Catégorie : Biographie

Eugène Vail (1857-1934) – peintre américain de l’École d’Étaples

A la fin du 19ème siècle, de nombreux artistes fréquentent la Côte d’Opale à la recherche de sujets pittoresques. Déjà, avant eux, beaucoup s’étaient rendus en Bretagne pour peindre, de l’École de Pont-Aven autour de Gauguin à la colonie d’artistes américains à Concarneau. Boulogne, sa pêche industrielle et son service transmanche attirent beaucoup de peintres français et d’ailleurs. A Étaples, engagés dans une pêche plus traditionnelle, les gens de mer sont étudiés et croqués par des artistes de tout horizon, des Français bien sûr comme Eugène Chigot (1860-1923) et Gaston Balande (1880-1971), mais aussi par des étrangers, anglais, américains, australiens… C’est la « Colonie d’Étaples », qui perdure jusqu’à la Grande guerre. D’origine américaine, Eugène Vail s’inscrit dans cette veine naturaliste, où les retours de pêche agités, la plage parsemée de navires échoués et les pêcheuses laborieuses alimentent son œuvre.

Eugène Vail est né à Saint-Malo le 28 septembre 1857, d’une mère bretonne, Clotilde Le Gué, et d’un père américain. Son grand-père s’est exercé à l’art de la miniature à New-York, quand son père pratique l’aquarelle. Aux États-Unis, après ses études primaires, il fait une formation d’ingénieur dans le New-Jersey pour suivre les vœux paternels. Lors d’un long voyage scientifique en Amérique, il réalise les portraits de ses collègues ce qui va lancer sa vocation. Après un passage rapide à la « Art Students League » (École d’art de New-York), il revient en France en 1882 pour entrer dans l’atelier d’Alexandre Cabanel (1823-1889) à l’École des Beaux-Arts de Paris. Il y reçoit une formation classique, axée sur le dessin et la forme. Sur les conseils de Cabanel, il quitte Paris en 1884 pour rejoindre Concarneau, Audierne et Pont-Aven, sur les traces de ses illustres prédécesseurs, afin d’y peindre en plein air. En 1885, il vient à Étaples pour la première fois. A l’automne 1889, il rentre en Amérique pour s’y marier en janvier 1890 avec Gertrude Mauran, une riche héritière rencontrée à Paris. Élevée en France, son épouse parle le français et a étudié le dessin et l’aquarelle. De retour en Europe, le couple fait un passage à Dordrecht (Pays-Bas), où l’artiste s’exerce. Il y retournera plusieurs fois.

A l’automne 1890, il s’installe à Étaples et se lie naturellement avec les nombreux artistes qui vivent dans ce petit village côtier, notamment avec les Anglo-saxons. En 1893, Virginia Couse, la femme du peintre Irving Couse (1866-1936), célèbre pour ses tableaux étaplois et son album photographique, témoigne de l’importance d’Eugène Vail au sein de la communauté des artistes locaux : « C’est un artiste américain qui vit ici depuis une dizaine d’années […] Les parents de sa femme sont très riches et leur viennent en aide. Bien que M. Vail soit un bon peintre, ses tableaux n’ont pas l’air de se vendre beaucoup. Mme Vail a conscience de son rang et prodigue ses conseils aux peintres et à leurs épouses ». En effet, en dépit de son talent, l’œuvre d’Eugène Vail peine à trouver son public. Contrairement à d’autres artistes, il ne bénéficie pas des commandes de l’État pour écouler ses grands formats et, seules les expositions plus modestes semblent lui permettre quelques ventes. Le contexte se durcit davantage encore après la guerre 14-18, où des artistes et des courants plus modernes remportent l’intérêt grandissant des collectionneurs qui achètent de la peinture pour orner leur intérieur. La qualité de ses grandes compositions figurant des pêcheurs à l’ouvrage ne suffit plus à intéresser les acheteurs, qui se tournent de plus en plus vers des œuvres décoratives aux couleurs chatoyantes.

Durant sa carrière, Eugène Vail peint surtout à Étaples, mais réalise aussi des œuvres à Boulogne et à Berck. Il voyage également à Venise, où il compose des vues de la place Saint-Marc et des canaux, dans une approche plus impressionniste et lumineuse. Il peint aussi à Florence et à Sienne. Au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, il présente : Dans Venise la Rouge, La Salute, Nuit de Gala en 1902, Saint-Marc, Clair de Lune, Le Grand Canal et Vieux Murs en 1903, puis un triptyque intitulé Nocturnes à Venise en 1906. Durant la Grande guerre, le couple Vail se réfugie en Suisse, à Saint-Moritz (scènes d’hiver) et à Davos, où Eugène Vail peint à ses temps perdus. Longtemps établi sur la Côte d’Opale, c’est pourtant à Paris qu’il meurt le 25 décembre 1934. L’année suivante, la Société Nationale des Beaux-Arts honore sa mémoire en organisant une rétrospective de son œuvre.

Malgré la mévente récurrente de ses œuvres, Eugène Vail participe à de nombreux salons et sociétés d’art. En Amérique, il est reconnu avec une médaille d’argent remportée à la Lousiana Purchase Exhibition de Saint-Louis (Missouri) en 1904. Il fait une exposition personnelle à la Rhode Island School of Design à Providence en 1906. En Europe, il est récompensé à Munich, à Anvers, à Berlin (grand diplôme d’honneur en 1891, puis médaillé avec Soleil de Mars en 1900) et à l’Exposition Universelle de Liège en 1905.

En France, Eugène Vail expose au Salon des Artistes français pendant une dizaine d’années, répondant aux affinités classiques demandées par le jury. Il commence en 1883 avec Seulette, puis Le Port de Pêche à Concarneau l’année suivante, L’Avant-port à Dieppe en 1885 et Sur la Tamise en 1886. A ce Salon officiel, il obtient une première mention en 1886, puis une médaille de troisième classe en 1888, et enfin une médaille d’or à l’Exposition Universelle à Paris en 1889 avec Paré à Virer. En août 1894, il reçoit la Légion d’Honneur aux côtés de Virginie Demont-Breton (1859-1935). Ensuite, l’artiste se tourne vers la Société Nationale des Beaux-Arts pour en devenir sociétaire dès 1896, et y exposer douze années durant. En décembre 1897, la galerie Mancini à Paris accueille « Eugène Vail, que des succès antérieurs avaient signalé depuis longtemps à l’attention des délicats, qui est en ce moment en pleine évolution, et c’est à une nouvelle forme d’art qu’il consacre désormais son talent arrivé à pleine maturité. C’est un évocateur. Ses colorations vigoureuses et calmes donnent une émotion profonde, car ce peintre traduit la nature sans mièvrerie et sait faire passer dans l’esprit du spectateur le sentiment et l’impression qui se dégagent des êtres et des choses. Heureux mélange de symbolisme et de réalité, troublante évocation d’art, telle est l’œuvre d’Eugène Vail, qui a su imprimer à ses toiles une individualité consciencieuse, hardie, originale, qui mérite de fixer l’attention des amateurs d’art les plus éclairés » (L’Intransigeant, 1897). Il participe au Salon de Rouen en 1893, au Salon de Bordeaux en 1897 et 1901, et expose au Salon des Peintres orientalistes français en 1904 et 1906 (œuvres vénitiennes). A l’Exposition Universelle de Paris en 1900, il montre au public Matin d’Octobre, Voix de la Mer et Soir en Bretagne, florilège de son talent.

En marge de ces divers Salons, Eugène Vail présente son travail dès 1896 dans la prestigieuse galerie d’art Georges Petit. En février 1882, le marchand Georges Petit avait ouvert une luxueuse salle d’exposition 8 rue Sèze à Paris. Très rapidement, l’adresse devient incontournable pour les amateurs fortunés et les artistes. Grâce aux vernissages grandioses, Georges Petit parvient à attirer la haute société parisienne et étrangère. Eugène Vail accroche ses toiles aux cimaises de cette galerie jusqu’en 1906. En 1900, il intègre la Société Nouvelle de peintres et de sculpteurs, riche de 22 sociétaires, dont les grands artistes du moment, et ses collègues nordistes, Henri Le Sidaner (1862-1939), Henri Duhem (1860-1941) et le norvégien Fritz Thaulow (1947-1906). Ce groupe expose chez Georges Petit à chaque printemps, et devra cesser ses activités avec l’entrée en guerre à l’été 1914. Eugène Vail y revient en juin 1921 lors d’une exposition personnelle composée de 83 tableaux, saluée par la critique, dont une vue d’Étaples et des paysages du Nord. Dans cette galerie, sa rencontre avec ces artistes plus avant-gardistes le fait évoluer et éclaircir sa palette. Ce changement est notamment visible dans ses tableaux italiens, baignés de lumière et de couleurs coruscantes.

