les toiles de Paul Morchain, je pense surtout à la Bretagne. Tout n’est point breton cependant. Les Quais sous la pluie à Dunkerque sont une chose très remarquable. La peinture marine tient une partie de ses charmes des variétés de coloris, des hasards de rapprochement de tons. Les voiles roses, rouges, vertes, ocres et blanches, les coques sombres incrustées de toute la lèpre de la mer, les reflets mouvants sur l’eau profonde sont autant de détails chers aux amants de la mer. Dans les derniers plans des études de M. Paul Morchain, des silhouettes de barque, vaisseaux fantômes, glissent dans la brume. Autre part, un sardinier sortant du port de La Rochelle, toutes voiles dehors avance au rythme allongé de son tangage, vibrant de lumière et de brise.

Comment ne pas remarquer Le Thonier solide sur l’eau, « culotté » par la mer et les tempêtes ?
C’est là de la bonne peinture, pittoresque et vivante ; elle le devient encore plus dans certaines études par temps gris où Paul Morchain peint avec une incontestable souplesse la brume en soie d’argent de l’océan, les forêts de mâts, l’envol des filets bleus, les quais humides et glissants de toutes les viscosités de la mer. Les marins garance, silhouettes crânes et robustes, poussent leur barque à la godille, se hissent sur le quai et grossissent les roupes où les événements de la pêche sont commentés. Ces groupes sont pleins de vie et d’animation. C’est une des raisons pour lesquelles la peinture de M. Paul Morchain est attachante et sensible. Le talent du peintre n’a d’égal que son amour de la mer et du port
. » (La Vie limousine, mars 1929).

Paul Morchain a une carrière très remplie de salons prestigieux et d’expositions dans les galeries. Il expose au Salon des Artistes français à partir de 1906, au Salon de Rouen en 1925, au Salon de Bordeaux de 1909 à sa mort, au Salon de Lyon en 1914, au Salon de Nantes en 1909, au Salon de Dijon de 1932 à 1938, ainsi qu’au Salon d’Automne en 1921-1922.

Au Salon des Artistes français, il présente notamment :

  • Le Bassin du Commerce à Boulogne-sur-Mer ; effet du soir en 1907,
  • Brumes du soir ; Boulogne-sur-Mer et Marée basse ; Boulogne-sur-Mer en 1908 (deux œuvres),
  • Retour de pêche ; Boulogne-sur-Mer en 1909,
  • Les calfats en 1910,
  • Bassin du commerce à Dunkerque ; soleil du soir en 1912.

Il accroche ses œuvres aux cimaises de la galerie Drouant à Paris en 1926, à la galerie Dujardin à Roubaix en 1928. Il expose dans la prestigieuse galerie Georges Petit à Paris en 1922, et surtout en 1927 lors d’une rétrospective avec quarante œuvres. En mars 1935 puis en février 1936, il présente un lot d’œuvres à la Nouvelle Galerie d’Art, rue Esquermoise dans le vieux-Lille, qui reçoit un bon succès.

Ses vues de Boulogne, essentiellement prises près des bassins et sur les quais, sont très bien saisies et justes, dans des gammes chromatiques lumineuses, de plus en plus modernes au fil de sa carrière.

En février 1929, il participe à la grande exposition « Les Fils de Tués » en compagnie du peintre Victor Dupont, installée à la galerie de la Palette Française sur le boulevard Haussmann à Paris. L’exposition rassemble les artistes combattants de la Première guerre mondiale, investis dans les tranchées ou « camoufleurs » pour les équipements à protéger.

Le 28 juillet 1931, alors qu’il se rend en voiture avec sa femme à Douarnenez, Paul Morchain rate un virage et fait une embardée. Son épouse, âgée de 45 ans, est gravement blessée par des éclats de verre à la gorge et succombe rapidement. Très affecté, Paul Morchain assiste à son enterrement à Douarnenez, accompagné de nombreux officiels. Paul Morchain meurt quelques années après, le 26 octobre 1939, à Rochefort.

Ses œuvres se trouvent dans de nombreux musées en France, notamment à Paris (Musée de la Marine), à Bordeaux, Rochefort et Douarnenez. Une rue porte son nom à Rochefort.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Philip Wilson Steer (1860-1942) – Un Impressionniste anglais sur la Côte d’Opale

Philip Wilson Steer est un peintre britannique de paysages, de marines, de portraits et d’études de figures, il est également un professeur d’art influent. Ses peintures de marines et de paysages ont fait de lui une figure de proue du mouvement impressionniste en Grande-Bretagne. Mais, après 1900, il se tourne vers un style anglais plus traditionnel, clairement influencé par John Constable et William Turner. Professeur de peinture à la Slade School of Art pendant de nombreuses années, il influence des générations de jeunes artistes.

Philip Steer est né le 28 décembre 1860 à Birkenhead, dans le Cheshire, fils d’un portraitiste et professeur d’art, Philip Steer (1810-1871). À l’âge de trois ans, la famille déménage à Whitchurch, près de Monmouth, d’où, après une période d’enseignement à domicile, il fréquente l’école de la cathédrale d’Hereford. Il devient artiste en 1878 et étudie à la Gloucester School of Art puis, de 1880 à 1881, à la South Kensington Drawing Schools. Refusé par la Royal Academy of Art, il étudie à Paris entre 1882 et 1884, d’abord à l’Académie Julian, puis à l’École des Beaux-Arts sous la direction d’Alexandre Cabanel. Il devient alors adepte de l’école impressionniste. À Paris, il est très influencé par les œuvres d’Édouard Manet et de James Whistler, ainsi que par les Impressionnistes français.

Quand il retourne en Angleterre après sa formation, il établit son atelier à Londres et produit surtout des paysages maritimes ou champêtres dans la traditions impressionnistes.

