Pierre Gatier (1878-1944) – peintre de la Marine et graveur passionné

Pierre Louis Antoine Gatier est originaire de Toulon, où il est né le 12 janvier 1878. Après sa scolarité, il entre à l’École des Beaux-arts de Toulon, puis à l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris. Là, sous la tutelle éclairée de Joseph Blanc, puis de Fernand Cormon, il se forge avec ardeur et dévotion.

Dans ses œuvres, il tisse un vibrant éloge à la vie foisonnante de la Belle Époque parisienne, capturant l’essence éphémère des moments avec une sensibilité exquise. Le Salon des artistes français, théâtre prestigieux des créateurs, devient son arène de prédilection, de 1903 à 1907. Toutefois, il s’en détourne, préférant se plonger dans la vie sociale des lieux à la mode, tels les Champs-Élysées, la rue de la Paix ou l’hippodrome de Longchamp.

Le tournant décisif dans le destin de Pierre Gatier survient le 30 mars 1907, lorsque le titre honorifique de peintre officiel de la Marine lui est décerné. Dès lors, il s’attèle à immortaliser sur toile les paysages de Toulon et de son environnement, saisissant la magie des instants évanescents de cette contrée maritime. Cependant, son talent ne se borne pas uniquement à la représentation paisible des côtes. Témoin attentif des tourments de l’Histoire, il dépeint avec maestria le Naufrage du Kniaz Souvorov lors de la bataille russo-japonaise de Tsushima, insufflant à ses toiles une charge émotionnelle indélébile (1905).

Élève à partir de 1900 des graveurs Lionel Lecouteux (1847-1909) et Joseph Blanc (1846-1904) à l’École nationale supérieure des beaux-arts à Paris, Pierre Gatier va très tôt réaliser des gravures parallèlement à sa production peinte. Il expérimente l’eau-forte et l’aquatinte en couleurs, très appréciés à l’époque et encore aujourd’hui, puis rédige en 1910 un Traité de l’aquatinte en trois couleurs, indiquant la technique, les lois d’optique, la superposition des couleurs, la gravure du dessin, … Son travail s’inscrit alors dans la continuité du renouveau de l’estampe française commencé aux alentours de 1860, notamment avec l’éditeur Alfred Cadart et l’imprimeur Auguste Delâtre, initiateur de la Société des aquafortistes (1862-1867). Ces artistes sont très appréciés des critiques, Théophile Gautier et Charles Baudelaire en tête.

Dans l’œuvre de Pierre Gatier, trois techniques de gravure différentes correspondent à trois périodes de sa vie : de 1900 à 1914, les eaux-fortes et aquatintes en couleurs qui ont pour thème principal la vie élégante parisienne ; de 1915 à 1918, les linoléums qui traduisent la dureté des temps et marquent une rupture ; et de 1922 à 1931 enfin, les pointes-sèches et burins gravés uniquement au trait et en noir, dans un style plus graphique.

Ces expériences vont inévitablement nourrir aussi, en retour, son œuvre peint, dessiné et gravé. La première guerre mondiale va marquer une rupture dans l’œuvre de Gatier. Il délaisse alors l’aquatinte en couleurs pour la linogravure en noir et blanc. Les gravures sur linoléum de cette époque sont, elles aussi, des témoignages flagrants de leur temps. Elles montrent notamment les camarades de guerre de Pierre Gatier, les activités du port de Bassens réaménagé par les troupes américaines, pour leur ravitaillement pendant le conflit, ainsi que des navires militaires.

Après la guerre, l’artiste abandonne la linogravure et se tourne vers le burin et la pointe-sèche. Les planches gravées de cette époque côtoient les peintures de la fin de sa carrière d’artiste. Il retrouve pour un temps les sujets parisiens et continue à s’intéresser au monde de la mer, mais c’est aussi à cette période qu’apparaissent les paysages de campagne et de montagne.

Après les ravages de la Première Guerre mondiale, Pierre Gatier trouve refuge à Parmain, nichée dans les bras paisibles du Val-d’Oise. À Boulogne-sur-Mer, il a l’opportunité de monter à bord d’un sous-marin commandé par son ami Paul Leygues et d’observer au périscope la surface mouvante de la mer et des navires se découpant sur l’horizon. Vision inoubliable, qui va inspirer ses recherches. Il produit à l’époque une série de peintures, de gravures et d’aquarelles à Boulogne-sur-Mer (septembre 1928) ainsi qu’à Berck.

Cependant, la grande crise de 1929 et les méventes le contraignent à abandonner momentanément son art, se voyant contraint de retourner à Toulon en 1931. Il réintègre alors la Marine pour laquelle il effectue de nouveau des recherches sur le camouflage. En effet, grâce à sa pratique de l’aquatinte et de l’eau-forte en couleurs, il a acquis une solide expérience de la juxtaposition des couleurs et des effets de leur superposition. Il gère la dissimulation des ouvrages derrière le voile trompeur du camouflage, notamment à l’île de Porquerolles. Il revient exposer avec succès à l’Exposition universelle de 1937 à Paris, en embellissant le palais de l’Air de son art subtil et raffiné.

En 1938, Pierre Gatier s’installe en Haute-Savoie, à Saint-Gervais-les-Bains. Il y peint des vues montagnardes dans des tons très lumineux et tendres, notamment des paysages de la commune (sommets, vallées, glaciers, chalets). Affaibli par le diabète, Pierre Gatier s’éteint le 15 octobre 1944 à Joigny dans l’Yonne. Ses œuvres sont visibles notamment dans les musées de L’Isle-Adam (estampes), de Toulon et de Berck-sur-mer (aquarelles), au Centre nationale des arts plastiques (eaux-fortes), et au musée du département du Pas-de-Calais.

Auteur : Yann Gobert-Sergent