Dans son œuvre boulonnaise, la vie des marins et des matelotes, mise en scène dans une description précise des activités halieutiques, revêt des accents véritablement ethnographiques. Eugène Vail aime partager la vie des pêcheurs pour y trouver l’inspiration la plus juste. Dans une palette sobre aux couleurs froides, « parfois tristes comme en deuil » (Le Matin, 1897), ses compositions demeurent souvent impressionnantes, servies dans des formats gigantesques. Si la plupart ont aujourd’hui disparu, certaines se trouvent encore dans les musées, notamment américains. Cependant, les nombreuses études travaillées sur le motif nous renseignent parfaitement sur ses sujets de prédilection. Les Salons parisiens et provinciaux se font l’écho de son art régionaliste, très présent dans les années 1890-1900.

Au Salon des Artistes français de 1887, l’artiste débute avec Veuve ! (huile sur toile, 230cm x 160cm). Dans ce premier grand format, une femme vêtue de noir tient par la main une fillette. Le drame des disparitions en mer est ici évoqué en filigrane, de manière subtile, sans mièvreries. Puis, en 1888, c’est Paré à Virer, tableau impressionnant qui recevra l’année suivante la médaille d’or à l’Exposition universelle. Satisfait de son ouvrage, l’artiste se fait photographier fièrement devant l’œuvre. Localisée à Boulogne, elle est aujourd’hui conservée au musée de Chicago (huile sur toile, 238cm x 318cm). A l’arrière d’un bateau de pêche, des marins manœuvrent dans une mer démontée. Sujet également représenté par Francis Tattegrain (1852-1915) et d’autres artistes du moment, Eugène Vail montre dans cette toile sa bonne maîtrise dans la figuration de cette tranche de vie des marins, qu’il a sûrement observée à bord.

En 1889, Eugène Vail présente Mon Homme ! une autre œuvre monumentale. Dans cette composition impressionnante, l’artiste y représente une matelote courant sur la digue de Boulogne, lors d’un retour de pêche mouvementé. Plus tard, en 1894, Eugène Vail réinterprète ce sujet dans Retour de Pêche à Boulogne. Réalisée en automne, durant la saison du hareng, cette œuvre reçoit des tons froids, des camaïeux de gris et de marron. Seules l’écume de la vague tempétueuse et la « calipette » de la matelote éclairent la toile. Debout sur la jetée, la mère et sa jeune fille regardent le ballet incessant des navires de pêche, le visage marqué par une anxiété palpable. Au premier plan, presque centrée, la fillette emmitouflée dans un châle accompagne sa mère. Toute menue, elle paraît bien fragile dans cette atmosphère venteuse et glaciale, et semble faire face aux éléments naturels en se réfugiant contre des jambes maternelles plus solides. D’une image pittoresque, Eugène Vail parvient, sans fioritures, à attendrir le spectateur, ému par la précarité de cette frêle silhouette enfantine. En résonance avec ces grandes compositions, l’artiste convainc aussi par les portraits, plus intimistes, qui rendent hommage à la communauté maritime telle cette Léonie, présentée de profil avec sa coiffe traditionnelle, matelote étaploise anonyme sublimée à la manière d’une femme de haut rang.

Au Salon des Artistes français de 1893, l’artiste expose Pêcheurs, Mer du Nord, figurant un déchargement de la marée à Étaples. Cette gigantesque huile (457cm x 915cm), dont l’étude est conservée au musée du Touquet (huile sur toile, 69cm x 99cm) est probablement son record en termes de format. En 1890, son collègue Louis Dessar (1867-1952) raconte que ce tableau obligea Vail « à faire un trou dans le plancher pour le sortir de son atelier ». Puis, en 1894, Soir d’Automne à Étaples décrit, « dans une atmosphère toute grise, une femme et sa fille qui s’en vont sur une passerelle au bord de l’eau, toutes deux courbées sous le vent qui vient du large chargé d’embruns. Il y a de la largeur dans le dessin et une mélancolique harmonie sur toute la toile ». C’est un succès car le tableau « frappait tous ceux qui connaissent la baie de Canche et le pont qui relie Étaples à Paris-Plage. L’exactitude des moindres détails jointe à l’effet si bien observé de la brume crépusculaire a fait le succès de cette belle toile » (Dépêche de Brest, 1894).

Au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, Eugène Vail présente Rue de Village en 1896, Enfants et leur Mère en 1897, sept œuvres en 1898 dont Crépuscule, Il pleut sur la Ville, Portraits, Voix de la Mer, six œuvres en 1899 dont Heure de Prière et Marine. Après sa série de tableaux vénitiens réalisés de 1902 à 1906, il abandonne ce Salon. Dans les expositions régionalistes du Nord de la France, le peintre y envoie ses études de tableaux. Au Salon de la Société artistique de Roubaix-Tourcoing en 1888, il montre La Grande Sœur. En 1894, au Salon de la Société des Amis des Arts de Douai, son tableau Crépuscule à Berck reçoit un bon accueil du public.

Après sa mort survenue en 1934, Eugène Vail revit à travers des rétrospectives posthumes qui mettent à l’honneur un corpus de ses œuvres. En France, la galerie Charpentier expose son travail en juin 1937 et édite un catalogue préfacé par son ami Henri Le Sidaner. A cette occasion, le fameux critique d’art, Louis Vauxcelles, salue « cet harmoniste qui gradue musicalement ses modulations beiges ou argentées, avec une sensibilité pénétrante ». D’autres manifestations suivent aux États-Unis de 1939 à 1941, sous l’impulsion de son épouse. Mais, la Seconde guerre mondiale puis le modernisme artistique envoient au rebut l’œuvre naturaliste d’un grand nombre d’artistes du début du 20ème siècle. Eugène Vail est alors oublié. Heureusement, depuis une trentaine d’années, le regain d’intérêt pour les artistes qui ont peint la Côte d’Opale à la Belle Époque annonce son retour dans les expositions. Aujourd’hui, l’œuvre d’Eugène Vail est surtout représenté dans les musées américains (New-York, Washington, Chicago, Rhodes-Island, Gloucester, Hagerstown, Worcester), à Rome (trois tableaux à l’ambassade américaine) et à Venise, à Paris aux musées du Louvre (Port de Concarneau) et du Luxembourg, et dans les musées de province (Le Touquet, Hazebrouck, Brest, Gray, …). « Heureux mélange de symbolisme et de réalité, troublante évocation d’art, telle est l’œuvre d’Eugène Vail, qui a su imprimer à ses toiles une individualité consciencieuse, hardie, originale, qui mérite de fixer l’attention des amateurs d’art les plus éclairés » (L’Intransigeant, 1897), et qui s’inscrit définitivement dans le cercle des grands artistes de l’École d’Étaples.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Georges Maroniez (1865-1933) – chantre des marines de la Côte d’Opale

Si Georges Maroniez a profondément marqué, de son empreinte, le littoral de la Côte d’Opale, il n’était pourtant pas prédestiné à la peinture. Avant de planter son chevalet sur l’estran ou de reproduire à l’envi des scènes de pêche dans son atelier, Maroniez se vouait à une carrière de magistrat. Servi par un talent sérieux pour le dessin, il croque tout d’abord sa région natale avant de rejoindre la colonie de peintres établie à Wissant autour du couple Demont-Breton. Il devient alors le spécialiste des retours de pêche agités et des scènes maritimes animées, de Wissant à Equihen, de Boulogne au Portel.

Georges Maroniez est né à Douai le 17 janvier 1865. Il y passe toute sa scolarité et se lie d’amitié dès le lycée avec Fernand Stiévenart (1862-1922), futur artiste de « l’École de Wissant », établi avec sa femme Juliette de Reul (1872-1925). Fils d’industriel et petit-fils de militaire, il se destine logiquement au droit. Néanmoins, il fréquente déjà l’École des Beaux-Arts de la ville. A quinze ans, il devient l’élève de Pierre Billet (1836-1922) à Cantin, puis rencontre dans son atelier Adrien Demont (1851-1928), peintre paysagiste réputé. A l’époque, dans leur maison à Montgeron, les Demont-Breton attirent la belle société et “reçoivent souvent, le dimanche, quinze à vingt convives autour de la table. On y rencontrait Luc Olivier Merson, Rovel, Planquette, Stiévenart, Salgado, Maroniez…”. Amitiés et filiations artistiques s’établissent entre Adrien Demont et ses élèves, Georges Maroniez, Fernand Stiévenart et Veloso Salgado (1864-1945), artiste portugais de passage à Wissant. En 1885, âgé de seulement vingt ans, et sur les conseils du fameux Jules Breton (1827-1906), beau-père d’Adrien Demont, Georges Maroniez présente au Salon de Douai une première œuvre. Deux ans plus tard, il expose à Paris son premier tableau.

