Si Georges Maroniez a profondément marqué, de son empreinte, le littoral de la Côte d’Opale, il n’était pourtant pas prédestiné à la peinture. Avant de planter son chevalet sur l’estran ou de reproduire à l’envi des scènes de pêche dans son atelier, Maroniez se vouait à une carrière de magistrat. Servi par un talent sérieux pour le dessin, il croque tout d’abord sa région natale avant de rejoindre la colonie de peintres établie à Wissant autour du couple Demont-Breton. Il devient alors le spécialiste des retours de pêche agités et des scènes maritimes animées, de Wissant à Equihen, de Boulogne au Portel.
Georges Maroniez est né à Douai le 17 janvier 1865. Il y passe toute sa scolarité et se lie d’amitié dès le lycée avec Fernand Stiévenart (1862-1922), futur artiste de « l’École de Wissant », établi avec sa femme Juliette de Reul (1872-1925). Fils d’industriel et petit-fils de militaire, il se destine logiquement au droit. Néanmoins, il fréquente déjà l’École des Beaux-Arts de la ville. A quinze ans, il devient l’élève de Pierre Billet (1836-1922) à Cantin, puis rencontre dans son atelier Adrien Demont (1851-1928), peintre paysagiste réputé. A l’époque, dans leur maison à Montgeron, les Demont-Breton attirent la belle société et “reçoivent souvent, le dimanche, quinze à vingt convives autour de la table. On y rencontrait Luc Olivier Merson, Rovel, Planquette, Stiévenart, Salgado, Maroniez…”. Amitiés et filiations artistiques s’établissent entre Adrien Demont et ses élèves, Georges Maroniez, Fernand Stiévenart et Veloso Salgado (1864-1945), artiste portugais de passage à Wissant. En 1885, âgé de seulement vingt ans, et sur les conseils du fameux Jules Breton (1827-1906), beau-père d’Adrien Demont, Georges Maroniez présente au Salon de Douai une première œuvre. Deux ans plus tard, il expose à Paris son premier tableau.
En villégiature estivale à Wissant, Georges Maroniez découvre les paysages du littoral et fréquente de plus en plus les Demont-Breton, qui entreprennent la construction du Typhonium en 1890, leur maison-atelier de style égyptisant, installé sur les hauteurs du village au milieu des dunes. Plusieurs amis et disciples les y rejoignent, à l’instar de Francis Tattegrain (1852-1915), le chantre de la marine berckoise, et du couple douaisien Henri (1860-1941) et Marie Duhem (1871-1918). Ils composent le « Groupe Demont » ou « l’École de Wissant » et reçoivent les conseils d’Adrien Demont : « Les jours où le grand vent du large nous empêchait de peindre sur la plage ou quand il pleuvait, le rustique hangar de madame Lefebvre-Duval nous servait d’abri et d’atelier de plein air. Fernand Stiévenart et Henri Duhem, logés à l’hôtel Duval, y venaient aussi. L’École Demont se met au vert disait Maroniez”. Tous ces artistes s’influencent mutuellement, partant peindre en petits groupes, protégés du soleil par des parasols, sous la férule d’Adrien Demont. En 1889, parrainé par son maître, Georges Maroniez devient sociétaire des Artistes français, tout en continuant à peindre avec ses amis à Wissant. En 1891, il est nommé juge à Boulogne-sur-Mer, puis continue sa carrière à Avesnes-sur-Helpe (1894), puis Cambrai (1897). Mais sa grande passion continue à l’animer, et il expose tous les ans au Salon de Paris, où il obtient plusieurs mentions.
Installé à Cambrai dès 1899, Georges Maroniez s’y marie et y vit jusqu’à la Première guerre mondiale. Tout en poursuivant ses activités professionnelles, il s’intéresse à la peinture mais aussi à la photographie pour laquelle il invente de nouveaux procédés (appareil photographique le Sphinx, breveté le 25 août 1891). La séparation de l’Église et de l’État en 1905, ainsi que les répressions laïques qui s’en suivent, provoquent une rupture dans ses convictions, et il décide de démissionner de la magistrature. La guerre 14-18 marque un douloureux arrêt dans son chemin artistique. Dès septembre 1914, Georges Maroniez est mobilisé à Boulogne et nommé capitaine au tribunal militaire. Devant la débâcle française, il se replie rapidement à Amiens. Mais, lors des combats, les Allemands bombardent et incendient Cambrai, et son atelier est en grande partie pillé. Seules les études sur carton sont sauvées par sa femme, qui est d’ailleurs déportée avec quelques autres notables de la ville à Holzminden durant plusieurs semaines. A la fin du conflit, des œuvres sont retrouvées dans un coffre de banque à Cologne, marque d’un vil pillage.
