Jules Denneulin (1835-1904) – peintre lillois amoureux de la Côte d’Opale

Fils d’un négociant en draps, Jules Denneulin est né le 16 août 1835 à Lille. Peintre de genre et paysagiste, il suit les cours aux Écoles académiques de Lille avec François Souchon (1787-1857), premier directeur de cette école, et Alphonse Colas (1818-1887), grand peintre religieux, lui-même élève de Souchon, et aussi professeur de Pharaon de Winter. L’artiste garde aussi une belle amitié avec ses camarades de l’École des Beaux-Arts, dont Carolus-Duran (1837-1917) qui lui fait son portrait (musée de Lille), et Pierre Billet (1836-1922).

En 1859, grâce à son père, Jules Denneulin rend visite à Jules Breton à Courrières. Il y reçoit les précieux conseils du maître. Puis, l’artiste débute au Salon des Artistes français en 1865 en envoyant La fille au rouet ainsi que la Dentellière, qui reçoivent un bon accueil. Le musée de Lille acquiert les deux œuvres. L’année suivant, il propose Un coup difficile (1866), puis d’autres tableaux « qui empruntent un intérêt particulier aux scènes de mœurs lilloises qu’ils représentent. M. Denneulin réussit dans le paysage : sa palette a des tons vigoureux, son pinceau sait être vrai sans tomber dans le prosaïsme. » (Presse du Nord). En 1882, les Chercheuses de Vers sont particulièrement appréciées au Salon, « scène pittoresque de grand talent« .

Au Salon des Beaux-Arts de Roubaix en 1886, son œuvre se fait remarquer : « L’Idylle de M. Jules Denneulin est pour nous le clou de l’exposition de Roubaix, l’œuvre la plus étonnante, celle où l’auteur se soit le plus surpassé. Que sont les anciens tableaux de M. Denneulin, si estimés, si recherchés par les vrais amateurs, en présence de cette toile sans précédent dans l’œuvre du peintre ? Oh ! que nous la voudrions voir au prochain Salon parisien! Avec quel regard complaisant et admiratif on s’empresserait de la contempler et de faire galerie tout autour; c’est une révélation, une transfiguration quoi ! Ah ! je sais une grande ville dont le musée a bonne réputation, qui serait merveilleusement inspirée en acquérant tout de suite ce tableau d’un de ses enfants. La scène est simple : c’est une femme assise sur la plage et tricotant; près d’elle, un gars superbe et d’un dessin solide est étendu sur le ventre, la tête appuyée dans la main; devant eux le ciel et la mer, entre lesquels se jouent les vapeurs du couchant. Ils parlent sans doute d’union, d’amour et d’espoir, ils se redisent les mots « qui, depuis cinq mille ans, se suspendent encore aux lèvres des amants » ; la femme baisse la paupière, tandis que lui la regarde de tous ses yeux. » (Jules Duthil).

En 1894, Jules Denneulin évoque, à travers son œuvre Le peintre amateur (huile sur toile 89cm x 129cm), une nouvelle pratique plus démocratique de la peinture. Dans « Autour d’un tableau de Jules Denneulin (1894) : peindre en amateur et peindre en plein air, une image du travail artistique« , Adrien Viraben développe : « Tandis que le paysage d’après nature s’établit, dès le 18ème siècle, comme le genre privilégié et emblématique des artistes amateurs, le plein air devint, dans la seconde moitié du 19ème siècle, une pratique professionnelle surexposée. Témoignage de cette cohabitation dans un même espace de deux groupes de créateurs antagonistes, Un peintre amateur, présenté par Jules Denneulin au Salon en 1894, relève précisément d’une tentative pour établir visuellement une spécificité de la pratique des amateurs. À la lumière de la « déprofessionnalisation » contemporaine du monde de l’art et de l’indistinction croissante entre artistes amateurs et professionnels, l’œuvre invite ainsi à apprécier toute la distance que son auteur voulut mettre entre deux images, celle de l’amateurisme et celle du travail artistique.« 