En villégiature estivale à Wissant, Georges Maroniez découvre les paysages du littoral et fréquente de plus en plus les Demont-Breton, qui entreprennent la construction du Typhonium en 1890, leur maison-atelier de style égyptisant, installé sur les hauteurs du village au milieu des dunes. Plusieurs amis et disciples les y rejoignent, à l’instar de Francis Tattegrain (1852-1915), le chantre de la marine berckoise, et du couple douaisien Henri (1860-1941) et Marie Duhem (1871-1918). Ils composent le « Groupe Demont » ou « l’École de Wissant » et reçoivent les conseils d’Adrien Demont : « Les jours où le grand vent du large nous empêchait de peindre sur la plage ou quand il pleuvait, le rustique hangar de madame Lefebvre-Duval nous servait d’abri et d’atelier de plein air. Fernand Stiévenart et Henri Duhem, logés à l’hôtel Duval, y venaient aussi. L’École Demont se met au vert disait Maroniez”. Tous ces artistes s’influencent mutuellement, partant peindre en petits groupes, protégés du soleil par des parasols, sous la férule d’Adrien Demont. En 1889, parrainé par son maître, Georges Maroniez devient sociétaire des Artistes français, tout en continuant à peindre avec ses amis à Wissant. En 1891, il est nommé juge à Boulogne-sur-Mer, puis continue sa carrière à Avesnes-sur-Helpe (1894), puis Cambrai (1897). Mais sa grande passion continue à l’animer, et il expose tous les ans au Salon de Paris, où il obtient plusieurs mentions.

Installé à Cambrai dès 1899, Georges Maroniez s’y marie et y vit jusqu’à la Première guerre mondiale. Tout en poursuivant ses activités professionnelles, il s’intéresse à la peinture mais aussi à la photographie pour laquelle il invente de nouveaux procédés (appareil photographique le Sphinx, breveté le 25 août 1891). La séparation de l’Église et de l’État en 1905, ainsi que les répressions laïques qui s’en suivent, provoquent une rupture dans ses convictions, et il décide de démissionner de la magistrature. La guerre 14-18 marque un douloureux arrêt dans son chemin artistique. Dès septembre 1914, Georges Maroniez est mobilisé à Boulogne et nommé capitaine au tribunal militaire. Devant la débâcle française, il se replie rapidement à Amiens. Mais, lors des combats, les Allemands bombardent et incendient Cambrai, et son atelier est en grande partie pillé. Seules les études sur carton sont sauvées par sa femme, qui est d’ailleurs déportée avec quelques autres notables de la ville à Holzminden durant plusieurs semaines. A la fin du conflit, des œuvres sont retrouvées dans un coffre de banque à Cologne, marque d’un vil pillage.

Au retour de la paix, le couple s’installe à Paris, et une exposition a déjà lieu en 1919 à la galerie Chaperon. L’artiste s’inspire alors beaucoup de la Bretagne, et sa peinture connaît même le succès à l’étranger (Angleterre, Allemagne, Amérique, …). Les professionnels de l’édition reproduisent son œuvre pour le plus grand nombre, sous forme de gravures, lithographies et cartes postales colorisées. Dans son atelier où se mélangent fumées de tabac et odeurs de térébenthine, il produit des séries de tableaux à partir de ses carnets d’études réalisées lors de ses voyages ou de ses vacances. En 1927, il est nommé conservateur du musée de Cambrai. A cette époque, il expose chaque année à Paris, Douai, Arras, Cambrai et Boulogne. En pleine reconnaissance artistique, il meurt subitement d’une crise cardiaque le 11 décembre 1933.

Ce qui étonne dans l’œuvre de Georges Maroniez, c’est la variété des thèmes qu’ils abordent. De 1880 à 1900, l’artiste peint essentiellement son entourage, la campagne douaisienne, les travaux des champs et la vie rurale, les rivières de l’Escaut, la Sensée. Les vues dévoilant les labours, les moissons, les moulins et les chevaux attelés sont nombreuses. Son tournant artistique a lieu en 1888, quand il rejoint pour la première fois ses amis douaisiens, lors de ses vacances passées sur la Côte d’Opale. De 1891 à 1894, il vit à Boulogne. Fréquentant assidûment le couple Demont-Breton, le sujet maritime devient essentiel dans son œuvre. Sous l’influence de Virginie Demont-Breton (1859-1935), mais surtout d’Adrien Demont et du chantre de la marine berckoise Francis Tattegrain (1852-1915), Maroniez observe et peint les vagues, les rochers, les plages, les bateaux, les marins et les couchers de soleil. Les vues des Caps Gris-Nez et Blanc-Nez le stimulent dans la création de ses paysages marins pris sur le vif. Si la mer est omniprésente dans ses scènes, l’action humaine n’est jamais loin et le pêcheur souvent au labeur. Vers 1900, il est devenu un élément incontournable de « l’École de Wissant« .

En marge de ces deux grands thèmes, l’artiste voyage en Méditerranée. En 1897, il fait son premier voyage en Afrique du Nord et en rapporte de nombreuses études lumineuses et colorées. Durant l’année 1909, il entreprend avec son épouse un grand voyage qui l’emmène en Italie et en Égypte. Plus tard, il fait un passage en Algérie et en Espagne, puis visite la Grèce et le Bosphore, où il laisse quelques aquarelles d’Istanbul. Bien qu’éclectique, l’œuvre de Georges Maroniez s’inscrit néanmoins dans la grande tradition naturaliste, introduite dans la seconde moitié du 19ème siècle. Issu d’un milieu bourgeois, peu ouvert à l’innovation, formé par des maîtres académiques, l’artiste garde un style très classique mais sans manque d’intérêt. Le dessin construit le sujet animé par des couleurs tout en nuances et en subtilité.

Grand travailleur, Maroniez laisse derrière lui un nombre considérable de paysages, natures mortes, portraits, animaux, effets de neige, de lune, scènes animées. Il s’est plié à tous les genres. Les techniques utilisées montrent une maîtrise de l’aquarelle, de la plume, de l’huile et du pastel. La facture globale de ses œuvres montre un coup de pinceau habile et ferme, une touche en pâte et en relief pour accentuer l’éblouissement du soleil couchant, les effets de lune, ou les vagues se brisant sur les rochers. La palette de couleurs est franche et réaliste, les contours bien dessinés. En dépit de quelques séries de tableaux se ressemblant énormément, et qui trahissent un aspect commercial indéniable dans les années 1920, l’apport de Georges Maroniez est incontestable et il s’affirme comme le parangon de nombreux suiveurs. Il est l’un des derniers grands artistes à avoir peint la Côte d’Opale à l’époque faste, bien avant les plaies laissées par la guerre 39-45.

L’artiste participe activement au Salon des Artistes français à Paris aux côtés des plus grands peintres de l’époque. En 1887, il y présente pour la première fois un tableau rural intitulé Soleil Couchant à Esquerchin. Il reçoit de nombreux prix : médaille de 3ème classe pour son tableau Anxiété au Salon de 1905, médaille de 2ème classe au Salon de 1906. Il y expose jusqu’à sa mort. En 1911, pour fêter ses noces d’argent avec la Société des Artistes français, il accroche près de 100 toiles à la galerie Valcourt, rue de la Boétie à Paris. En marge de ce grand salon parisien, Georges Maroniez montre son œuvre dans les expositions régionales dans le Nord de la France, notamment à la Société des Amis des Arts de Douai dès 1886, à la Société Artistique de Roubaix-Tourcoing dès 1888, à l’Union Artistique du Nord à Lille dès 1893, à la Société Valenciennoise des Arts dès 1895, soit plus de 200 tableaux sur trente ans. Il participe aussi à la 11ème Exposition d’Art d’Avesnes en 1897, présentant Marine, Lever de Soleil, Effets de Lune sur la Mer, Dans les Champs, Les Vieux, Soleil Couchant. A l’Exposition Internationale des Beaux-Arts de Boulogne qui a lieu du 18 juillet au 15 septembre 1901, il livre Derniers Rayons. Ailleurs, en province, il envoie des œuvres à Toulouse, Souvenirs au Salon de l’Union Artistique en 1895, puis Au Bord du Marais au même salon en 1899, et enfin à l’Exposition Industrielle Internationale en 1908 Nuit sur la Plage et Raz-de-marée. Il accroche ses toiles aux cimaises du Salon des Indépendants en 1911 (quatre vues de Hollande), à l’École française en 1913, au Salon d’Hiver avec Virginie Demont-Breton de 1932 à 1934, à la Galerie Georges Petit en 1910 et 1922, au Salon de Bordeaux de 1895 à 1933.

Vers 1900, son thème maritime a remplacé le goût champêtre de ses débuts. Dans sa grande production, parfois répétitive et commerciale, certaines œuvres sont localisées sur notre côte : Matinée d’Avril à Boulogne (1890), L’Épave au Portel (1893), Effets de Lune à Boulogne (Salon de 1899), Pêcheurs d’Equihen (Salon de 1902), Les Moulières au Portel (1904), Dans le Port de Boulogne (1905), Sur la Plage de Berck la Nuit (Salon de 1909), Vieilles Maisons de Pêcheurs à Equihen (1911). Maroniez reprend parfois, en plus petit format, des œuvres emblématiques de sa production exposée au Salon à Paris, qu’il vend ensuite en province. Il laisse des vues remarquables du Portel aujourd’hui détruit, des navires traditionnels échoués sur l’estran, des dunes éventées de Wissant et des côtes sauvages d’Equihen, peuplées de gens de mer méritants.