Outre les Impressionnistes français, Philip Steer est influencé par Whistler et, plus tard, par des maîtres anciens tels que François Boucher, Thomas Gainsborough, John Constable et William Turner. L’artiste est alors souvent attaqué par les critiques britanniques, conservateurs, pour ses œuvres impressionnistes telles que Plage à Boulogne. Dans les années 1890, alors qu’il s’éloigne de l’Impressionnisme français, le travail de Steer est de plus en plus apprécié. En 1887, Steer passe quelque temps à la Colonie artistique d’Etaples, où il livre des scènes de plage et des vues du pont de la Canche. Il y reste quelques années, où il croque la population locale, les paysages et des vues de Boulogne comme sa célèbre Vue du Casino en 1892. Au début des années 1890, il commence à peindre davantage à l’aquarelle.

En 1927, Philip Steer commence à perdre la vue à un œil, mais il continue à peindre, principalement à l’aquarelle plutôt qu’à l’huile. Ses compositions deviennent beaucoup plus libres, parfois presque abstraites, mais en 1940, il arrête de peindre. En 1931, il reçoit l’Ordre du Mérite.

Il meurt à Londres le 18 mars 1942. Son autoportrait fait partie de la collection de la Galerie des Offices, à Florence.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Elizabeth Nourse (1859-1938) – artiste précurseur de la peinture sociale

Elizabeth Nourse est née à Cincinnati le 26 octobre 1859 à Mount Healthy (Ohio), dans une famille catholique. Après des études brillantes, elle décline l’offre d’un poste d’enseignante afin de se concentrer sur son art. Orpheline dès 1882, elle part brièvement étudier à l’Art Students League of New-York. En 1883, elle revient dans l’Ohio et acquiert une première formation à l’école des arts de Cleveland. Elle gagne alors sa vie en effectuant des peintures d’intérieur et en réalisant des portraits.

Elève de Jules Lefebvre et de Gustave Boulanger à l’Académie Julian à Paris en 1887, puis en 1888, durant trois mois, elle se perfectionne avec Carolus-Duran, le célèbre maître des portraits mondains du Second Empire, originaire de Lille. L’année suivante, elle commence un périple sur la Côte d’Opale, passant à Boulogne, Le Portel, Camiers, Etaples, où elle peint jusqu’en 1891. Après des voyages en Europe, (Italie, Allemagne, …) en 1893, elle s’installe définitivement l’année suivante au 80, rue d’Assas à Paris. En 1897, elle rapporte d’Algérie et de Tunisie, notamment de Biskra, des sujets berbères colorés.

Trois mois après la fin de ses cours en art, Elizabeth Nourse débute déjà aux Salons des Artistes français en 1888 avec Une mère! (illustration ci-dessus, Cincinnati Art Museum). Puis l’année suivant, elle envoie Dans la bergerie à Barbizon et Entre voisines. A partir de 1890, jusqu’en 1914, l’artiste se consacre au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts, présente tous les ans. En 1890, pour sa première participation, elle propose : Dans la campagne, La dernière bouchée, La rue Chanoinesse (aquarelle) et La vieille cuisine fleurie (aquarelle). Les années suivantes, ce sont les sujets bretonnants et religieux qui animent son art. En 1898, sa spécialisation dans les sujets enfantins et familiaux s’affirme avec A l’abri, Dans le pré, La soif et Maternité.

En 1895, elle devient sociétaire de la Société nationale des Beaux-Arts. A ce Salon en 1903, elle présente quatre peintures et six aquarelles et pastels qui sont remarqués par la critique : des sujets bretons pour dénoncer la famine terrible qui sévit durant l’hiver 1902-1903, et la représentation de la Procession de Notre-Dame de la Joie qui a lieu le 15 août à Penmarch. Elle y revient en 1912 avec l’Eté,

Artiste complète, elle aime la peinture à l’huile, le dessin, l’aquarelle, le pastel. En 1889, elle connaît un grand succès avec Pêcheuses de Picardie (Smithsonian American Art Museum), figurant une fillette et sa mère, revenant d’une pêche à pied dans les alentours d’Etaples. Cette œuvre emblématique est également éditée en bronze, produite à dix exemplaires par un fondeur, qui retranscrit parfaitement l’ambiance voulue par l’artiste. La sculpture, très réaliste, nous montre une mère tenant un filet de pêche et son enfant dans l’autre main. Du haut d’un piédestal dunaire, ensemble, ils scrutent la mer. La force du vent devient perceptible par les plis des drapés des vêtements. Cette scène maternelle face aux éléments naturels, dégage une force et une émotion palpables. L’artiste édite d’autres bronzes à l’époque, notamment des bustes de sa famille, Louise et Caleb Nourse.

Elizabeth Nourse est aussi active dans les expositions montées par la Galerie Georges Petit à Paris, notamment lors des événements consacrées aux femmes artistes. Cette galerie éponyme est une institution incontournable du marché de l’art français jusqu’au début des années 1920. Implantée dans la rue de Sèze, sa vaste salle d’exposition de 300 mètres carrés s’offre aux visiteurs après un escalier monumental. Particulièrement sophistiqué, « l’établissement est servi par des sols parquetés recouverts de tapis rouges, des murs tendus de velours brun, et par un ingénieux système de lustres qui s’élève et s’abaisse à volonté. […] Les salles spacieuses de la galerie permettent de mettre en valeur les œuvres exposées ; on est loin de l’accumulation des toiles perdues dans la cohue des Salons« .

En janvier 1896, à la Galerie Georges Petit, elle participe à la 4ème Exposition de la Société des Femmes Artistes, au côté de Marie Duhem entre autres, présentant sept œuvres dont : étude de Bébé et Tête d’Enfant. En 1906, elle revient pour la 14ème Exposition de la Société des Femmes Artistes, envoyant quatre œuvres dont Fillette (pastel) et La petite sœur (dessin), puis une dernière fois en 1908. Tous ces sujets tendres, maternelles et sentimentaux, reçoivent un très bon accueil de la critique et du public. En mai 1915, elle participe à la Grande Tombola des artistes et des écrivains français, offrant un dessin aquarellé intitulé Fillette.

Très féministe et sensible à la condition des enfants, elle se fait spécialiste d’une peinture quelque peu sociale, produisant nombre de portraits de fillettes et de gamins dans la pauvreté ou au travail. Elle participe à la Société des Peintres orientalistes français de 1904 à 1906, sans grand succès. Elle intègre, avec Virginie Demont-Breton, la fameuse Union des Femmes Peintres et Sculpteurs (UFPS), installée à Paris. Elle y présente en 1916 : Consolation (peinture) et Mère et Bébé (dessin).

