Gaston Balande (1880-1971) – le dernier peintre naturaliste d’Etaples

Gaston Balande a une histoire familiale mouvementée. Ses grands-parents, qui tiennent l’hôtel de la Gare à Saujon, apprennent que leur fille a une liaison avec le chef de gare, Amédée Reynaud, marié et déjà père d’un enfant. Enceinte, elle s’enfuit avec son amant à Madrid où elle accouche de Gaston, le 31 mai 1880. Bien plus tard, en 1891, elle se marie avec Fernand Balande qui donnera son nom à Gaston. Le jeune garçon n’a pas une enfance heureuse et se réfugie souvent dans le dessin. Gaston Balande développe son talent artistique de manière autodidacte en s’inspirant des gravures et des chromolithographies exposées sur les étals du marché de Saujon. Ses compétences en dessin s’améliorent rapidement, et il remporte même le premier prix de dessin à l’école primaire. Après son certificat d’études, il travaille chez un carrossier puis un peintre décorateur à La Tremblade.

En 1898, il intègre l’atelier d’un restaurateur de cadres et de tableaux anciens à Cholet, où il y reçoit ses premières notions en art et en peinture. Il décide alors de persévérer dans cette voie. Contraint par sa précarité, Gaston Balande doit enchaîner des emplois temporaires au détriment de sa formation artistique. Cependant tout change, lorsqu’en 1900, Alfred Coutureaud, abbé de Royan et peintre amateur, intervient et lui présente son ancien professeur, Henri Harpignies (1819-1916). Cette rencontre se déroule à Paris, lors de l’Exposition universelle de 1900. Élève de Corot et membre éminent de l’École de Barbizon, Harpignies termine sa carrière prolifique. Très influent, il rédige une lettre de recommandation pour Gaston Balande, à l’attention du directeur de l’École des Beaux-arts de Paris, afin qu’il puisse intégrer les cours et améliorer ses compétences en dessin.

A Paris, Gaston Balande renoue avec des emplois précaires et s’active dans un atelier de peinture d’enseignes. Malgré ses journées de travail éreintantes, il suit les cours du soir à l’école de dessin de la rue Étienne-Marcel. Il rend visite à plusieurs reprises à Harpignies, « son protecteur », pour que ce dernier puisse évaluer ses progrès. Après un premier échec, il entre à l’École nationale des arts décoratifs de Paris en mars 1901. En 1902, Gaston Balande est déclaré apte pour le service militaire, ce qui l’oblige à suspendre ses cours à l’École des arts décoratifs. Dans un premier temps, il est affecté à Bordeaux, puis à La Rochelle, où il fait la rencontre du peintre Furcy de Lavaux, également conservateur du musée des Beaux-arts de la ville. Ce dernier l’invite à suivre des cours du soir de dessin. Transféré enfin à Paris, un caporal fortuné de la caserne lui passe commande de son premier tableau : un coucher de soleil sur la Seudre à Ribérou, représentant le port de Ribérou à Saujon. Balande envoie cette œuvre au Salon des artistes français, mais elle est refusée par le jury.

Après son service militaire, Gaston Balande se marie à Paris le 3 septembre 1904 avec Claire Roux. Cette union précipitée lui permet de reconnaître la paternité de son fils Paul Gaston, né le 1er août. C’est l’époque aussi où le jeune artiste reprend ses cours du soir à l’École des arts décoratifs. Il fréquente également les ateliers de Jean-Paul Laurens (1838-1921), peinture d’histoire, et de Rupert Bunny (1864-1947), peintre australien actif à Etaples. Fort de ces enseignements reçus, il se présente avec succès au Salon des artistes français de 1905 avec un tableau ambitieux intitulé Quai d’Orsay en hiver. L’Académie des Beaux-arts, par le biais de l’Institut, reconnaît immédiatement la valeur de cette toile et décerne à Gaston Balande le prix Édouard-Lemaître, qui récompense l’œuvre d’un paysagiste âgé de moins de 25 ans. Selon les Mémoires de Balande, le maître Fernand Cormon aurait joué un rôle important dans cette nomination. D’ailleurs, Cormon lui propose de rejoindre son atelier à l’École des Beaux-arts, ce que Balande n’officialise qu’en 1909.