La participation de Georges Maroniez à un grand nombre d’expositions en France et à l’étranger a provoqué une dispersion de son œuvre, aux États-Unis notamment avec Octobre (Salon de 1890) au musée de Buenos-Aires, Retour de Pêche (Salon de 1898) au musée de Chicago, Mauvais Temps (Salon de 1901) au musée de Saint-Louis, Soir d’Été et Sur la Falaise (Salon de 1895 et 1896) au musée de San Francisco (deux œuvres détruites dans le tremblement de terre). Un carnet de croquis laisse à penser qu’il a réalisé environ 3.000 œuvres, des huiles, gouaches, dessins et autres pochades, dont certains en plusieurs exemplaires, dans différents formats, afin de satisfaire la demande des clients. Malheureusement, les pillages et les bombardements provoqués par les deux grandes guerres ont fait disparaître beaucoup d’œuvres, notamment à Douai.

En 1934, Jeanne Maroniez, sa femme, offre au musée de Cambrai un lot de 138 pochades. En 1993, après le décès de sa fille, dans un souci de sauvegarde et de conservation, les héritiers déposent à la photothèque de Cambrai un lot de 1.400 clichés pris par Georges Maroniez (clichés sur plaques de verre et autochromes couleur). Aujourd’hui, ses tableaux sont visibles principalement dans les musées du Nord de la France (Boulogne, Lille, Cambrai, Douai), sans oublier les collections privées. Bien qu’il s’en défende, Georges Maroniez reste un peintre profondément attiré par la mer, à laquelle il donne le meilleur de lui-même. Les effets de lumière à la tombée de la nuit et l’emprise dramatique de la mer sur l’Homme restent ses œuvres les plus abouties.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Henri Rovel (1849-1926) – ami vosgien du couple Demont-Breton

Sur la Côte d’Opale, Wissant a attiré de nombreux artistes durant tout le 19ème siècle, à l’instar de Boulogne, Étaples, Équihen et Berck. Dans ce petit village pittoresque, qui bénéficie alors de la présence voisine de la nouvelle gare de Rinxent, vient s’installer le couple d’artistes célèbres Virginie Demont-Breton et son mari le paysagiste Adrien Demont. Ces deux peintres habitent le Typhonium, leur maison au style égyptisant achevée en 1900, et accueillent nombre d’artistes en herbe pour leur apprentissage et les conseiller. Ce « Groupe Demont », aussi connu comme « École de Wissant », marque durablement l’époque qui perdure de nos jours encore, à travers les œuvres de Georges Maroniez, Félix Planquette, Édouard Houssin et bien d’autres. Certains artistes sont simplement de passage chez leurs amis wissantais, travaillent avec eux comme Francis Tattegrain, ou reçoivent leurs précieux conseils. Ingénieur de formation, Henri Rovel est très éclectique dans ses passions et ses activités. Il vient à plusieurs reprises à Wissant et croque la Côte d’Opale, essentiellement les villages de pêcheurs ainsi que Boulogne. Si son travail orientaliste, fruit de ses pérégrinations au Maghreb, est aujourd’hui reconnu, ses peintures boulonnaises restent encore confidentielles. Bien qu’elles soient rares, elles méritent un éclairage nouveau.

Henri Rovel est né le 8 juillet 1849 à Saint-Dié dans les Vosges, d’une famille de cultivateurs. Son père, Jean-Baptiste Rovel, s’établit dans cette ville et exerce l’activité de marchand de papier peint. Orphelin à 10 ans, le jeune enfant est recueilli par M. Wolfrom, un commerçant amateur d’art. Il l’encourage dans ses études. A 15 ans, l’adolescent part à Nancy pour suivre une classe préparatoire.  Il intègre l’École Polytechnique en 1868 et y devient ingénieur. Il en sort officier d’artillerie quand la guerre de 1870 se déclare. Au début du conflit, au temps des premières défaites, Henri Rovel parvient à s’échapper du siège de Metz et rejoint l’armée de la Loire. Dans la « Lorraine Artiste » en 1892, l’artiste se confie sur cette épreuve de jeunesse : « Après la capitulation, je fis la route de Nancy à Bourges en traversant les lignes prussiennes… De Tours, on m’envoya à Rennes et je partis à l’armée avec le capitaine Douvres. Blessé et prisonnier, il me laissa le commandement de la batterie, j’avais 21 ans et il me restait 3 hommes par pièce… ». Vers 1871, il rencontre Adrien Demont à Douai. Après la guerre, Henri Rovel rédige quelques mémoires appréciés sur les questions militaires, mais cette carrière de contraintes ne l’enthousiasme guère. En 1874, il démissionne et préfère « se lancer dans l’étude de la peinture. Je n’avais jamais touché une palette, mais j’en avais le plus vif désir… J’ai toujours travaillé seul et si j’ai été chez Cormon, c’est pour pouvoir facilement y dessiner le nu ».

Dans l’atelier Cormont, il suit l’enseignement académique de ce vieux maître. Il y apprend la peinture classique pour réaliser des paysages, des nus et des portraits. Il se veut « peintre réaliste, ressemblant, pragmatique et presque commercial ». Membre de la Société des artistes français, il expose régulièrement au Salon des Champs-Élysées à partir de 1882 et aux Salons de province à Saint-Dié, Épinal et Remiremont. Amoureux de sa région natale, il croque son environnement et ses traditions, notamment des vues vosgiennes : « Dans les Vosges » (1886), « Schlitteur » (1888), « Le Pêcheur de truites dans les Vosges » (1896). Certaines de ses œuvres régionalistes sont conservées au Musée Pierre-Noël de Saint-Dié : « Vue de Lusse » (1890), « Pêcheurs sur le lac de Gérardmer » (1908), « Calvaire Vosgien » (24 cm x 33 cm), « Schlitteurs dans les Vosges », « Le Pont des Fées près de Gérardmer » (musée de Toul), « La Skieuse » (musée de Saint-Dié). Grand voyageur, Henri Rovel se nourrit de la couleur et de la lumière du sud de l’Europe : en Espagne notamment avec « Danseuse Espagnole » (1886), « L’Église Santa-Isabel à Séville » (1891), ainsi qu’en Suisse avec « Vue du château d’Arroccato » (1888). A cette époque, Henri Rovel fait découvrir au couple Demont-Breton, la région des Vosges. Dans ses mémoires, Virginie Demont-Breton raconte : « Nous fîmes avec lui un voyage à pied, sac au dos, dans les Vosges, sa chère province. Il était si fier de ses belles forêts, de ses coteaux roussis au soleil, de ses étourdissantes cascades… ».

En mars-avril 1895, Rovel accompagne les Demont-Breton au Maghreb. En cette fin du 19ème siècle, l’Orientalisme est très en vogue auprès du public. Ce courant marque l’intérêt et la curiosité des artistes et des écrivains pour les pays du Couchant et du Levant. En 1893, la création du Salon des peintres orientalistes consacre le succès des thèmes exotiques. Puis, en 1908, la Société coloniale des artistes français rassemble les peintres orientalistes. Virginie Demont-Breton parle de leurs pérégrinations en Afrique du Nord de manière affectueuse, et révèle au passage le caractère cabotin et sympathique d’Henri Rovel : « Au départ, tandis que le train nous emportait vers Marseille où nous devions nous embarquer pour Alger, à bord du Général Chanzy, Rovel dit : Il faudra que chacun de nous inscrive ses impressions sur les pays merveilleux que nous allons visiter. En tirant de sa poche un petit carnet tout neuf, il inscrivit en première page : Notes Hebdromadaires ».

Si Virginie Demont-Breton peint beaucoup autour de Biskra, des campements, des tentes et leurs bédouins, Henri Rovel semble plus éclectique dans ses sujets. Attiré par la lumière de ces terres dorées, Henri Rovel voyage davantage. Il y peint dans la tradition orientaliste et laisse des vues de Tunis et des oueds africains, aux couleurs chatoyantes : « Village Fortifié en Tunisie », « Vue de Tunis au coucher du soleil » (achat par l’État en 1896, musée d’Épinal), « Plage de Monastir », « Oued Gabès », « Vue de Gafsa » (1900), « Village fortifié en Tunisie » (27 cm x 43 cm) visible au Musée Pierre-Noël de Saint-Dié. L’artiste séjourne également en Algérie et en rapporte dessins, croquis et peintures : « Vue d’Alger » (1899) et « Soldat Arabe », une très grande toile figurative, très colorée et expressive. Dans cette veine orientaliste, il réalise également des affiches pour les chemins de fer : « Vue de Tunis, Kairouan, El Djem, Tebessa, Bizerte », affiche en couleurs, lithographiée par la Société Lyonnaise de photochromographie (110 cm x 80 cm).

En marge de sa peinture, Henri Rovel réfléchit à la création artistique et publie en 1908 un article important intitulé « Les lois d’harmonie de la peinture et de la musique sont les mêmes ». Il pratique également la musique, notamment le piano. En plus des arts, Henri Rovel reste un polytechnicien et s’intéresse à la science. Passionné par les phénomènes météorologiques, il consacre les quinze dernières années de sa vie à l’observation et à la prévision du temps à venir. Observateur de son époque, il se montre également auteur engagé en laissant des ouvrages économiques et sociologiques : « Roman et étude sociale – Pour l’Humanité et la Patrie – Suppression de la misère » (1897), « Association du capital et du travail, seule solution pratique du problème social » (1901), « Le droit à la vie et l’éducation » (1908).

