Fernand Quignon (1854-1941) – peintre de la Côte d’Opale

Ferdinand Juste Quignon, dit Fernand Quignon, naît à Paris le 20 septembre 1854. Ses parents sont tous deux picards, originaires de l’Aisne. Son père Napoléon Quignon est né à Fère-en-Tardenois, où il exerce le métier de charpentier. Sa mère Victorine Tallot dit Margival est de Soissons. A son décès en 1871, Fernand, qui vient de terminer ses études secondaires, va rejoindre l’entreprise familiale reprise par son frère Gustave. C’est là qu’il s’initie au dessin, à la conception de meubles et de décoration d’intérieur.

C’est en 1879 que Fernand saute le pas ; il va d’abord s’exercer au dessin d’art, puis à la gravure. Il partage alors un atelier rue du Faubourg Saint-Jacques avec Charles André. Celui-ci l’entraîne dans la vallée de l’Yerres dont il est un habitué, et où il a déjà exécuté un certain nombre d’œuvres. André a exposé au Salon et travaille surtout le dessin sur le motif. La première œuvre peinte de Fernand Quignon est une petite toile représentant l’Yerres : La rivière d’Yerres à Villeneuve Saint-Georges, dans laquelle on retrouve l’influence de Charles André et de l’École de Barbizon. Quelques maîtres de Barbizon exercent une influence certaine sur le jeune peintre, en particulier Léon Germain Pelouse (1838-1891), Emmanuel Lansyer (1835-1893) et Henri Harpignies (1919-1916).

Encouragé par ses amis, Fernand prépare pour mars 1880 sa première participation au Salon des Artistes français. Deux œuvres sont acceptées par le jury : Le ruisseau (Evry-les-Châteaux) et Nature morte (fromage de Livarot). Ce sera un premier succès qui couronnera le travail et la détermination du jeune peintre, et rendra hommage à l’apprentissage autodidacte qu’il a choisi. En même temps, Fernand Quignon entreprend son voyage initiatique vers l’Italie que tout apprenti peintre de l’époque se doit d’accomplir. Il visite les plus grandes villes,du nord au sud, étudie les œuvres des peintres classiques, admire la nature italienne et s’imprègne de la lumière de ses paysages. A son retour, en avril 1880, il déclare sa flamme à la fille d’un ébéniste et sculpteur de la maison Quignon, Marie Gestelli.

Mais cette formation originale ne saurait être complète sans les bases techniques que peut apporter la fréquentation d’autres peintres, dans un milieu choisi et un environnement propice. Il va donc suivre le chemin de peintres étrangers initiateurs : séjourner à Pont-Aven, colonie artistique dans laquelle il pourra parfaire sa formation. Les communautés rurales artistiques en vogue (telles aussi Barbizon ou Cernay) permettent aux jeunes peintres de travailler en groupe sur le motif, d’être conseillés par des aînés, peintres confirmés, et de vivre quotidiennement dans une camaraderie d’échange artistique. Pont-Aven est alors à l’apogée de son rayonnement grâce à la présence de nombreux peintres étrangers, en particulier anglo-saxons. Fernand Quignon arrive à Pont-Aven le 25 mai 1880 ; c’est le premier des quatre séjours annuels qu’il effectuera et qui représentent sa formation artistique essentielle. Il séjourne à la
pension Gloanec, comme tous les peintres de l’époque.

C’est sans doute à Pont-Aven que Fernand rencontre une des personnes les plus importantes de sa vie sociale : Maurice Meys qui est alors aussi photographe amateur. Il deviendra professionnel plus tard à
Boulogne-sur-mer et sera un des inventeurs de la photographie couleur. C’est aussi de Pont-Aven en 1880 que Fernand écrit à Antoine Gestelli pour lui demander la main de sa fille Marie, qui lui sera accordée.