À partir de 1914, une nouvelle orientation vers une peinture lumineuse se profile lorsque Gaston Balande se consacre à son éclatant chef-d’œuvre intitulé Sur les bords de la Seine. Autour de lui, penché sur sa palette, les convives se délectent d’un pique-nique, se plongent dans la lecture, pêchent et naviguent sur la Seine, lieu qui est devenu le terrain de jeu privilégié des Parisiens. Gaston Balande trouve refuge à La Rochelle, au printemps 1918, puis s’installe peu après la guerre dans le village voisin de Lauzières. L’artiste se laisse guider par son exploration du Pays d’Aunis, dans la campagne rochelaise. En compagnie de Paul Deltombe (1878-1971), ami de Victor Dupont (1873-1941) et des Fauves, il expose à la prestigieuse Galerie Devambez à Paris en 1919. En 1920, Gaston Balande rencontre Albert Marquet (1875-1947), avec qui il partage des séances de peinture en plein air, puis fait également la connaissance de Paul Signac (1863-1935), maître du Pointillisme. Il participe également à la Biennale de Venise, ainsi qu’à de nombreuses expositions à l’étranger, que ce soit au Brésil, en Belgique, en Suisse, en Italie. Aux États-Unis, il expose à Pittsburgh aux côtés de grandes figures telles que Georges Braque, Pablo Picasso et Maurice de Vlaminck. En 1929, il entreprend un voyage au Maroc, ramenant avec lui de nombreuses études colorées, réalisées sur le vif.

Sa trajectoire artistique s’épanouit au gré des rencontres et des voyages, animée par un esprit créatif en perpétuelle mutation vers une modernité toujours plus affirmée. En 1934, une commande d’envergure lui est confiée par la Compagnie générale transatlantique : la réalisation d’un imposant panneau décoratif destiné au salon d’écriture des premières classes du paquebot Normandie. En 1935, lors d’une croisière en Italie, Gaston Balande découvre la Sicile et, à Venise, puise son inspiration pour peindre le majestueux Palais des Doges depuis le ponton du navire. Le peintre partage son savoir-faire dans l’art du paysage avec ses élèves étrangers à l’École Américaine du Palais de Fontainebleau, poste qu’il occupe depuis 1926. Dès 1931, il devient également conservateur du musée de La Rochelle. À la fin de la guerre, en mai 1945, Gaston Balande célèbre cet événement marquant à travers sa toile intitulée La Libération de La Rochelle, puis réalise Réception du général de Gaulle par la ville de La Rochelle, œuvre acquise par l’État en 1946. En 1957, Gaston Balande prend la décision de vendre sa demeure de Senneville, optant pour la conservation de son atelier parisien ainsi que de sa maison à Lauzières.

L’artiste peint jusqu’à la fin de sa vie. Il participe activement au Salon des artistes français dès 1905 jusqu’en 1932, au Salon d’Automne de 1913 à 1944, au Salon des Indépendants de 1921 à 1939 (sous la présidence de Paul Signac et de Victor Dupont), expose à la Société coloniale des Artistes français de 1921 à 1963, dans les régions, au Salon de Bordeaux de 1909 à 1939, de Lyon en 1910-1911 et en 1928 et 1937, de Nantes de 1909 à 1914 et de Dijon de 1931 à 1938, à la Galerie Georges Petit de 1915 à 1934, aux galeries Eugène Druet (1935 à 1938) et Devambez, ainsi qu’à l’étranger (Rome, Milan, Bruxelles, Copenhague, San Francisco, …). Gaston Balande meurt à Paris le 8 avril 1971 et repose au cimetière de Nieul-sur-Mer.

Son passage à Etaples nous est connu grâce à son carnet intime, dans lequel Gaston Balande note, dans un style très libre, les événements importants de sa vie ainsi que son arrivée sur la Côte d’Opale en 1907. Ainsi, il raconte : « A 27 ans je devins possesseur d’un bout de terrain à Etaples, sur les bords de la Canche. Lieu bien situé en angle de rue, en plein soleil, d’une vue admirable sur l’horizon. J’ai eu l’idée d’y faire édifier quatre murs pour un atelier mesurant dix mètres de long sur quatre de large, non pas sans mal puisqu’ils s’écroulèrent pendant la construction. Enfin reconstruit, là, on y passait plusieurs semaines chaque année. Parfois, les fortes tempêtes y causaient quelques dégâts à la toiture. Malgré l’aménagement précaire, cet atelier me fut utile pour l’exercice de ma profession, par les intempéries ou, avec vingt sous, à l’abri, je faisais poser des modèles toute une matinée. Lors d’une année, en but de rapprochement vers nos familles dans le Sud-Ouest, nous ne pûmes l’occuper pendant la période des vacances, aussi, l’avais-je prêté au peintre Jules Adler, sans aucun dédommagement, simplement afin de lui rendre service. J’avoue que, comme compensation, il m’avait proposé pour la Légion d’Honneur au Comité de la Société des artistes français, et peut-être à ses amis influents. »