Dans la débâcle de la guerre de 1870, Henri Rovel rencontre Adrien Demont en passant à Douai. De cette rencontre va naître une longue amitié, à la fois intellectuelle et artistique. Cet artiste paysagiste lui fait connaître par la suite sa femme, Virginie Demont-Breton, et son beau-père, le fameux peintre Jules Breton. Virginie Demont-Breton raconte : « Au printemps 1888, peu après la naissance de notre petite Adrienne, comme j’étais encore alitée ayant été très souffrante, j’entendis un jour une exquise mélodie inconnue qui montait du salon, situé au rez-de-chaussée, et je reconnus le style très original de Rovel. […] Il venait de l’improviser. Il lui donna pour titre : La Jeune Mère, et me la dédia ». Invité à plusieurs reprises à Montgeron, Henri Rovel est reçu dès les années 1890 à Wissant, où le couple Demont-Breton a fait construire le Typhonium, leur belle demeure égyptisante, et découvre ainsi la Côte d’Opale. Les sujets wissantais puis boulonnais apparaissent alors dans son œuvre picturale.

Ses vues de Wissant sont interprétées dans la lignée du travail de Virginie et d’Adrien Demont. Henri Rovel traduit la vie maritime et les gens de mer dans un goût naturaliste, mais tout en privilégiant les paysages. Datée de 1896, sa toile la plus importante reste « Calvaire de Wissant » (huile sur toile, 64cm x 91cm) : dans cette composition apparaissent l’influence vosgienne et son goût pour les grands espaces verdoyants. La toile est divisée en deux parties égales, partagée entre le décor naturel traité en un camaïeu de verts, et le ciel et la mer confondus dans des tons bleus, verts et roses. Au premier plan, un groupe humain composé d’un vieux marin, d’un pêcheur habillé pour partir en mer, et d’une matelote agenouillée en habits traditionnels (calipette et robe à jupons), sont en prière devant un Christ en croix. Cette représentation forte du calvaire de Wissant, installé en contrebas du Typhonium, est un témoignage de la vie maritime et des croyances chrétiennes, qui aident à survivre aux drames de la mer.

La vie de ces marins transparaît également dans « Pêcheur de Wissant » (huile sur toile, 42cm x 24cm). Pris sur la dune, ce portrait en pied présente un pêcheur vêtu de ses habits traditionnels : les houssiaux (grandes bottes de pêche), la vareuse ocre, le bonnet surmonté d’une houppette rouge. Avec sa barbe touffue, fumant sa petite pipe, l’homme regarde au loin la mer plate et le Cap Griz-Nez, fermant la baie. Dans cette œuvre pittoresque, le dessin est posé et omniprésent, la palette reste cantonnée à la plus simple expression des couleurs réelles du sujet. Ainsi, Henri Rovel s’inscrit dans la veine naturaliste exercée à maintes reprises par Virginie Demont-Breton, qui peint la réalité des gens de mer de Wissant.

Une autre œuvre reprend un sujet emblématique, représenté par la plupart des artistes de l’École de Wissant, par Adrien Demont et Alexandre Houzé : « Le pont à l’entrée de l’Herlen » (huile sur toile, 31cm x 43cm). Prise de nuit, la vue figure le pont traversé par l’Herlen à la sortie du village, un soir de pleine lune. Dans des tons très monochromes, le bourg et son église se dessinent à peine à l’arrière-plan. Seule la lune, comme un phare céleste, éclaire de reflets bleutés et éclatants la petite rivière qui traverse le village.

Henri Rovel peint aussi Boulogne, la ville et son port. Il laisse notamment « Bal des Capucins à Boulogne », montrant une foule en liesse sur la Place Saint-Nicolas. Il participe également à l’Exposition d’Art de Boulogne en 1901. En effet, presque quinze ans après le succès de 1887, une nouvelle Exposition Internationale d’Art est organisée à Boulogne. Le comité qui rassemble entre autres le couple Demont-Breton, Francis Tattegrain, Fritz Thaulow, veut plus particulièrement mettre à l’honneur les sujets boulonnais. Adrien Demont en est le vice-président. L’exposition se déroule du 18 juillet au 15 septembre 1901, quai Gambetta, dans les nouveaux locaux de la Chambre de Commerce. Près de 600 œuvres sont exposées au public, essentiellement dans la « section internationale », le reste dans la « section boulonnaise » et dans la « section école de dessin de Boulogne-sur-Mer », qui rassemble les travaux des élèves primés. Aux côtés de ses amis artistes, Henri Rovel présente deux petites huiles, « La Liane à Boulogne-sur-Mer » et « Le Bassin à flot à Boulogne-sur-Mer » (n° 293 et 294), qui reçoivent un bon succès. Contrairement à son habitude, où l’artiste aime s’appuyer sur un dessin abouti servi par des couleurs franches, Henri Rovel expérimente cette fois-ci une palette plus douce qui construit l’espace. Dans « Le Bassin à flot à Boulogne-sur-Mer » (huile sur toile, 44cm x 27cm), l’artiste utilise un format vertical afin de renforcer le champ et la perspective de la vue. Au premier-plan, un voilier amarré au quai laisse échapper un bout de sa coque rouge. A l’arrière-plan, bateaux à moteur et voiliers sont alignés en attendant la prochaine sortie en mer. Tous ces navires semblent flotter sur une mer aux tonalités brunes. Les deux autres tiers de l’œuvre sont dévolus à un ciel traité en fines touches, légères et évanescentes, aux accents postimpressionnistes. Ainsi, dans cette toile, l’artiste se montre davantage évocateur de l’ambiance portuaire, que véritablement peintre naturaliste. En 1903, toujours aussi proche des Demont-Breton, il présente à l’Exposition des Beaux-arts de Boulogne un portrait des filles des peintres wissantais. Au Salon des Artistes français, Henri Rovel expose « Travaux du port de Boulogne-sur-Mer – Effet de Nuit » (1905) et « Un coin du port de Boulogne-sur-Mer – La Cale au Bois » (1906). Ces deux œuvres sont les dernières présentées par l’artiste à Paris.

Dans son tableau « Le dernier vol du capitaine Ferber au champ d’aviation de Wimereux » (huile sur toile, 25cm x 42cm), l’artiste représente le drame qui s’est joué le 22 septembre 1909. Ce jour-là, Ferdinand Ferber, ancien polytechnicien et pionnier de l’aviation, inaugure « La Semaine de l’Aéronautique de Boulogne-sur-Mer ». Lors de ce meeting aérien, le pilote fait un mauvais atterrissage, son avion Voisin touche un sol inégal et les roues se calent dans une rigole. La catastrophe n’est pas tout de suite visible. L’appareil bascule en avant à l’arrêt et le moteur s’écrase sur Ferber, qui néanmoins se dégage seul. « C’est bête tout de même, un accident comme cela » déclare t-il avant de succomber à une hémorragie interne un quart d’heure plus tard. De cet événement, Henri Rovel laisse une œuvre naturaliste, montrant la campagne boulonnaise, ses collines et ses moulins, ses prairies verdoyantes et ses chemins tortueux. L’avion biplan apparaît discrètement, réduit à la portion congrue, comme pour masquer le drame inéluctable.

Durant sa vie très riche en activités, événements et amitiés, Henri Rovel semble toujours vouloir apprendre. Sorti de l’atelier de Cormont, qui finalement ne lui enseigne que les bases académiques, l’artiste s’enrichit au contact du couple Demont-Breton, avec lequel il partage des moments d’amitiés et de créations picturales, à Montgeron puis à Wissant. Si les sujets boulonnais restent rares dans sa production, Henri Rovel a néanmoins bien saisi les paysages, les marines et les gens de mer de la Côte d’Opale. Doucement, il se libère du dessin, parfois trop rigide, pour s’ouvrir à une palette plus douce et lumineuse qui construit les volumes et l’espace. Virginie Demont-Breton salue son ami qui disparaît le 1er août 1926, âgé de soixante-dix-huit ans : « Jusqu’à la fin, il a étudié la météorologie et il a écrit. Quelle que soit la foi ou la philosophie qui l’a secouru à sa dernière heure, on peut dire qu’il est mort en contemplant le ciel ».

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Georges Griois (1872-1944) – de la couleur des quais boulonnais

Période faste et brillante, le début du 20ème siècle a connu les plus grands mouvements artistiques. Nés en France, des suites de l’Impressionnisme vers le Fauvisme et de l’utilisation toujours plus intensive de la couleur, ces mouvements marquent également profondément les artistes provinciaux. C’est dans cet esprit que s’inscrit la carrière de Georges Griois. Sa vie durant, à la manière de ses illustres prédécesseurs, cet artiste boulonnais croque à l’envi, la vie tumultueuse des quais, animés par des marins laborieux embarqués sur leurs navires chatoyants. Il y développe son art, sincère et coloré, rassemble ses confrères au sein d’une société artistique, et organise sa vie durant de nombreuses expositions. Très inspiré par Boulogne et son littoral capricieux, son œuvre forme aujourd’hui un véritable « album témoignage » de cette époque révolue, interprété dans un style chromatique des plus personnels.

