Elizabeth Nourse est née à Cincinnati le 26 octobre 1859 à Mount Healthy (Ohio), dans une famille catholique. Après des études brillantes, elle décline l’offre d’un poste d’enseignante afin de se concentrer sur son art. Orpheline dès 1882, elle part brièvement étudier à l’Art Students League of New-York. En 1883, elle revient dans l’Ohio et acquiert une première formation à l’école des arts de Cleveland. Elle gagne alors sa vie en effectuant des peintures d’intérieur et en réalisant des portraits.
Élève de Jules Lefebvre et de Gustave Boulanger à l’Académie Julian à Paris en 1887, puis en 1888, durant trois mois, elle se perfectionne avec Carolus-Duran, le célèbre maître des portraits mondains du Second Empire, originaire de Lille. L’année suivante, elle commence un périple sur la Côte d’Opale, passant à Boulogne, Le Portel, Camiers, Étaples, où elle peint jusqu’en 1891. Après des voyages en Europe, (Italie, Allemagne, …) en 1893, elle s’installe définitivement l’année suivante au 80, rue d’Assas à Paris. En 1897, elle rapporte d’Algérie et de Tunisie, notamment de Biskra, des sujets berbères colorés.
Trois mois après la fin de ses cours en art, Elizabeth Nourse débute déjà aux Salons des Artistes français en 1888 avec Une mère! (illustration ci-dessus, Cincinnati Art Museum). Puis l’année suivant, elle envoie Dans la bergerie à Barbizon et Entre voisines. A partir de 1890, jusqu’en 1914, l’artiste se consacre au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts, présente tous les ans. En 1890, pour sa première participation, elle propose : Dans la campagne, La dernière bouchée, La rue Chanoinesse (aquarelle) et La vieille cuisine fleurie (aquarelle). Les années suivantes, ce sont les sujets bretonnants et religieux qui animent son art. En 1898, sa spécialisation dans les sujets enfantins et familiaux s’affirme avec A l’abri, Dans le pré, La soif et Maternité.
En 1895, elle devient sociétaire de la Société nationale des Beaux-Arts. A ce Salon en 1903, elle présente quatre peintures et six aquarelles et pastels qui sont remarqués par la critique : des sujets bretons pour dénoncer la famine terrible qui sévit durant l’hiver 1902-1903, et la représentation de la Procession de Notre-Dame de la Joie qui a lieu le 15 août à Penmarch. Elle y revient en 1912 avec l’Eté,
Artiste complète, elle aime la peinture à l’huile, le dessin, l’aquarelle, le pastel. En 1889, elle connaît un grand succès avec Pêcheuse de Picardie (Smithsonian American Art Museum), figurant une fillette et sa mère, revenant d’une pêche à pied dans les alentours d’Étaples. Cette œuvre emblématique est également éditée en bronze, produite à dix exemplaires par un fondeur, qui retranscrit parfaitement l’ambiance voulue par l’artiste. La sculpture, très réaliste, nous montre une mère tenant un filet de pêche et son enfant dans l’autre main. Du haut d’un piédestal dunaire, ensemble, ils scrutent la mer. La force du vent devient perceptible par les plis des drapés des vêtements. Cette scène maternelle face aux éléments naturels, dégage une force et une émotion palpables. L’artiste édite d’autres bronzes à l’époque, notamment des bustes de sa famille, Louise et Caleb Nourse.
A Paris, elle partage son atelier avec l’autre peintre de la maternité célèbre du moment, Béatrice How. Elizabeth Nourse est aussi active dans les expositions montées par la Galerie Georges Petit à Paris, notamment lors des événements consacrées aux femmes artistes. Cette galerie éponyme est une institution incontournable du marché de l’art français jusqu’au début des années 1920. Implantée dans la rue de Sèze, sa vaste salle d’exposition de 300 mètres carrés s’offre aux visiteurs après un escalier monumental. Particulièrement sophistiqué, « l’établissement est servi par des sols parquetés recouverts de tapis rouges, des murs tendus de velours brun, et par un ingénieux système de lustres qui s’élève et s’abaisse à volonté. […] Les salles spacieuses de la galerie permettent de mettre en valeur les œuvres exposées ; on est loin de l’accumulation des toiles perdues dans la cohue des Salons« .
En janvier 1896, à la Galerie Georges Petit, elle participe à la 4ème Exposition de la Société des Femmes Artistes, au côté de Marie Duhem entre autres, présentant sept œuvres dont : étude de Bébé et Tête d’Enfant. En 1906, elle revient pour la 14ème Exposition de la Société des Femmes Artistes, envoyant quatre œuvres dont Fillette (pastel) et La petite sœur (dessin), puis une dernière fois en 1908. Tous ces sujets tendres, maternelles et sentimentaux, reçoivent un très bon accueil de la critique et du public. En mai 1915, elle participe à la Grande Tombola des artistes et des écrivains français, offrant un dessin aquarellé intitulé Fillette.
Très féministe et sensible à la condition des enfants, elle se fait spécialiste d’une peinture quelque peu sociale, produisant nombre de portraits de fillettes et de gamins dans la pauvreté ou au travail. Elle participe à la Société des Peintres orientalistes français de 1904 à 1906, sans grand succès. Elle intègre, avec Virginie Demont-Breton, la fameuse Union des Femmes Peintres et Sculpteurs (UFPS), installée à Paris. Elle y présente en 1916 : Consolation (peinture) et Mère et Bébé (dessin).
En octobre 1908, pour la 19ème Exposition du Water Color Club à New-York, l’artiste présente Le repas en famille (non localisé), figurant une famille étaploise attablée dans son intérieur modeste. Une miche de pain, peu avenante, trône sur la table. Regardant sa mère, l’air inquiet, la fillette comprend déjà la détresse de ses parents qui peinent à nourrir la petite famille. A l’époque, l’œuvre reçoit un franc succès.
Durant la Première guerre mondiale, Elizabeth Nourse est très active pour l’aide de guerre. Pour son action, l’artiste reçoit en 1915 une médaille d’or lors de l’exposition de San Francisco, puis en 1919, une plaque d’argent de la Société des Beaux-Arts, en reconnaissance de son travail pour les artiste victimes de la Grande guerre. Durant l’hiver de 1917, intégrée à la Croix-Rouge, elle aide les prisonniers qu’elle croque de sa plume à ses temps perdus. En 1921, elle reçoit la médaille Laetare lors de son retour aux États-Unis, accompagnée des félicitations du nonce apostolique.
En 1920, à l’invitation de Tanner, elle expose La mère et La ménagère à l’Exposition du Touquet. Après la mort de sa sœur jumelle en 1927, sa santé se dégradant, elle cesse alors d’exposer. L’artiste meurt le 8 octobre 1938 à Paris. Une très large partie de son œuvre se trouve réunie au Cincinnati Museum, une masse de 500 peintures, aquarelles et dessins, reflétant son talent.
Par le choix et l’intensité de ses sujets et de son art, Elizabeth Nourse peut être considérée comme « précurseur de la peinture sociale réaliste« , à l’instar de Jules Adler.
Auteur : Yann Gobert-Sergent