Peintre des gens de mer, Jules Adler (1865-1952) porte un regard empreint de conscience sociale sur le monde de la Marine, particulièrement à Equihen et à Etaples. Avec une différence d’âge de quinze ans, il exerce une influence considérable sur Gaston Balande, tant dans le choix de ses sujets que dans leur traitement, mettant en lumière la rude réalité des métiers de la mer. Membre de la Colonie d’Etaples, le peintre australien Rupert Bunny (1864-1947) apporte également son soutien à Gaston Balande au début de sa carrière. Il est mentionné comme étant son maître dans les différents livrets des Salons. Cependant, les personnalités des deux hommes sont peu conciliables, et leurs chemins se séparent rapidement. A la veille de la Grande guerre, le peintre compte ses soutiens : « Maintenant, j’avais des amis sur lesquels je pouvais compter : M. Dubois aux artistes français, Cormon à l’Institut. Quant à Bunny, il changeait, devenant réservé, peut-être qu’il soit… ombrageux devant mes succès, car au fond qui étais-je ? ». Malgré les tensions persistantes et le désintérêt croissant du peintre australien, l’influence du style quelque peu grandiloquent de Rupert Bunny, fervent adepte des allégories intimistes, se manifeste dans certaines compositions de Gaston Balande. Finalement, c’est le discret M. Dubois, originaire de Boulogne, qui semble avoir joué un rôle essentiel en attirant Balande sur les côtes de la Manche. Secrétaire du jury des Prix et responsable des accrochages au Salon parisien, il convainc le jeune artiste à se rendre dans le Boulonnais pour étudier des marines et concourir pour un prix de l’Institut. Enfin, le travail de Gaston Balande use de rendus chromatiques sobres et froids, également utilisés par Eugène Vail (1857-1934), même s’il n’est pas mentionné. La proximité de ces deux artistes s’avère patente.

Au-delà de ces péripéties artistiques, les séjours de Gaston Balande dans le Nord de la France semblent être entravés par les conditions climatiques, parfois rigoureuses pour un « méridional » : « Je commençais à me lasser des intempéries d’Etaples. Toujours la brume ou la pluie, toujours le grand vent de la Manche, la mer, toujours grise, souvent le ciel terne, monotone sans soleil et, en plein juillet, il fallait avoir du feu dans l’atelier. Je n’avais point été habitué dans ma jeunesse aux jours tristes du Nord de la France. En Charente Inférieure, comme on le nommait autrefois, j’avais connu seulement les quelques semaines de mauvais temps d’hiver, où le climat est plutôt celui du Midi, du Soleil. Par conséquent, une certaine nostalgie m’inquiétait, ainsi que mon tempérament susceptible au froid. » Cette ambiance parfois maussade enferme quelque peu sa palette dans des tons froids et sombres, comme l’artiste le rappelle, comme pour justifier a posteriori ses quelques œuvres monochromes. Malgré cela, son art connaît un bon succès dans les expositions officielles et provinciales : « Seulement l’art a dominé à Etaples. Si j’ai parfois souffert pour lui avec ma santé, j’ai eu à en jouir par de réels succès. Le soleil me manquait, ceci m’influença dans mes œuvres et ce fut ma manière noire. »

L’hiver 1913-1914, l’artiste le passe à travailler sa Noce Boulonnaise ; c’est l’une de ses dernières œuvres étaploises. A l’été 1914, Gaston Balande part peindre ailleurs : « En juillet, nous avions fait un essai de louer dans l’île de Bougival à la Grenouillère de Maupassant, un chalet au bord de la Seine, où nous y passâmes le mois jusqu’aux lueurs effarantes du monde en émoi. » Comme les autres artistes de la Côte d’Opale, la Première guerre mondiale sonne le glas de l’Ecole d’Etaples : « Depuis, survint 1914, avec la guerre menaçante en plein été ; il n’est plus question d’Etaples. Nous évacuons Paris pour Saujon en Charente Inférieure le matin du 2 août, par le dernier train en partance vers la région, avant la mobilisation. L’effervescence régnait partout, c’est en débarquant que nous apprenons la déclaration de guerre avec l’Allemagne. Déjà on se battait à la frontière. Nous devions ne plus revenir à Etaples. Les Allemands ayant occupé le Nord, aucune nouvelle de l’atelier ne m’était parvenue. Néanmoins, en 1919, à cette époque, j’ai appris qu’il avait été pillé par les gens du pays, il n’y restait, parait-il, même plus les planchers du parquet, ni les volets de clôture. Je l’ai vendu en 1921 à un graveur Anglais. Jamais je ne l’ai revu et ce qu’il en était advenu. »