Né à Boulogne-sur-Mer le 9 août 1872, Georges Louis Griois est le fils de Frédéric, employé de commerce, et de Julie Gervais, tous deux âgés de 23 et 24 ans. La famille demeure tout d’abord rue de l’Amiral Bruix, puis emménage rue Nationale. Malheureusement, la jeunesse du jeune Georges est endeuillée par la disparition prématurée de ses parents. Sa mère décède alors qu’il n’a que six ans (13 août 1878). Assez rapidement, son père se remarie à Marie Grare, repasseuse de métier, en juin 1879. Ce bonheur est précaire, puisque Frédéric Griois meurt à peine trois ans plus tard, le 7 mai 1882. Le petit Griois se retrouve orphelin à l’âge de 9 ans. Il est alors recueilli par son oncle, Eugène Duval. Entouré de ses trois cousins, Georges grandit dans la cordonnerie familiale, installée rue Damboise. Il fréquente l’école publique à Boulogne, puis à l’âge de 14 ans, avec son cousin Gaston, il est apprenti dans le métier de relieur. C’est l’époque où le futur artiste cultive son amour de la lecture et des beaux ouvrages.

Adolescent, il montre de véritables aptitudes au dessin et à l’observation de son environnement. A la fin des années 1880, Georges est admis à l’École municipale de Dessin de Boulogne, aux côtés du peintre Victor Dupont (1873-1941), qui lui lègue à la fin de son cursus une toile représentant un bouquet, et du sculpteur Paul Graf (1872-1947). Il y fréquente également Augustin Demizel, dont la mère habite rue Damboise, Lucienne Boulanger qui lui offre une nature morte, et Raoul Lamirand dont la palette chromatique est proche de la sienne. Georges Griois y suit les cours d’Arthur Cloquié, peintre de fleurs et de natures mortes, et des sculpteurs Ernest Péron et Adolphe Thomas (auteur du tombeau de l’historien Ernest Deseille, 1892). Son apprentissage est couronné de succès. En 1893, il reçoit une médaille d’argent (3ème classe) en « académie », puis une autre identique pour son travail en « modelage et sculpture« . A cette époque, Georges Griois produit surtout des copies d’œuvres, des paysages, des natures mortes et des bouquets.

Sa formation d’artiste est interrompue par le passage obligé du service militaire. Incorporé le 11 novembre 1893 au 8ème régiment d’Infanterie de Saint-Omer, il bénéficie finalement de l’article 21 du code militaire, qui dispense de service les « aînés d’orphelins« . Il est mis en congé le 25 septembre 1894, puis « passé dans la réserve de l’armée active le 1er septembre 1896« , selon son dossier militaire. Il est alors décrit comme un homme svelte mesurant 1.66 mètre, nantis de « cheveux et de sourcils châtains, d’yeux gris et d’un nez moyen« .

A son retour du service à l’automne 1894, Georges Griois s’oriente vers la décoration d’intérieur en travaillant chez un certain Gilles Mativat. Il travaille l’espace par quadrillage pour réaliser sur papier ses projets, avant de les mettre en peinture sur les murs de quelques belles maisons bourgeoises boulonnaises. Le 12 janvier 1899, il épouse Marie-Marguerite Rethier, modiste d’un an plus jeune, fille de Joseph, cordonnier, et de Marie-Louise Bardaux. Georges Griois quitte alors sa famille adoptive de la rue Damboise pour s’installer rue de l’Enseignement-Mutuel. Les débuts sont difficiles, Georges ne possède que ses outils de peintre (environs 50 francs), alors que Marie apporte l’essentiel du ménage, à savoir le mobilier et le linge de la maison, complétés par 1.318 francs de dot. Le couple aura trois enfants. En 1900, il rachète finalement le fond de commerce de Mativat pour y créer son premier atelier de peinture et décoration.

Si la vie artistique est à son apogée à Paris et dans les grandes villes, Boulogne n’est pas en reste. Après la création des Sociétés artistiques de Lille et d’Arras, et l’organisation des Salons provinciaux, certains artistes boulonnais se réunissent pour institutionnaliser et mieux structurer la vie artistique de leur ville balnéaire. Aux côtés de peintres fameux, comme Virginie Demont-Breton, Georges Maroniez, Ricard-Cordingley, et bien d’autres, Boulogne accueille de nombreux artistes en herbe, étrangers ou du cru. Le développement de la ligne de chemin fer, concomitant de la naissance du tourisme, entraine une demande accrue de souvenirs de plage et de toiles maritimes typiques. Ainsi, la bourgeoisie locale, nordiste ou anglaise, permet l’émergence de la peinture maritime sur notre littoral. Dès 1900, pour satisfaire une clientèle mondaine, le Casino de Boulogne organise une grande exposition internationale. Le succès est complet.

Dans ce contexte porteur, Georges Griois fonde, l’année suivante, avec Eugène Altazin, adjoint au maire et membre de la Chambre de commerce, la « Société Académique des Beaux-Arts et Arts Industriels de Boulogne-sur-Mer« . Une première « Exposition Internationale des Beaux-Arts » est inaugurée le 18 juillet 1901 par M. Roujon, directeur des Beaux-Arts, sous le patronage des grands peintres du moment : Virginie Demont-Breton, Francis Tattegrain, Henry Bonnefoy, Eugène Chigot et Fritz Thaulow. Installée dans les locaux du collège communal, l’exposition présente un ensemble de 600 œuvres (peintures, sculptures, céramiques, gravures), d’artistes boulonnais ou nordistes. Secrétaire de cette société de 1902 à 1904, Georges Griois y montre quatre œuvres en 1901, puis trois vues de Wimereux en 1903. Sa carrière semble maintenant lancée. Partagé entre la peinture et la décoration, Georges Griois s’intéresse également au théâtre pour lequel il dessine des décors, notamment lors des revues patoisantes, entre 1907 et 1914. Ces années d’avant-guerre sont fastes pour son art. Il parcourt Boulogne et y croque la ville et ses remparts. Quelques passages à Équihen lui font connaître les artistes installés dans ce petit havre de pêcheurs, notamment Jean-Charles Cazin et Edmond de Palézieux. L’estran est prétexte à la réalisation de portraits de pêcheurs au travail, armés de leurs outils et autres « basquettes » (panier de pêche). Sur des petits formats de bois, Georges Griois va à la rencontre de ce peuple de la mer qu’il peint à l’envi, dans des décors apprêtés où mer et ciel se confondent dans des bleus azurs et des roses pastels.

Si l’artiste suit tout d’abord un parcours académique, il s’engage rapidement vers les expériences nouvelles inspirées du Fauvisme et de l’Expressionnisme. Comme d’autres artistes de son temps, Georges Griois est influencé par le Fauvisme. Ce mouvement artistique, créé en 1905, influence tout l’art du 20ème siècle en libérant la couleur. Les peintres fauves ont recours à de larges aplats de couleurs violentes, pures et vives. Souvent, la couleur est séparée de sa référence à l’objet afin d’accentuer l’expression. Ainsi, Matisse, le maître du courant Fauve, peint sans complexe une herbe bleu. S’il aime le dessin, Georges Griois privilégie l’usage intensif de la couleur pour construire ses œuvres et mettre en scène ses sujets, sans pour autant dissocier sujet et couleur. Les vareuses des pêcheurs restent teintées d’un jaune orangé typique, quand les arbres des remparts boulonnais gardent leurs feuilles tachetées d’un vert translucide. Bon coloriste, le peintre pratique une touche légère, proche du Pointillisme, qui consiste à peindre par juxtaposition de petites touches de couleurs primaires et de couleurs complémentaires. Georges Griois obtient ainsi une peinture colorée et légère, emportée dans un mouvement salutaire. De manière rigoureuse, l’artiste s’applique toujours à étudier son sujet par le dessin préparatoire, le quadrillage et l’aquarelle avant de produire une œuvre finale à l’huile. Ses cahiers de croquis témoignent de cet attachement à restituer la stricte vérité visuelle. Ses portraits, ses scènes de quai et ses paysages gardent encore toute leur force et reflètent une touche maîtrisée. Dans cet art bien personnel, les œuvres de Griois sont très reconnaissables et répondent à une époque moderniste, tentée par des intentions picturales nouvelles.