En octobre 1908, pour la 19ème Exposition du Water Color Club à New-York, l’artiste présente Le repas en famille (non localisé), figurant une famille étaploise attablé dans son intérieur modeste. Une miche de pain, peu avenante, trône sur la table. Regardant sa mère, l’air inquiet, la fillette comprend déjà la détresse de ses parents qui peinent à nourrir la petite famille. A l’époque, l’œuvre reçoit un franc succès.

Durant la Première guerre mondiale, Elizabeth Nourse est très active pour l’aide de guerre. Pour son action, l’artiste reçoit en 1915 une médaille d’or lors de l’exposition de San Francisco, puis en 1919, une plaque d’argent de la Société des Beaux-Arts, en reconnaissance de son travail pour les artiste victimes de la Grande guerre. Durant l’hiver de 1917, intégrée à la Croix-Rouge, elle aide les prisonniers qu’elle croque de sa plume à ses temps perdus. En 1921, elle reçoit la médaille Laetare lors de son retour aux Etats-Unis, accompagnée des félicitations du nonce apostolique.

En 1920, à l’invitation de Tanner, elle expose La mère et la ménagère à l’Exposition du Touquet. Après la mort de sa sœur jumelle en 1927, sa santé se dégradant, elle cesse alors d’exposer. L’artiste meurt le 8 octobre 1938 à Paris. Une très large partie de son œuvre se trouve réunie au Cincinnati Museum, une masse de 500 peintures, aquarelles et dessins, reflétant son talent.

Par le choix et l’intensité de ses sujets et de son art, Elizabeth Nourse peut être considérée comme « précurseur de la peinture sociale réaliste« , à l’instar de Jules Adler.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Edouard Houssin (1847-1919) – statuaire de l’Ecole de Wissant

Edouard Marie Houssin est né à Douai le 13 septembre 1847, fils d’un employé de l’hôpital général de Douai. Après sa scolarité, il entame un parcours aux académies de Douai dès 1856, puis suit des cours de sculpture d’architecture et de dessin jusqu’en 1864. L’année suivante, il gagne Paris pour terminer sa formation auprès des sculpteurs François Jouffroy, puis d’Aimé Millet (1877). En 1868, il présente son premier buste à la Société des Amis des Arts de Douai.

Après la guerre de 1870, il est nommé professeur aux académies de Douai et s’installe à Paris. Après vingt ans de carrière, il est nommé professeur de modelage à la Manufacture nationale de Sèvres (1894). En 1890, il découvre Wissant et son village de pêcheurs pittoresque grâce au couple Demont-Breton. En août 1891, il achète un premier terrain pour y établir un atelier provisoire, puis le 23 août 1892, il acquiert une fermette au lieu-dit le Vrimetz où il installe son dernier atelier. Adrien Demont en parle avec émotion dans ses mémoires en 1927 : « Notre ami le statuaire Edouard Houssin, né aussi à Douai, s’installa à peu près en même temps que Mlle Valentine Pèpe avec sa charmante famille, au Vrimetz, hameau attenant à Wissant, où il se fit un atelier. Houssin avait déjà fait mon buste et ceux de Virginie et de mon beau-père Jules Breton. Il fit aussi ceux de nos trois enfants Louise, Adrienne, Eliane. Ceux de Louise et d’Adrienne ont été édités avec notre autorisation par la manufacture de Sèvres en grandeur nature et en réduction. Ils ont fait partie d’un cadeau que la France faisait au roi d’Angleterre Edouard VII. Ils sont désignés au catalogue de Sèvres sous ce titre : les enfants de Houssin. »

En 1893, Edouard Houssin présente un buste en bronze de Virginie Demont-Breton à la fameuse Exposition Internationale d’Art de Chicago. L’année suivante, il est nommé professeur de modelage à la Manufacture nationale de Sèvres jusqu’à son décès. En 1895, Fernand Lefranc écrit dans La Revue du Nord : « Ses bustes, tous d’une exactitude irréprochable et admirablement enlevés, ne comptent plus. »

En 1903, le sculpteur réalise Le bateau de sauvetage, une œuvre monumentale en bronze de 300 kilos, qu’il présente au Salon des Artistes français à Paris. Conservé au musée de la Chartreuse à Douai, ce groupe figure des marins wissantais au travail pour lancer un navire de sauvetage en mer.

Plusieurs monuments et statues dans le nord de la France au Salon, on remarque de nombreux bustes, souvent en bronze. Edouard Houssin a également produit des séries en biscuit de Sèvres et en bronze avec diverses patines :

– Enfant à la panthère, groupe (1881)

– Esmeralda, statuette (1883)

– Phaeton, statue, 240cm, (1889), dans un jardin public de Briançon

– Jules Breton, buste en plâtre patiné. La terre cuite est conservée au musée d’Arras (1893)

– Le Bateau de sauvetage, haut-relief (1904)

– Homme lançant une pierre, musée de Douai

– L’Amour piqué par une abeille, musée de Douai

– Léda, musée de la Rochelle

Œuvres en fonte de fer, par les fonderies Salin :

– Deux pages

– Saint Ignace de Loyola

Durant sa carrière, Edouard Houssin reçoit plusieurs mentions honorables (1879, 1881, 1883, 1885) ainsi que des médailles (troisième classe en 1887, deuxième en 1889) dont deux en bronze lors des Expositions Universelles de 1889 et 1900 à Paris.

En marge des expositions parisiennes, Edouard Houssin expose beaucoup dans les salons du Nord, à Douai de 1868 à 1910, essentiellement des groupes en bronze, des bustes, des plaques et des portraits (bronze, plâtre, biscuit de Sèvres, grès flambé) Il produit les bustes des filles Demont-Breton, Adrienne et Louise, en 1893, puis la dernière fille Eliane en 1908. Jules Breton et sa femme, ainsi que le couple Adrien et Virginie Demont-Breton, seront également immortalisés par son œuvre.