Cette peinture sur le motif gagne son esprit et fait sortir Jules Denneulin de son atelier, pour l’emmener peindre en plein air sur la Côte d’Opale. Avec son frère Alfred, il achète un chalet à Wimereux qui l’accueille pendant vingt ans, durant la saison estivale. Virginie Demont-Breton dans ses mémoires évoque tendrement son ami à qui elle vient rendre visite, accompagnée de son mari Adrien et de ses deux filles : « Une année où ils avaient loué un chalet à Wimereux, près de Boulogne, pour la saison chaude, je me rappelle un beau soir d’été où nous allâmes les y surprendre. Au moment où nous arrivions, Adrien, nos enfants et moi sur la plage, elle était déserte malgré l’affluence des baigneurs sur cette côte, car c’était l’heure où les cloches des hôtels rappellent leurs clients autour des tables servies. Le soleil se couchait. Il descendait tout rouge dans une brume grise, et au milieu de l’immense étendue de sable, nous ne voyions qu’un seul être vivant, un homme debout, appuyé de la hanche sur sa canne, immobile, le regard fixé sur l’astre qui semblait se plonger dans la mer. C’était Jules Denneulin. Il était si absorbé dans sa contemplation qu’il n’entendit point nos pas sur le sable. Adrien, parvenu derrière lui, lui mit tout à coup les deux mains sur les yeux. Denneulin tressaillit… puis ce fut une explosion de joie : Ah! c’est toi! c’est vous tous! Ça c’est gentil! Vous me prenez en flagrant délit d’admirer la nature… Ah! tu sais, mon cher, il n’y a encore que ça dans la vie, ça et les bons amis! Mais venez vite au chalet, Alfred sera si content de vous voir!« 

Cette amitié profonde entre cet artiste à la formation classique et le couple Demont-Breton perdure jusqu’à sa mort en 1904. Virginie Demont-Breton raconte sa disparition : « La mort l’a surpris dans la rue, pendant sa promenade journalière. se sentant troublé, il entra chez un marchand fleuriste et demanda à s’asseoir, et il mourut là, au milieu des fleurs. […] La mort l’a surpris aussi spontanément que nous l’avions fait nous-mêmes sur la plage de Wimereux, par ce beau soir d’été où, tout seul et rêveur, il regardait descendre le soleil. Comme la main amie qui ce soir-là se posa doucement sur ses yeux, la mort vint subitement lui cacher la lumière du jour et de la vie, au moment où il contemplait une autre merveille de la nature, les dernières fleurs de l’année. En apprenant à Wissant cette mort subite survenue le mardi 8 novembre 1904, Adrien partit immédiatement pour Lille. Le jeudi 10 eurent lieu les funérailles où Adrien prononça un discours d’adieu. Après ces tristes jours, Alfred ne vécut plus que de souvenirs. Il continua seul ses habitudes régulières. Comme il était idéaliste, il eut la sensation que l’âme de son frère demeurait attachée à tout ce qu’ils avaient aimé ensemble. Cela dura dix ans, puis la guerre éclata. Il resta dans sa ville de Lille et y mourut pendant l’occupation ennemie.« 

Aujourd’hui, Jules Denneulin est quelque peu oublié. Pourtant, il expose régulièrement au Salon de Artistes français à Paris dès 1865, essentiellement des scènes de genre pittoresques, aux accents régionalistes, rencontrant toujours un bon succès. Il envoie également des tableaux dans les Salons de province à Lyon en 1869, au Havre en 1880 et à Rouen en 1895. Dans le Nord, il montre ses œuvres à l’Exposition des Beaux-Arts de Roubaix (1869, 1884 à 1887, 1896 et 1897, 1901), au Salon de la Société des Arts de Douai dès 1872 jusqu’en 1897 dont Les chercheuses de moules, Pêcheuse en bord de mer et Soleil couchant. Il participe aussi au Salon lillois dès 1881 et à l’Union artistique du Nord en compagnie de Paul Hallez notamment.

Ses œuvres sont conservées essentiellement au musée des Beaux-Arts de Lille, dont Le départ du mousse, au musée de Beaune et dans les collections du département du Pas-de-Calais.

Auteur : Yann Gobert-Sergent