Toujours très actif, Georges Griois fait évoluer sa société d’art en « Société des Artistes Peintres, Sculpteurs et Architectes Boulonnais« , créée le 11 juillet 1911. A l’image de la Société des Artistes français installée à Paris, Griois s’attache à fédérer les artistes boulonnais afin de mieux faire connaître leurs œuvres. Le siège de cette société est établi place Capécure, au sein du quartier maritime. En 1913, l’artiste illustre les revues patoisantes boulonnaises à succès « Aïe m’mère » et « Boulogne de plus en plus poubelle« . Le port de Boulogne est à son apogée, et Georges Griois continue à en croquer chaque jour l’effervescence, à travers ses chalutiers chamarrés et ses scènes de quais évanescentes. A la même époque, il réalise les décors muraux de la Taverne Anglaise, établissement réputé installé sur le quai Gambetta, ainsi que ceux de l’Hôtel-de-ville et des jardins du casino. L’horreur de la Première guerre mondiale porte un coup d’arrêt provisoire à cet art généreux.

Déjà nommé caporal le 30 octobre 1909, en récompense à son investissement dans l’armée de réserve, Georges Griois est mobilisé dès le 1er août 1914. Mais son état de santé le préserve du front. Le 18 février 1915, la commission de réforme de Boulogne le place dans les « services auxiliaires« , en raison de sa myopie et de sa surdité. Le 26 décembre 1915, il est affecté au petit dépôt de munitions de Boulogne. En mars 1916, il part à Montluçon, prendre un poste dans les ateliers de chargement. Le 5 novembre 1916, à la suite de la loi Dalbiez, il est finalement affecté dans un bataillon d’Infanterie, mais ne semble pas combattre. Il est finalement libéré le 1er octobre 1918 et retourne à Boulogne.

Après le conflit et le retour à la paix, les affaires reprennent. Son entreprise de décoration connaît une prospérité nouvelle, employant jusqu’à une quinzaine d’ouvriers. Une grande bâtisse située au 21 boulevard Clocheville devient la maison familiale et accueille également l’atelier, aménagé sous une verrière au fond de la cour. En 1920, Albert Chatelle, académicien et conservateur au musée du Louvre, lui demande d’illustrer la couverture de son ouvrage, maintenant fameux, « Boulogne sous les Bombardements« . Cette collaboration sera la naissance d’une amitié. Toujours motivé par sa passion, Georges Griois demande à la ville de Boulogne de soutenir ses projets en faveur des jeunes artistes, souvent en difficultés matérielles après quatre années de guerre destructrice. Dans une lettre datée de juin 1920, Georges Griois déplore « les conditions lamentables dans lesquelles se débat l’Académie municipale de dessin« . Et il note qu’étant « donné l’importance primordiale de cette institution qui a contribué à former de nombreux artistes, professeurs, artisans, patrons et ouvriers, […] », il est important de créer de « nouveaux cours d’apprentis« . La ville répondra à son attente. Participant à la réfection des chapelles de la cathédrale en 1921, Georges Griois travaille à la composition de sept personnages, disposés au-dessus de chaque arc-doubleau.

Devenu membre en 1924 de la Société des Artistes Indépendants à Paris, Georges Griois expose à ce prestigieux salon en 1925, de 1927 à 1930, de 1932 à 1939, et enfin de 1942 à 1944. A chaque fois, il y présente à un public averti deux œuvres emblématiques de son art. Il montre également son travail au Salon des Tuileries, mais ne semble pas fréquenter le Salon d’Automne. L’artiste participe aussi à des salons provinciaux et monte des expositions personnelles. En 1926, une grande exposition sur « Georges Griois, peintre de la Grande Pêche » est organisée à la galerie Decroix, rue Faidherbe à Boulogne, avec 43 œuvres. Pourtant, le succès n’efface pas la mort prématurée de l’épouse du peintre, Marie Marguerite, le 21 décembre 1928. Très affecté par ce nouveau drame familial, l’artiste choisit de prendre du champ et s’éloigne un temps de Boulogne. Dès février 1930 et durant quelques mois, Georges Griois voyage ainsi en Norvège, à Sauda, Stavanger et Bergen, où il produit des œuvres très lumineuses et épurées, qui mettent en exergue la beauté sauvage des grands fjords.

Toujours en 1930, une exposition personnelle montée dans le hall du journal Le Télégramme à Boulogne connaît un franc succès. L’année suivante, ses œuvres rencontrent une nouvelle fois le public parisien lors d’une exposition tenue à la galerie des Palais, avenue de Versailles. En 1932, Georges Griois accroche aux cimaises du palace du Royal Picardy du Touquet une collection de 22 tableaux. L’accueil du public est enthousiaste devant le « Chalutier Givré« , le « Soir d’Hiver aux Remparts« , « Le Quai« , « Le Caquetage » très typique, ou « Les Pêcheurs« . Le grand écrivain André Mabille de Poncheville, qui a déjà consacré un ouvrage à l’artiste en avril 1931, est dithyrambique : « Les bassins avec leurs voiliers devenus rares, leurs chalutiers aux lignes superbes, aux coques empourprées de rouille ou fraîchement peintes au minimum, les cheminées exhalant vers le ciel des torrents de fumée, autant de motifs qu’il s’agissait de rendre avec l’atmosphère qui les enveloppe d’une harmonie. L’activité humaine, enfin qui se déploie parmi eux, surtout lors de la saison du hareng, est celle que Georges Griois a enregistrée dans une toile de grande dimension, La Harengaison« . Plus qu’un art coloré, l’œuvre de Georges Griois devient un témoignage du temps passé, de la grande marine à voiles, irrémédiablement disparue. En 1934, il participe toujours à la Société des Beaux-Arts de Boulogne en présentant deux œuvres. Il récidive en 1936 avec quatre nouveaux tableaux.

A l’automne 1935, grâce à son amitié ancienne avec les peintres André Léveillé (1880-1963) et Victor Dupont (1873-1941), Georges Griois participe à une expérience des plus novatrices pour l’époque : le « Train Exposition des Artistes« . Cette exposition itinérante, forte d’environ 500 œuvres, parcourt la France durant un mois et demi. Partie le 17 septembre, elle passe par Chartres, Laval, Cherbourg, Caen, Rouen, puis Beauvais, Amiens, Abbeville, Boulogne (9-10 octobre), Calais (11 octobre), Dunkerque (12-13 octobre), Arras (14-15 octobre), Lille (19 octobre), et s’achève le 31 à Soissons. Le concept est simple : les visiteurs contemplent les œuvres exposées dans les wagons à quai et peuvent les acheter directement. Le succès est immédiat et nombre d’artistes célèbres y participent : Georges Andrique de Calais, Abel Bertram de Saint-Omer, Omer Bouchery graveur de Lille, Félix Desruelles sculpteur de Valenciennes, le peintre-mécène Henri Duhem de Douai, le Fauve Othon Friesz, les fameux Marcel Gromaire et Henri Matisse, Lucien Jonas, Jules Joëts de Saint-Omer, Henri Le Sidaner, André Lhote, Richard Maguet d’Amiens et Robert Pinchon, maître de l’École de Rouen. Georges Grois y présente deux œuvres sur bois très pittoresques : « Boulonnaises » coiffées de leurs imposants soleils, et « A la m’sure« , mis en vente 600 et 800 francs, ce qui constitue des prix plutôt modestes. La critique est bonne : « Arrêtons-nous un instant sur Georges Griois, qui, longtemps, s’est confiné avec trop de modestie, et propose depuis quelques années d’excellentes œuvres dans de justes et agréables tonalités. Cet artiste fait honneur à sa ville« . L’année suivante, il renouvelle l’expérience ; ce sera sa dernière participation à cette manifestation qui s’arrête définitivement avec la guerre.

Pendant trois années, de 1937 à 1939, Georges Griois montre sa peinture au public breton. La « Société Lorientaise des Beaux-Arts » reçoit durant ces années huit, puis cinq et enfin trois tableaux de l’artiste. Mais la guerre et ses aléas dramatiques mettent un terme brutal à sa carrière. En 1942, Georges Griois est évacué et part habiter chez sa fille à Eaubonne dans le Val d’Oise. Durant cette période angoissante, il croque néanmoins les rivages de l’Oise et produit « Les Péniches » et « Les Bords de l’Oise« . En décembre 1943, il retourne à Boulogne, qu’il retrouve dévastée. Les charmantes scènes de quai, qu’il a produit quarante années durant, sont maintenant un poignant souvenir d’un passé encore proche, rasé par des bombardements aveugles. Très affecté par cette situation, l’artiste regagne Eaubonne. Au Salon des Indépendants de 1944, il présente ses deux dernières toiles : « Les Ormes sous la Neige » (vue des remparts de Boulogne en décembre) et « Entrée du Village sous la Neige » (Tournehem). Il décède le 27 novembre 1944 à Ermont (Val d’Oise), à l’âge de 72 ans, et repose aujourd’hui aux côtés de sa femme au cimetière de l’Est à Boulogne.

Au-delà d’une carrière bien remplie et couronnée de succès, de voyages et de rencontres, Georges Griois reste un artiste boulonnais emblématique. Formé dans sa ville natale, il choisit d’y rester sans répondre aux sirènes de la capitale, contrairement à son ami Victor Dupont qui tente l’aventure parisienne. Très engagé dans la vie artistique boulonnaise, il anime de ses toiles pittoresques la vie artistique des années fastes mais troublées, de la Belle Époque aux Années Folles. S’il n’a pas révolutionné le « Grand Art » par ses audaces chromatiques, Georges Griois conserve une palette très personnelle et sait mettre en scène, dans un mouvement toujours attractif, les personnages et les endroits qu’il peint. Mais surtout, au-delà de son dessin assuré, de ses couleurs maîtrisées et de sa touche éthérée, Georges Griois, acteur et témoin d’une époque artistique passionnante, demeure « le chantre d’une marine boulonnaise disparue« .