Toujours à la recherche de paysages nouveaux, Fernand Quignon séjourne en 1887 dans la Vallée de Chevreuse, près de Senlisse. Il y exécute plusieurs tableaux et en particulier son œuvre majeure : Les Moyettes (gerbes de blé groupées verticalement) une des premières grandes représentations du travail des champs et de la saison des moissons. Le tableau est présenté au Salon de 1888 et reçoit la médaille de 3ème classe, puis exposé dans le monde entier ainsi qu’aux deux expositions universelles de 1889 (médaille de bronze) et de 1900 et à celle de Chicago en 1893. Fernand Quignon devient sociétaire des Artistes français. Dorénavant tous les tableaux présentés au Salon seront acceptés ; en 1891, une médaille de 2ème classe est attribuée au peintre (Les regains), le plaçant « hors-concours ». Il exposera donc librement au Salon jusqu’à la fin de sa vie. C’est finalement dans le Vexin, dans le village de Verville en 1887, que le peintre va établir sa résidence secondaire et y peindre les paysages des différentes saisons avec une prédilection pour la période des moissons. Les travaux des champs, les chaumières, les lavoirs, les églises et les fermes sont ses thèmes récurrents.

Fort de ses expériences antérieures en Bretagne et en Normandie où il a pu s’initier aux marines, le peintre part en saison dans un nouveau lieu plus au nord, là où de nombreux peintres se sont déjà exercés : la baie de Somme. Dès 1889, il séjourne à plusieurs reprises à Cayeux. C’est son premier contact avec la Manche et avec les flobarts, ces bateaux typiques de la région, qu’il commence à croquer. Plusieurs séjours à Cayeux se succèdent, en particulier en 1894 et 1895, et sont un avant-goût de ce que le peintre étudiera dans la région de Berck (pêcheurs, bateaux, étendues maritimes, plages et chaumières…) ; il découvre surtout la lumière exceptionnelle des ciels et ses variations.

Les Meys, Quignon et André sont très liés et se rendent mutuellement visite ; Quignon découvre donc Boulogne dès la fin des années 1880. Des séjours plus importants ont lieu en 1894, puis en 1895, année notée dans les archives du peintre. Du 16 août au 28 septembre 1895, les Quignon se partagent entre Cayeux et Boulogne. En mai 1898, Maurice Meys devient le parrain de Jean, le fils Quignon (la marraine
étant la femme du peintre Cauchois). Toutes les photos «officielles» de la famille Quignon sont faites par Maurice Meys dans son studio de Boulogne.

Germaine Quignon, la deuxième fille du peintre est atteinte de tuberculose osseuse. Ses parents sont donc à la recherche d’une institution de soins. Elle séjourne d’abord quelque temps à Canteleu Lambersart, près de Lille en 1898. Cette institution religieuse est décrite ainsi par le peintre : «… un établissement grandiose dans un quartier boisé genre Passy…». L’expérience n’est pas renouvelée et les Quignon vont chercher un autre établissement. Sans doute conseillés par les Meys, et attirés par la bonne réputation médicale de Berck-sur-mer, ils vont y placer Germaine. La première cure de 1899 étant profitable à Germaine et le peintre trouvant un environnement propice à son art, les Quignon viendront donc plusieurs fois par an à Berck de 1899 à 1905, selon les cures de leur fille.

Une correspondance de juin 1895 montre qu’Adrien Breton (1851-1928) et Virginie Demont-Breton (1859-1935) sont liés d’amitié avec Quignon bien avant cette date ; ils partagent les mêmes cercles artistiques et se côtoient dans les Salons. Mais cette amitié est encore renforcée par le rôle de Maurice Meys, qui devient un proche des Demont-Breton. La première rencontre de Meys et des Demont, chez eux, au Typhonium (maison atelier égyptisant sur les hauteurs de Wissant)qu’ils occupent depuis 1890, est citée dans le livre d’Adrien Breton « Souvenances – Promenades à travers ma vie » (Arras, 1927). Maurice Meys arrive en voiture (chose exceptionnelle à l’époque) et déclare : « J’adore la peinture. Je sors de chez Carrier- Belleuse qui m’a conseillé de venir vous voir, je désirais tant vous connaître ! J’habite Boulogne et j’espère vous y recevoir un jour ». Adrien le décrit comme : « Un homme fort intelligent, actif, s’exprimant avec facilité et brio… C’est un franc luron ! ». C’est ainsi que commence l’amitié des Meys-Demont et l’intégration de Quignon dans le milieu artistique de la région… A Wissant, Quignon rencontrera un certain nombre d’autres peintres, dont certainement Georges Maroniez (1865-1933), lié avec les Demont-Breton et François de Montholon (1856-1940). Il deviendra aussi proche de Pierre Carrier-Belleuse (1851-1932).