Edouard Houssin meurt le 15 mai 1919 à Paris. Certaines de ses œuvres ont disparu durant la Seconde guerre mondiale, fondues pour la plupart par l’ennemi.

Auteur : Yann Gobert-Sergent 

Alexandre Houzé (1837-1908) – ami belge d’Adrien Demont à Wissant

François Joseph Alexandre Houzé est né le 18 octobre 1837 à Tournai en Belgique. Dans son pays, il suit les cours de Joseph Stallaert. Il intègre ensuite l’École des Beaux-Arts à Lille où il reçoit les conseils d’Alphonse Colas, avant de devenir peintre décorateur à Arras.

Après avoir fait ses premières études aux académies de Lille, où il obtint toutes les premières récompenses, Alexandre Houzé exécute en 1857 une copie du tableau de Louis Gallet, représentant Les derniers honneurs rendus au comte d’Aigremont. Cette commande lui rapporte alors la belle somme de 300 francs. Avec cet argent, le jeune artiste tente fortune à Paris. Il raconte : « A 20 ans, et 500 francs dans ma poche, grisé par quelques succès, je croyais mon avenir assuré. Hélas! ce n’était que désillusions qui m’attendaient dans la Capitale… » En effet, il commence sa carrière en entrant chez un décorateur où il gagne deux francs par jour. Découragé, il renonce à la lutte, et revient travailler à Lille où il fait bien vite apprécier ses remarquables qualités. Il s’y installe définitivement.

Il vient faire des tableaux à Calais à plusieurs reprises. C’est à cette époque, pendant ses pérégrinations à travers les sites Artésiens, qu’il découvre, en compagnie d’Adrien Demont, le délicieux pays de Wissant.
Pendant 25 ans, il exposa régulièrement au Salon des Artistes français. Il se crée une place toute particulière parmi les peintres de la région. Aussi, est-il justement appelé par ses nombreux amis le « Corot du Nord ». La saveur qui se dégage de ses œuvres est d’une exquise poésie, et d’une véritable sincérité.

Au Salon de Paris de 1879, Houzé présente une première œuvre montrant Wissant qu’il intitule Une ferme à Herlen. Dès 1883, il rejoint le couple Demont-Breton à Wissant, puis participe au groupe de ces artistes, Fernand Stiévenart, Félix Planquette, Georges Maroniez, … Il produit alors des œuvres marines ou champêtres de cette région, de nombreuses études d’après nature, réalisées d’une touche délicate et fine, dans des tons sobres et subtils.

Au salon, Alexandre Houzé expose : Le Pont de CanteleurLe PortelLe lever du matin à Allain (Musée de Lille) – Lever sur l’Escaut (Musée de Lille) – Les bords du Gave (Lourdes) – Vue de PlaceLe Pont Loyes à Allain (effet d’orage) – Les moulons en plaineLes dunes de Wissant Le village d’Allain (effet de soleil) – Atelier de Monsieur Demont-Breton à WissantDerniers rayons de soleil Route de la Corniche (vue de Nice) – Le cap Saint Jean (Nice) – Villefranche Une nature morteLe faisanUne route à Tournai (effet de soleil) – La chaumière (effet du matin) – La chaumière (effet du soir). Parfois, sa palette, toujours solide, se transforme : c’est une mystérieuse gamme de tons largement brossés dans des gris d’une excessive finesse. Puis, ce sont d’autres conceptions où l’artiste se transforme dans de chatoyantes teintes.

Très imprégné par son métier, Alexandre Houzé laisse le souvenir d’un peintre investi, dès l’aurore, à parcourir le village et ses alentours, la mer et l’estran, à la recherche de dunes ou de champs à fixer sur la toile. Durant sa carrière, il participe régulièrement au Salon de Paris, avec notamment des vues de la Côte d’Opale dont Marée basse à Wissant en 1881, Le Port de Calais en 1890 et La Deûle l’année suivante, Coucher du Soleil à Wissant en 1900. Membre fondateur de la Société des Artistes Lillois avec Pharaon de Winter (1890), il y expose sans discontinuités jusqu’en 1907. Un an après sa mort, une rétrospective de ses œuvres est organisée lors de la 22ème Exposition des Artistes Lillois en 1909. Veuf d’Anne Wells, Alexandre Houzé meurt le 29 novembre 1908 à Lille, et il est enterré au cimetière de l’Est de la commune deux jours plus tard.


Alexandre Houzé est surtout représenté au musée de Tournai. Cependant, Matin à Allain et Tournai le matin sont conservés au Palais des Beaux-Arts de Lille.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Frits Thaulow (1847-1906) – un Norvégien de passage dans le Boulonnais

Petit-fils du peintre Henrik Arnoldus Thaulow, Frits Thaulow est né le 20 octobre 1847 à Christiana en Norvège. Il est considéré comme un des pionniers de la peinture naturaliste norvégienne. Élève à l’académie de Christiana, à Oslo, puis à l’académie de Copenhague entre 1870 et 1872, il rêve alors à une carrière de peintre de marines. Dans ce but, il passe alors deux hivers à étudier avec le paysagiste norvégien Hans-Fredrik Gude (1825-1903) en Allemagne.

Après 1872, il renonce définitivement à ses études de pharmacie et part suivre les cours à l’Académie des beaux-arts de Copenhague, où il est l’élève du peintre danois C. F. Sorensen. En 1874 , il épouse Ingebord Gad, belle-sœur de Paul Gauguin. Alors que son beau-frère, Paul Gauguin, peint comme les Impressionnistes, Thaulow n’a pas encore assimilé la leçon des peintres de Barbizon. Il préfère à Manet des peintres comme Jules-Bastien Lepage ainsi que d’autres Réalistes français à la facture plus académique. Nomade impénitent, Frits Thaulow effectue de nombreux voyages en Norvège, en Danemark, en Suède, en Hollande, à Londres, à Karlsruhe, à Philadelphie et à Paris où il revient chaque année. Il voyage sur son bateau personnel en Norvège et en Danemark.