Au retour de la paix, le couple s’installe à Paris, et une exposition a déjà lieu en 1919 à la galerie Chaperon. L’artiste s’inspire alors beaucoup de la Bretagne, et sa peinture connaît même le succès à l’étranger (Angleterre, Allemagne, Amérique, …). Les professionnels de l’édition reproduisent son œuvre pour le plus grand nombre, sous forme de gravures, lithographies et cartes postales colorisées. Dans son atelier où se mélangent fumées de tabac et odeurs de térébenthine, il produit des séries de tableaux à partir de ses carnets d’études réalisées lors de ses voyages ou de ses vacances. En 1927, il est nommé conservateur du musée de Cambrai. A cette époque, il expose chaque année à Paris, Douai, Arras, Cambrai et Boulogne. En pleine reconnaissance artistique, il meurt subitement d’une crise cardiaque le 11 décembre 1933.
Ce qui étonne dans l’œuvre de Georges Maroniez, c’est la variété des thèmes qu’ils abordent. De 1880 à 1900, l’artiste peint essentiellement son entourage, la campagne douaisienne, les travaux des champs et la vie rurale, les rivières de l’Escaut, la Sensée. Les vues dévoilant les labours, les moissons, les moulins et les chevaux attelés sont nombreuses. Son tournant artistique a lieu en 1888, quand il rejoint pour la première fois ses amis douaisiens, lors de ses vacances passées sur la Côte d’Opale. De 1891 à 1894, il vit à Boulogne. Fréquentant assidûment le couple Demont-Breton, le sujet maritime devient essentiel dans son œuvre. Sous l’influence de Virginie Demont-Breton (1859-1935), mais surtout d’Adrien Demont et du chantre de la marine berckoise Francis Tattegrain (1852-1915), Maroniez observe et peint les vagues, les rochers, les plages, les bateaux, les marins et les couchers de soleil. Les vues des Caps Gris-Nez et Blanc-Nez le stimulent dans la création de ses paysages marins pris sur le vif. Si la mer est omniprésente dans ses scènes, l’action humaine n’est jamais loin et le pêcheur souvent au labeur. Vers 1900, il est devenu un élément incontournable de « l’École de Wissant« .
En marge de ces deux grands thèmes, l’artiste voyage en Méditerranée. En 1897, il fait son premier voyage en Afrique du Nord et en rapporte de nombreuses études lumineuses et colorées. Durant l’année 1909, il entreprend avec son épouse un grand voyage qui l’emmène en Italie et en Égypte. Plus tard, il fait un passage en Algérie et en Espagne, puis visite la Grèce et le Bosphore, où il laisse quelques aquarelles d’Istanbul. Bien qu’éclectique, l’œuvre de Georges Maroniez s’inscrit néanmoins dans la grande tradition naturaliste, introduite dans la seconde moitié du 19ème siècle. Issu d’un milieu bourgeois, peu ouvert à l’innovation, formé par des maîtres académiques, l’artiste garde un style très classique mais sans manque d’intérêt. Le dessin construit le sujet animé par des couleurs tout en nuances et en subtilité.
Grand travailleur, Maroniez laisse derrière lui un nombre considérable de paysages, natures mortes, portraits, animaux, effets de neige, de lune, scènes animées. Il s’est plié à tous les genres. Les techniques utilisées montrent une maîtrise de l’aquarelle, de la plume, de l’huile et du pastel. La facture globale de ses œuvres montre un coup de pinceau habile et ferme, une touche en pâte et en relief pour accentuer l’éblouissement du soleil couchant, les effets de lune, ou les vagues se brisant sur les rochers. La palette de couleurs est franche et réaliste, les contours bien dessinés. En dépit de quelques séries de tableaux se ressemblant énormément, et qui trahissent un aspect commercial indéniable dans les années 1920, l’apport de Georges Maroniez est incontestable et il s’affirme comme le parangon de nombreux suiveurs. Il est l’un des derniers grands artistes à avoir peint la Côte d’Opale à l’époque faste, bien avant les plaies laissées par la guerre 39-45.