L’épopée étaploise de Gaston Balande demeure finalement circonscrite, s’étendant de l’année 1907 à l’été 1913, soit sept années, certes, mais d’une créativité bien foisonnante. Malgré cette période éphémère, l’artiste engendre une série d’œuvres pittoresques, véritable hymne à la vie maritime boulonnaise. Chaque venue estivale, le peintre se délecte d’une errance dans les ruelles de la cité portuaire, se mêlant aux marins et à leurs familles, arpentant l’estran à la recherche de scènes de pêche typiques. Tel un Francis Tattegrain, il s’imprègne de la justesse naturaliste pour représenter ses sujets, conférant ainsi à ses toiles un caractère quasi-ethnographique.

Gaston Balande envoie au Salon des artistes français plusieurs œuvres étaploises, souvent produites dans de larges formats, servies par des teintes foncées, presque brunes, mais toujours animées et dynamiques. Dès 1907, Le Départ pour la pêche (musée des Beaux-arts de La Rochelle) fait sensation et lui octroie une médaille : « Le baron de Rothschild est un véritable mécène pour les artistes. Chaque année, il achète un certain nombre de tableaux dont il fait la répartition dans les musées de province. Cette année, c’est La Rochelle qui a bénéficié de ses largesses, avec le tableau de Gaston Balande : Le Départ pour la pêche, qui a figuré au Salon de cette année. L’œuvre, comme son nom l’indique, représente des matelots qui poussent vigoureusement une chaloupe à la mer » (Le Courrier de La Rochelle, 7 novembre 1907). En 1908, l’artiste présente deux œuvres étaploises : Au revoir, min fieu et Désarmement du bateau, détruite dans l’incendie du musée de Dunkerque en 1940, dont subsiste l’étude très proche. En 1910, il envoie Allons, allons, embarque! Scène de quai à Etaples, figurant la hâte d’un départ de pêche pris sur le vif.

L’année suivante, Gaston Balande continue dans cette veine avec L’arrivée au quai à Etaples (musée des Beaux-arts de Dunkerque). Enfin, en 1912, il achève sa série avec Retour de pêche à Etaples, d’un beau format (184cm x 220cm), conservé aujourd’hui à la mairie de Saujon. L’artiste accroche également aux cimaises des Salons régionaux ses œuvres, notamment Les gens de mer à Etaples à la 53ème exposition de la Société des Amis des Arts de Douai durant l’été 1907, puis le même tableau à la 28ème exposition de la Société artistique de Roubaix en octobre de la même année. Il présente Marée basse à Etaples en juillet-août 1908 au Salon de la Société des Amis des Arts de Douai et y remporte une médaille. Gaston Balande envoie une dernière fois au Salon de la Société des Amis des Arts de Douai un tableau intitulé Rentrée au port d’Etaples à l’été 1910. Lors de ces événements artistiques, Gaston Balande produit des scènes de quais étaploises pleines d’énergie, où la figure humaine est toujours mise en exergue. Tels des portraits à part entière, il rend hommage à la population laborieuse, aux gens de mer à Etaples, dans un décor marin bien construit et abouti.

Au terme de son passage dans la région Nord, Gaston Balande apparaît comme l’un des derniers peintres naturalistes de la Colonie d’Etaples. Attaché au « beau métier » et à la peinture sur le motif, conscient de représenter des tranches de vie authentiques des gens de mer, toujours attentif aux conseils de ses maîtres et à la modernité dans son art, l’artiste laisse une œuvre précieuse. « Du talent, du courage, des sympathies, la bonté de ses chefs, tel est le bagage avec lequel M. Balande s’embarque dans la vie. Il ne lui manque rien. » (La Vie Parisienne, 1902). Encore trop peu visible aujourd’hui sur la Côte d’Opale, son travail est conservé à travers quelques études au musée de la Marine et au musée du Département du Pas-de-Calais à Etaples.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Remerciements sincères à la famille de l’artiste.