Dès lors, les premières toiles que Thaulow expose au Salon entre 1877 et 1880 ne connaissent qu’une faible adhésion du public parisien. Mais, très vite, le romantisme de sa première manière évolue vers un réalisme sentimental influencé par la peinture française qu’il fait découvrir à ses amis artistes nordiques. Très actif, il a sa part dans le succès à Paris de l’école scandinave, dont Peder Kroyer. De retour à Oslo, il encourage le jeune Édouard Munch, qu’il protège contre un public peu accueillant. De 1888 à 1892, Thaulow peint des scènes de plein air à travers toute la Norvège. Divorcé depuis 1883, il se remarie avec Alexandra Lasson en 1886. Juré de l’Exposition universelle de 1889, Frits Thaulaw participe à la création de la Société Nationale des Beaux-Arts en 1890. En 1892, il s’installe en famille en France et séjourne souvent à Dieppe. En 1897, l’artiste signe un important contrat d’exclusivité avec la fameuse galerie Georges Petit à Paris. la même année, il reçoit une médaille de deuxième classe à Pittsburgh.

Au printemps de 1892, Frits Thaulow et sa seconde épouse, la décoratrice Alexandra Thaulow, s’arrêtent par hasard sur le chemin de Paris, à la gare de chemin de fer d’Étaples. « Arrêtons-nous ici pendant deux heures », proposa Alexandra. Les nouveaux arrivants ne tardent pas à découvrir sur la Grand-Place l’hôtel d’Antoine loos et la petite colonie d’artistes qui s’y est installée. La convivialité naturelle du couple Duhem invite la famille norvégienne à les héberger dans le village voisin de Camiers, dans leur longère champêtre. C’est ainsi que les Thaulow demeurent six mois dans le Boulonnais, se liant avec tous les peintres travaillant sur place : « Une bande de jeunes et joyeux artistes, se souviendra Alexandra, dont la plupart devinrent des amis pour la vie. » D’une quinzaine d’années l’aîné de ses camarades, Thaulow est un véritable Scandinave protecteur de la nature, adepte du camping, voyageant sans cesse à pied, à bicyclette, en train ou en voilier.

Parce qu’il chérit la peinture française, il était venu pour la première fois à Paris en 1874, assister notamment à la première exposition impressionniste. Peu à peu, son style s’affirme, ses paysages de neige, ses lits de rivières commencent à ravir le public français. Par un échange d’études dédicacées, ce sympathique géant aux yeux clairs, plein d’humour, réfractaire aux idéologies, scelle avec Henri Le Sidaner une bonne amitié. « Un ami, écrivit-il à Auguste Rodin, un jeune Français qui est l’un des hommes les plus doués, les plus intelligents et les plus nobles que je connaisse, de l’honnêteté duquel il m’est impossible de douter. » (Derniers Impressionnistes, Yann Farinaud-Le Sidaner).

Frits Thaulow peint Camiers, des scènes de moisson et Camiers la nuit, l’un des nombreux tableaux nocturnes accompli dans la technique du pastel, diffusant l’extraordinaire lumière d’une nuit d’été. La découverte de Montreuil incite le peintre à traduire dans ses toiles les eaux miroitantes de la Canche, à l’image de son maître incontesté, Claude Monet. Thaulow peint aussi Le Moulin de Montreuil-sur-Mer, d’une mise en page audacieuse.

Après avoir traité des sujets paysagers avec un pleinairisme très apprécié en Scandinavie, Thaulow s’oriente vers un impressionnisme proche de Whistler. Son exécution brillante est très appréciée du public – Rodin échangera des marbres contre ses tableaux – et de nombreux amateurs comme Edmond Rostand et Sarah Bernhard. Jouissant d’une véritable reconnaissance, il mène une vie mondaine. On le retrouve en août 1900 sur la Côte d’Opale, où il affine sa technique près des rivières et des rives de la baie d’Ambleteuse. Surprenante par sa grande liberté de facture, la peinture de Thaulow parvient à animer les miroitements des eaux sur la surface de la toile.

Frits Thaulow meurt d’une embolie pulmonaire en plein succès, à Édam aux Pays-Bas, le 5 novembre 1906. Les œuvres du peintre norvégien figurent dans les musées de Bordeaux, Berlin, Leipzig, Rouen, Stockholm, ainsi qu’au musée Rodin à Paris, et enfin dans le Nord, aux musées du Touquet et du département du Pas-de-Calais (Maison du Port). Rétrospectives au musée Rodin en 1994 et au musée des Beaux-Arts de Caen en 2016.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

François Couteau (1892-1966) – artiste décorateur et peintre de marines calaisien

François Emile Couteau est né à La Louvière en Belgique le 8 avril 1892. Après sa scolarité générale, il intègre l’Institut Van der Kelen à Bruxelles, qui est l’école industrielle et décorative de Belgique. Il en sort brillamment diplômé, le 23 avril 1911, reçu premier sur 60 après sept années d’études.

Peu avant la Première guerre mondiale, François Couteau arrive à Calais où il s’installe. Il est embauché comme peintre décorateur dans l’entreprise Haigneré-Delrue à Guînes. Durant le conflit, il doit repartir en Belgique soutenir l’effort de guerre. A son retour en France, il fonde sa propre entreprise à Calais qui obtient rapidement une grande renommée dans le Calaisis. Dès les années 1920, l’artiste propose au public des œuvres. Il produit alors des scènes de quai calaisiennes, des vues portuaires, des bouquets, dans une palette lumineuse et servis par un coup de crayon vif et expressif. Ses dessins à la plume sont d’une justesse et d’une vigueur remarquables. Toutes ces vues sont aujourd’hui un témoignage juste et artistique d’une vie disparue avec la guerre 39-45 et son cortège de destructions massives. Les principaux monuments de Calais, le beffroi, la grand place, les maisons du quai, la colonne Louis XVI, apparaissent en filigranes derrière les voiles rousses des navires de pêche.


Durant la Seconde guerre qui frappe durement la Côte d’Opale et surtout Calais, François Couteau s’engage avec la Croix Rouge, en hébergeant ses compatriotes belges, en organisant des dons de sang, en mettant en œuvre un centre d’accueil pour les réfugiés. Ses actions généreuses lui valent de nombreuses récompenses et médailles honorifiques, en France et en Belgique. Lors du retour des corps des cinq fusillés de la Citadelle en 1947, il produit leurs portraits qui sont exposés devant leurs cercueils. Il offre alors ces portraits aux parents des victimes.