L’artiste participe activement au Salon des Artistes français à Paris aux côtés des plus grands peintres de l’époque. En 1887, il y présente pour la première fois un tableau rural intitulé Soleil Couchant à Esquerchin. Il reçoit de nombreux prix : médaille de 3ème classe pour son tableau Anxiété au Salon de 1905, médaille de 2ème classe au Salon de 1906. Il y expose jusqu’à sa mort. En 1911, pour fêter ses noces d’argent avec la Société des Artistes français, il accroche près de 100 toiles à la galerie Valcourt, rue de la Boétie à Paris. En marge de ce grand salon parisien, Georges Maroniez montre son œuvre dans les expositions régionales dans le Nord de la France, notamment à la Société des Amis des Arts de Douai dès 1886, à la Société Artistique de Roubaix-Tourcoing dès 1888, à l’Union Artistique du Nord à Lille dès 1893, à la Société Valenciennoise des Arts dès 1895, soit plus de 200 tableaux sur trente ans. Il participe aussi à la 11ème Exposition d’Art d’Avesnes en 1897, présentant Marine, Lever de Soleil, Effets de Lune sur la Mer, Dans les Champs, Les Vieux, Soleil Couchant. A l’Exposition Internationale des Beaux-Arts de Boulogne qui a lieu du 18 juillet au 15 septembre 1901, il livre Derniers Rayons. Ailleurs, en province, il envoie des œuvres à Toulouse, Souvenirs au Salon de l’Union Artistique en 1895, puis Au Bord du Marais au même salon en 1899, et enfin à l’Exposition Industrielle Internationale en 1908 Nuit sur la Plage et Raz-de-marée. Il accroche ses toiles aux cimaises du Salon des Indépendants en 1911 (quatre vues de Hollande), à l’École française en 1913, au Salon d’Hiver avec Virginie Demont-Breton de 1932 à 1934, à la Galerie Georges Petit en 1910 et 1922, au Salon de Bordeaux de 1895 à 1933.
Vers 1900, son thème maritime a remplacé le goût champêtre de ses débuts. Dans sa grande production, parfois répétitive et commerciale, certaines œuvres sont localisées sur notre côte : Matinée d’Avril à Boulogne (1890), L’Épave au Portel (1893), Effets de Lune à Boulogne (Salon de 1899), Pêcheurs d’Equihen (Salon de 1902), Les Moulières au Portel (1904), Dans le Port de Boulogne (1905), Sur la Plage de Berck la Nuit (Salon de 1909), Vieilles Maisons de Pêcheurs à Equihen (1911). Maroniez reprend parfois, en plus petit format, des œuvres emblématiques de sa production exposée au Salon à Paris, qu’il vend ensuite en province. Il laisse des vues remarquables du Portel aujourd’hui détruit, des navires traditionnels échoués sur l’estran, des dunes éventées de Wissant et des côtes sauvages d’Equihen, peuplées de gens de mer méritants.
La participation de Georges Maroniez à un grand nombre d’expositions en France et à l’étranger a provoqué une dispersion de son œuvre, aux États-Unis notamment avec Octobre (Salon de 1890) au musée de Buenos-Aires, Retour de Pêche (Salon de 1898) au musée de Chicago, Mauvais Temps (Salon de 1901) au musée de Saint-Louis, Soir d’Été et Sur la Falaise (Salon de 1895 et 1896) au musée de San Francisco (deux œuvres détruites dans le tremblement de terre). Un carnet de croquis laisse à penser qu’il a réalisé environ 3.000 œuvres, des huiles, gouaches, dessins et autres pochades, dont certains en plusieurs exemplaires, dans différents formats, afin de satisfaire la demande des clients. Malheureusement, les pillages et les bombardements provoqués par les deux grandes guerres ont fait disparaître beaucoup d’œuvres, notamment à Douai.
En 1934, Jeanne Maroniez, sa femme, offre au musée de Cambrai un lot de 138 pochades. En 1993, après le décès de sa fille, dans un souci de sauvegarde et de conservation, les héritiers déposent à la photothèque de Cambrai un lot de 1.400 clichés pris par Georges Maroniez (clichés sur plaques de verre et autochromes couleur). Aujourd’hui, ses tableaux sont visibles principalement dans les musées du Nord de la France (Boulogne, Lille, Cambrai, Douai), sans oublier les collections privées. Bien qu’il s’en défende, Georges Maroniez reste un peintre profondément attiré par la mer, à laquelle il donne le meilleur de lui-même. Les effets de lumière à la tombée de la nuit et l’emprise dramatique de la mer sur l’Homme restent ses œuvres les plus abouties.
Auteur : Yann Gobert-Sergent