Francis Tattegrain (1852-1915) est installé à Berck où il a un chalet depuis 1870 ; il est un lien fort apprécié entre la population autochtone et les Parisiens qui découvrent la côte, qu’ils soient peintres ou estivants. Il est probable que Quignon et Tattegrain se soient tout d’abord rencontrés lors des Salons parisiens et qu’ils aient conforté leur amitié par l’intermédiaire des Demont-Breton. Les séjours à Berck rapprochent
les deux peintres, dont les thèmes d’étude sont parfois très proches. Tattegrain fait le portrait de Marthe Quignon en 1900, dans le costume de franciscaine « en hommage à Sainte Marthe ». Cette amitié continuera après les séjours à Berck, comme le prouve une correspondance ultérieure entre les deux peintres.

Hommage à la Côte d’Opale, en 1900 Fernand Quignon expose au Salon un premier grand tableau ayant les dunes de Berck comme thème. La même année, il reçoit une médaille d’argent à l’exposition universelle pour Pommiers en fleurs. Quignon se déplace sur la côte du nord au sud selon les années, en s’arrêtant plus particulièrement à Wissant, Berck ville, Waben, Montreuil, ou à Fort-Mahon en 1905. Six œuvres majeures ayant la région pour cadre seront présentées au Salon : Dunes à Berck, étude en 1900, Soir d’automne à Waben en 1903, Les disiaux et la mer, au Cap Gris-Nez et La mare à Waben en 1905, Maison de pêcheurs dans les dunes (Fort-Mahon) en 1906, L’église historique d’Audinghen (Pas-de-Calais) en 1924. Par ailleurs, de 1899 à 1930, le Salon de la Société Internationale présente 21 œuvres du peintre exécutées dans le Pas-de-Calais ; les différents autres Salons de Paris ou de province de 1901 à 1935 en présentent 44. C’est dire l’importance de la région dans l’œuvre du peintre et le rôle que l’artiste a pu jouer dans la « promotion » artistique et touristique de la Côte d’Opale. Ses tableaux demeurent un témoignage picturale de la vie du littoral à son époque ; ils font partie intégrante du patrimoine de la région et restituent aussi la merveilleuse lumière des ciels.

De 1899 à 1905, sur cette côte qu’il affectionne tant, Quignon exécute plus de 180 tableaux actuellement connus et de nombreux dessins. Ses thèmes sont variés et vont des grandes étendues maritimes sous des cieux cléments ou agités, aux activités diverses des pêcheurs (apprêts de départ ou retours de pêche), sans oublier les villages de l’arrière-pays.

Boulogne tient une place à part dans la vie de Fernand Quignon. Il la découvre dès l’arrivée de Maurice Meys et le mariage de Charles André ; il y revient plus longuement en 1889. En dehors des nombreuses visites à la famille Meys, où il ne trouve pas forcément le temps de peindre, et des deux séjours plus longs de 1894 et 1895, Quignon y séjourne de façon plus stable et plus fructueuse artistiquement de 1902 à 1904.

En 1940 au début de cette nouvelle guerre, il se réfugie en Bretagne. Il revient à Paris pour se soigner d’une mauvaise grippe, mais décède le 31 janvier 1941, à 86 ans dans son appartement du Boulevard Richard-Lenoir. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise.

A ce jour, 1.234 œuvres de Fernand Quignon sont connues et inventoriées, 23 sont exposées dans douze musées, dont deux du Pas-de-Calais : Pêcheurs de crevettes, au Château-Musée de Boulogne-sur-mer ; Les petits malades de l’hôpital maritime et Bateau à l’échouage au musée Opale Sud de Berck.

Auteur : Brigitte Potiez-Soth – comité Quignon