Après la guerre, la restauration des grands salons de l’Hôtel de Ville est assurée par ses soins. A la même époque, il réalise une fresque religieuse destinée à l’Eglise du Sacré-Cœur, œuvre impressionnante mesurant 7m de haut sur 4,50m de large. Peinte à la gloire de Sainte Thérèse, elle représente divers objets religieux et des motifs floraux.

Pour les cinquante ans de leur mariage, pour leurs noces d’or, les Géants de Calais sont relancés en 1952. François Couteau participe au projet. L’artiste restaure les deux têtes et rafraîchit les couleurs de l’ensemble. Le 27 juillet 1952, les Géants effectuent leur première sortie d’après-guerre. Le matin, ils se rendent à la mairie pour écouter le carillon qui joue en leur honneur « La Marche de Jehan de Calais ». L’après-midi, ils président une grande fête avec la présence d’autres Géants dont Gédéon et Arthurine de Bourbourg, Roland d’Hazebrouck, Gargantua de Bailleul, …

François Couteau décède le 24 novembre 1966 à Calais, rue des 4 Coins. Aujourd’hui, une rue de la ville porte son nom. Peintre de talent, François Couteau laisse un nombre impressionnant de tableaux, dont beaucoup légués par sa fille au musée des Beaux-Arts de Calais après sa mort.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Jules Denneulin (1835-1904) – peintre lillois amoureux de la Côte d’Opale

Fils d’un négociant en draps, Jules Denneulin est né le 16 août 1835 à Lille. Peintre de genre et paysagiste, il suit les cours aux Écoles académiques de Lille avec François Souchon (1787-1857), premier directeur de cette école, et Alphonse Colas (1818-1887), grand peintre religieux, lui-même élève de Souchon, et aussi professeur de Pharaon de Winter. L’artiste garde aussi une belle amitié avec ses camarades de l’École des Beaux-Arts, dont Carolus-Duran (1837-1917) qui lui fait son portrait (musée de Lille), et Pierre Billet (1836-1922).

En 1859, grâce à son père, Jules Denneulin rend visite à Jules Breton à Courrières. Il y reçoit les précieux conseils du maître. Puis, l’artiste débute au Salon des Artistes français en 1865 en envoyant La fille au rouet ainsi que la Dentellière, qui reçoivent un bon accueil. Le musée de Lille acquiert les deux œuvres. L’année suivant, il propose Un coup difficile (1866), puis d’autres tableaux « qui empruntent un intérêt particulier aux scènes de mœurs lilloises qu’ils représentent. M. Denneulin réussit dans le paysage : sa palette a des tons vigoureux, son pinceau sait être vrai sans tomber dans le prosaïsme. » (Presse du Nord). En 1882, les Chercheuses de Vers sont particulièrement appréciées au Salon, « scène pittoresque de grand talent« .

Au Salon des Beaux-Arts de Roubaix en 1886, son œuvre se fait remarquer : « L’Idylle de M. Jules Denneulin est pour nous le clou de l’exposition de Roubaix, l’œuvre la plus étonnante, celle où l’auteur se soit le plus surpassé. Que sont les anciens tableaux de M. Denneulin, si estimés, si recherchés par les vrais amateurs, en présence de cette toile sans précédent dans l’œuvre du peintre ? Oh ! que nous la voudrions voir au prochain Salon parisien! Avec quel regard complaisant et admiratif on s’empresserait de la contempler et de faire galerie tout autour; c’est une révélation, une transfiguration quoi ! Ah ! je sais une grande ville dont le musée a bonne réputation, qui serait merveilleusement inspirée en acquérant tout de suite ce tableau d’un de ses enfants. La scène est simple : c’est une femme assise sur la plage et tricotant; près d’elle, un gars superbe et d’un dessin solide est étendu sur le ventre, la tête appuyée dans la main; devant eux le ciel et la mer, entre lesquels se jouent les vapeurs du couchant. Ils parlent sans doute d’union, d’amour et d’espoir, ils se redisent les mots « qui, depuis cinq mille ans, se suspendent encore aux lèvres des amants » ; la femme baisse la paupière, tandis que lui la regarde de tous ses yeux. » (Jules Duthil).

En 1894, Jules Denneulin évoque, à travers son œuvre Le peintre amateur (huile sur toile 89cm x 129cm), une nouvelle pratique plus démocratique de la peinture. Dans « Autour d’un tableau de Jules Denneulin (1894) : peindre en amateur et peindre en plein air, une image du travail artistique« , Adrien Viraben développe : « Tandis que le paysage d’après nature s’établit, dès le 18ème siècle, comme le genre privilégié et emblématique des artistes amateurs, le plein air devint, dans la seconde moitié du 19ème siècle, une pratique professionnelle surexposée. Témoignage de cette cohabitation dans un même espace de deux groupes de créateurs antagonistes, Un peintre amateur, présenté par Jules Denneulin au Salon en 1894, relève précisément d’une tentative pour établir visuellement une spécificité de la pratique des amateurs. À la lumière de la « déprofessionnalisation » contemporaine du monde de l’art et de l’indistinction croissante entre artistes amateurs et professionnels, l’œuvre invite ainsi à apprécier toute la distance que son auteur voulut mettre entre deux images, celle de l’amateurisme et celle du travail artistique.« 

Cette peinture sur le motif gagne son esprit et fait sortir Jules Denneulin de son atelier, pour l’emmener peindre en plein air sur la Côte d’Opale. Avec son frère Alfred, il achète un chalet à Wimereux qui l’accueille pendant vingt ans, durant la saison estivale. Virginie Demont-Breton dans ses mémoires évoque tendrement son ami à qui elle vient rendre visite, accompagnée de son mari Adrien et de ses deux filles : « Une année où ils avaient loué un chalet à Wimereux, près de Boulogne, pour la saison chaude, je me rappelle un beau soir d’été où nous allâmes les y surprendre. Au moment où nous arrivions, Adrien, nos enfants et moi sur la plage, elle était déserte malgré l’affluence des baigneurs sur cette côte, car c’était l’heure où les cloches des hôtels rappellent leurs clients autour des tables servies. Le soleil se couchait. Il descendait tout rouge dans une brume grise, et au milieu de l’immense étendue de sable, nous ne voyions qu’un seul être vivant, un homme debout, appuyé de la hanche sur sa canne, immobile, le regard fixé sur l’astre qui semblait se plonger dans la mer. C’était Jules Denneulin. Il était si absorbé dans sa contemplation qu’il n’entendit point nos pas sur le sable. Adrien, parvenu derrière lui, lui mit tout à coup les deux mains sur les yeux. Denneulin tressaillit… puis ce fut une explosion de joie : Ah! c’est toi! c’est vous tous! Ça c’est gentil! Vous me prenez en flagrant délit d’admirer la nature… Ah! tu sais, mon cher, il n’y a encore que ça dans la vie, ça et les bons amis! Mais venez vite au chalet, Alfred sera si content de vous voir!« 

Cette amitié profonde entre cet artiste à la formation classique et le couple Demont-Breton perdure jusqu’à sa mort en 1904. Virginie Demont-Breton raconte sa disparition : « La mort l’a surpris dans la rue, pendant sa promenade journalière. se sentant troublé, il entra chez un marchand fleuriste et demanda à s’asseoir, et il mourut là, au milieu des fleurs. […] La mort l’a surpris aussi spontanément que nous l’avions fait nous-mêmes sur la plage de Wimereux, par ce beau soir d’été où, tout seul et rêveur, il regardait descendre le soleil. Comme la main amie qui ce soir-là se posa doucement sur ses yeux, la mort vint subitement lui cacher la lumière du jour et de la vie, au moment où il contemplait une autre merveille de la nature, les dernières fleurs de l’année. En apprenant à Wissant cette mort subite survenue le mardi 8 novembre 1904, Adrien partit immédiatement pour Lille. Le jeudi 10 eurent lieu les funérailles où Adrien prononça un discours d’adieu. Après ces tristes jours, Alfred ne vécut plus que de souvenirs. Il continua seul ses habitudes régulières. Comme il était idéaliste, il eut la sensation que l’âme de son frère demeurait attachée à tout ce qu’ils avaient aimé ensemble. Cela dura dix ans, puis la guerre éclata. Il resta dans sa ville de Lille et y mourut pendant l’occupation ennemie.« 

Aujourd’hui, Jules Denneulin est quelque peu oublié. Pourtant, il expose régulièrement au Salon de Artistes français à Paris dès 1865, essentiellement des scènes de genre pittoresques, aux accents régionalistes, rencontrant toujours un bon succès. Il envoie également des tableaux dans les Salons de province à Lyon en 1869, au Havre en 1880 et à Rouen en 1895. Dans le Nord, il montre ses œuvres à l’Exposition des Beaux-Arts de Roubaix (1869, 1884 à 1887, 1896 et 1897, 1901), au Salon de la Société des Arts de Douai dès 1872 jusqu’en 1897 dont Les chercheuses de moules, Pêcheuse en bord de mer et Soleil couchant. Il participe aussi au Salon lillois dès 1881 et à l’Union artistique du Nord en compagnie de Paul Hallez notamment.

Ses œuvres sont conservées essentiellement au musée des Beaux-Arts de Lille, dont Le départ du mousse, au musée de Beaune et dans les collections du département du Pas-de-Calais.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Louis Carrier-Belleuse (1848-1913) – peintre et sculpteur parisien sur la Côte d’Opale

Né à Paris le 4 juillet 1848, Louis-Robert Carrier-Belleuse est issu d’une lignée d’artistes. Il est fils du sculpteur reconnu Albert-Ernest Carrier-Belleuse, dont il est l’élève. Il est également le frère du fameux peintre-pastelliste Pierre Carrier-Belleuse. À l’École des Beaux-arts de Paris, il suit les enseignements complémentaires des deux grands maîtres de l’époque, Gustave Boulanger et d’Alexandre Cabanel.

Louis-Robert Carrier-Belleuse reçoit un prix pour l’une de ses peintures au Salon de 1881. Il est également récompensé pour une sculpture au Salon de 1889. Il travaille au côté de son père en tant qu’artiste à la Manufacture de Sèvres, où ce dernier occupe le poste de directeur artistique depuis 1875. En 1877, il se forme à la céramique auprès de Théodore Deck, puis participe au concours de Sèvres en 1882. Outre ses activités à Sèvres, Louis-Robert dessine des modèles pour la Faïencerie de Choisy-le-Roi, dont il devient le directeur artistique en 1889. Son œuvre Porteurs de farine (Salon de 1885) remporte un franc succès, et le tableau est acquis par l’État.

Louis Carrier-Belleuse présente de nombreuses œuvres, des peintures et des sculptures, au Salon des Artistes français dont :

  • Albert-Ernest Carrier-Belleuse dans son atelier, 1874, musée de New-York
  • Une équipe de bitumiers, 1883, musée du Luxembourg
  • Porteurs de farine, 1885, Petit-Palais à Paris
  • Les Petits Ramoneurs, Une petite curieuse, Marchand de journaux, musée de Rochefort
  • Projet pour une coupe d’orfèvrerie, sanguine et craie blanche, musée d’Orsay
  • Les Joueurs d’échecs, musée de Besançon

  • Nymphe et satyre, marbre, musée des Beaux-arts de Nice
  • Monument National du Costa-Rica, 1891
  • Tombeau du président Reina Barrios, Guatemala, 1892

Louis Carrier-Belleuse accompagne parfois son frère Pierre Carrier-Belleuse sur la Côte d’Opale, et notamment à Wissant. Pierre Carrier-Belleuse est en effet lié au couple Demont-Breton, célèbres artistes qui résident au Typhonium à Wissant. C’est là que Pierre emmène des danseuses de l’Opéra de Paris, afin de les peindre dénudées dans les dunes, dans une veine proche de l’Art Nouveau.

Quant à Louis Carrier-Belleuse, il s’active plutôt à peindre la plage, ses pêcheurs et ses bateaux, ses cabines et ses estivants, dans un style naturaliste aux teintes lumineuses. Sa production estivale reste réduite mais il laisse quelques vues pittoresques des plages du Nord, de Berck à Wissant, en passant par le quartier des marins de la Beurière à Boulogne-sur-Mer.

L’artiste meurt le 14 juin 1913, après une carrière riche et célébrée, à l’instar de son père et de son frère.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Pierre Gatier (1878-1944) – peintre de la Marine et graveur passionné

Pierre Louis Antoine Gatier est originaire de Toulon, où il est né le 12 janvier 1878. Après sa scolarité, il entre à l’École des Beaux-arts de Toulon, puis à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris. Là, sous la tutelle éclairée de Joseph Blanc, puis de Fernand Cormon, il se forge avec ardeur et dévotion.

Dans ses œuvres, il tisse un vibrant éloge à la vie foisonnante de la Belle Époque parisienne, capturant l’essence éphémère des moments avec une sensibilité exquise. Le Salon des artistes français, théâtre prestigieux des créateurs, devient son arène de prédilection, de 1903 à 1907. Toutefois, il s’en détourne, préférant se plonger dans la vie sociale des lieux à la mode, tels les Champs-Élysées, la rue de la Paix ou l’hippodrome de Longchamp.

Le tournant décisif dans le destin de Pierre Gatier survient le 30 mars 1907, lorsque le titre honorifique de peintre officiel de la Marine lui est décerné. Dès lors, il s’attèle à immortaliser sur toile les paysages de Toulon et de son environnement, saisissant la magie des instants évanescents de cette contrée maritime. Cependant, son talent ne se borne pas uniquement à la représentation paisible des côtes. Témoin attentif des tourments de l’Histoire, il dépeint avec maestria le Naufrage du Kniaz Souvorov lors de la bataille russo-japonaise de Tsushima, insufflant à ses toiles une charge émotionnelle indélébile (1905).

Élève à partir de 1900 des graveurs Lionel Lecouteux (1847-1909) et Joseph Blanc (1846-1904) à l’École nationale supérieure des beaux-arts à Paris, Pierre Gatier va très tôt réaliser des gravures parallèlement à sa production peinte. Il expérimente l’eau-forte et l’aquatinte en couleurs, très appréciés à l’époque et encore aujourd’hui, puis rédige en 1910 un Traité de l’aquatinte en trois couleurs, indiquant la technique, les lois d’optique, la superposition des couleurs, la gravure du dessin, … Son travail s’inscrit alors dans la continuité du renouveau de l’estampe française commencé aux alentours de 1860, notamment avec l’éditeur Alfred Cadart et l’imprimeur Auguste Delâtre, initiateur de la Société des aquafortistes (1862-1867). Ces artistes sont très appréciés des critiques, Théophile Gautier et Charles Baudelaire en tête.

Dans l’œuvre de Pierre Gatier, trois techniques de gravure différentes correspondent à trois périodes de sa vie : de 1900 à 1914, les eaux-fortes et aquatintes en couleurs qui ont pour thème principal la vie élégante parisienne ; de 1915 à 1918, les linoléums qui traduisent la dureté des temps et marquent une rupture ; et de 1922 à 1931 enfin, les pointes-sèches et burins gravés uniquement au trait et en noir, dans un style plus graphique.

Ces expériences vont inévitablement nourrir aussi, en retour, son œuvre peint, dessiné et gravé. La première guerre mondiale va marquer une rupture dans l’œuvre de Gatier. Il délaisse alors l’aquatinte en couleurs pour la linogravure en noir et blanc. Les gravures sur linoléum de cette époque sont, elles aussi, des témoignages flagrants de leur temps. Elles montrent notamment les camarades de guerre de Pierre Gatier, les activités du port de Bassens réaménagé par les troupes américaines, pour leur ravitaillement pendant le conflit, ainsi que des navires militaires.

Après la guerre, l’artiste abandonne la linogravure et se tourne vers le burin et la pointe-sèche. Les planches gravées de cette époque côtoient les peintures de la fin de sa carrière d’artiste. Il retrouve pour un temps les sujets parisiens et continue à s’intéresser au monde de la mer, mais c’est aussi à cette période qu’apparaissent les paysages de campagne et de montagne.

Après les ravages de la Première Guerre mondiale, Pierre Gatier trouve refuge à Parmain, nichée dans les bras paisibles du Val-d’Oise. À Boulogne-sur-Mer, il a l’opportunité de monter à bord d’un sous-marin commandé par son ami Paul Leygues et d’observer au périscope la surface mouvante de la mer et des navires se découpant sur l’horizon. Vision inoubliable, qui va inspirer ses recherches. Il produit à l’époque une série de peintures, de gravures et d’aquarelles à Boulogne-sur-Mer (septembre 1928) ainsi qu’à Berck.

Cependant, la grande crise de 1929 et les méventes le contraignent à abandonner momentanément son art, se voyant contraint de retourner à Toulon en 1931. Il réintègre alors la Marine pour laquelle il effectue de nouveau des recherches sur le camouflage. En effet, grâce à sa pratique de l’aquatinte et de l’eau-forte en couleurs, il a acquis une solide expérience de la juxtaposition des couleurs et des effets de leur superposition. Il gère la dissimulation des ouvrages derrière le voile trompeur du camouflage, notamment à l’île de Porquerolles. Il revient exposer avec succès à l’Exposition universelle de 1937 à Paris, en embellissant le palais de l’Air de son art subtil et raffiné.

En 1938, Pierre Gatier s’installe en Haute-Savoie, à Saint-Gervais-les-Bains. Il y peint des vues montagnardes dans des tons très lumineux et tendres, notamment des paysages de la commune (sommets, vallées, glaciers, chalets). Affaibli par le diabète, Pierre Gatier s’éteint le 15 octobre 1944 à Joigny dans l’Yonne. Ses œuvres sont visibles notamment dans les musées de L’Isle-Adam (estampes), de Toulon et de Berck-sur-mer (aquarelles), au Centre nationale des arts plastiques (eaux-fortes), et au musée du département du Pas-de-Calais.

Auteur : Yann Gobert-Sergent