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Antoine Guillemet (1841-1918) – un grand peintre parisien sur les chemins d’Équihen

A la Belle Époque, les liens de cœur entre la Côte d’Opale et les artistes sont largement établis. Depuis plusieurs décennies, les progrès du chemin de fer associés à la « quête du pittoresque » amènent les jeunes artistes à quitter Paris pour gagner la province. Formées aux académies classiques, ces colonies d’artistes viennent parcourir le littoral boulonnais à la recherche d’endroits authentiques à la population laborieuse. Si Etaples, Berck et Wissant bénéficient d’une forte affluence, Équihen reste surtout connue pour accueillir la résidence et l’atelier de Jean-Charles Cazin, nichés au cœur des dunes protectrices. Après ses débuts de carrière à Paris, c’est d’ailleurs cet artiste renommé qui va faire découvrir Équihen à Antoine Guillemet. Si ses venues sont au début plutôt anecdotiques, rapidement, Antoine Guillemet va prendre l’habitude de venir croquer la côte et ses panoramas marins. Ainsi, jusqu’à sa mort, délaissant peu à peu considérations et distinctions parisiennes, Antoine Guillemet s’adonne à l’étude des paysages maritimes en traduisant, dans l’instant, sa vitalité et sa vérité, et en demeurant pour la postérité « un grand peintre parisien sur les chemins d’Équihen« .

Artiste célèbre de son temps, le parcours de vie de Jean-Baptiste Antoine Guillemet s’avère bien tracé. Né le 30 juin 1841 à Chantilly dans l’Oise, le jeune Antoine est le fils naturel de Louise de Rosoy, 36 ans, déclarée « rentière ». En fait, la famille maternelle vit confortablement et descend d’une lignée de riches armateurs rouennais. A l’âge de dix ans, l’enfant est finalement reconnu par son père, Arsace Guillemet, le 18 mai 1852. Cette proximité avec ses racines rouennaises va provoquer un réel intérêt de la part de Guillemet pour le monde maritime. L’enfant souhaite devenir marin, mais ses parents le destine plus raisonnablement au droit. A l’écoute de cet enfant prodigue, sa famille accepte son choix qui l’oriente vers l’art et la peinture. Il part à Paris. Cependant, toute sa vie durant, l’artiste n’oubliera pas ses origines et se partagera entre Paris, et sa vie tumultueuse, et la côte normande, plus calme et authentique.

Élève de Charles-François Daubigny (1817-1878), fameux peintre de Barbizon, Antoine Guillemet en reçoit une formation rigoureuse de peintre paysagiste. Dès 1859, sa carrière débute par la commande d’une copie de la célèbre toile de Géricault, « Le Radeau de la Méduse ». En 1861, il est présenté à Jean-Baptiste Corot (1796-1875) et à Paul Cézanne (1839-1906) par l’intermédiaire de Berthe Morisot. Dans un article qui lui est consacré en 1896, Antoine Guillemet rend hommage à ces influences : « Je suis un enfant trouvé de la peinture. Je me suis égaré dans les champs, sur les grèves, et j’ai admiré et je me suis efforcé de rendre ce que je voyais. Plus tard, respectueusement, je me suis rapproché Daubigny, de Corot notre père à tous ; j’ai reçu les conseils de Vollon…« . Dans ces années 1860, Guillemet poursuit son apprentissage en parcourant la campagne en compagnie de Karl Daubigny, le fils de son ancien maître. Sa rencontre avec Corot lui donne l’occasion de côtoyer de nombreux peintres de l’Avant-garde et de s’inscrire dans le mouvement des Impressionnistes. Il devient alors l’intime des plus Grands, d’Édouard Manet, de Camille Pissarro, de Paul Cézanne, d’Alfred Stevens, de Claude Monet et de Gustave Courbet.

Le 7 mai 1866, par l’intermédiaire de Paul Cézanne, Antoine Guillemet rencontre Émile Zola. Une longue amitié va s’installer entre les deux hommes, à travers notamment 121 lettres manuscrites, écrites de 1867 à 1901. L’écrivain possédera deux toiles de l’artiste, « Campagne d’Aix » (1866) et « Marine, Temps Gris » (1872), en qui il voit « le génie attendu« . Zola s’en inspire pour créer le personnage de Gagnière dans « L’Œuvre« , et demande à Guillemet en 1885 de le documenter sur la peinture. Cette rencontre oriente Guillemet vers le Naturalisme, mouvement artistique et littéraire qui tend à reproduire de manière objective la réalité. Dès ses premières lettres adressées à Zola, Guillemet déborde d’enthousiasme pour les jeunes artistes de la nouvelle école. Il admire Cézanne et présente, avec bonheur, la mise en œuvre de tableaux restés célèbres… Guillemet évoque Pissarro, Cézanne, Baille, Marion dans la première lettre (2 novembre 1866) si intéressante pour la biographie de ces jeunes hommes, encore inconnus à l’époque. Peintre paysagiste, Guillemet voyage alors beaucoup, à la recherche éternelle du motif inspirateur. Critique d’art et amateur de peinture paysagiste, Zola loue Guillemet à l’occasion du Salon de 1875 : « Un autre  élève de Corot, Guillemet, se distingue par une remarquable élégance… Il aime les larges horizons et les rend avec un luxe de détails qui ne nuit pas à la splendeur de l’ensemble« .

Au Salon de 1869, Édouard Manet présente « Le Balcon« , huile monumentale (170cm x 124cm), aujourd’hui accrochée aux cimaises du musée d’Orsay. La toile inspirée d’un tableau de Francisco Goya présente notamment Berthe Morisot (qui deviendra la belle-sœur de Manet) et Antoine Guillemet, représenté en costume sombre de dandy parisien, perdu dans ses pensées. Si l’œuvre est mal accueillie par la critique, encore rétive à la modernité de Manet, elle permet aujourd’hui d’appréhender la société bourgeoise et artistique de l’époque. « Le Balcon » est acquis par Gustave Caillebotte (1848-1894), puis légué à l’État après sa mort pour devenir une pièce maîtresse du musée parisien.

Durant une quarantaine d’années, Antoine Guillemet connaît un large succès qui ne se dément pas. En 1863, il passe à Villerville « ayant, après Daubigny, découvert ce trou à moules » et y revient tous les étés, sensible à la lumière tamisée de cette partie de la côte. A Villerville, Guillemet passe du temps en compagnie du peintre picard Ulysse Butin (1838-1883), qui néanmoins « ne lui permettait pas de l’observer peindre ses ciels » (1873). Après un refus en 1865, il participe au Salon de Paris régulièrement dès 1872, en croquant principalement des paysages normands (Cotentin), bretons et parisiens. De nombreux musées français accueillent ses œuvres, notamment : « Mer Basse à Villerville » (1872, mention Honorable) conservée au musée de Grenoble – « Bercy en Décembre » (1874, deuxième médaille) musée du Luxembourg à Paris – « Plage de Villerville » (1876) musée de Caen – « Village de Moret » (1876) musée des Pêcheries à Fécamp – « Falaises à Dieppe » (1877), musée de la ville – « La Plage de Villers » (1878) musée de Rouen – « Saint-Suliac » (1883) musée d’Amiens – « Le Hameau de Lendemer » (1886) musée de Bordeaux – « Carrières de Charenton » (1893) musée de Toulon – « Vue des Hauteurs de Belleville » (1897) appartient à la ville de Paris – « Le Loing à Moret » (1901) musée du Périgord – « Le Soir » (1908) musée de Nantes – « Les Rochers d’Équihen » (1910) musée de Rouen – « La Cité de Carcassonne » (1911) musée de la ville – « Les Dunes d’Équihen » (1912) musée de Saint-Denis.

Fort de ce succès, la notabilité d’Antoine Guillemet s’installe durablement. En 1880, il est fait chevalier de la Légion d’Honneur, puis officier (1896) et commandeur (1910), recommandé par le fameux maître Léon Bonnat. Le 28 décembre 1882, il épouse Blanche Cabanier, d’une santé fragile, qui lui a donné une fille nommée Jeanne (née en 1877). Largement investi dans le monde artistique, il soutient Claude Monet, puis parvient surtout à imposer la seule toile de Paul Cézanne au Salon de 1882, qui est alors qualifié « d’élève de Guillemet« ! En avril 1883, il est très affecté par la disparition de son ami Édouard Manet. En janvier 1884, Guy de Maupassant lui dédie sa nouvelle « Le Baptême« . L’année suivante, l’écrivain lui fait référence en mentionnant que chez le banquier Walter « on voyait au centre du salon une grande toile de Guillemet, une plage de Normandie sous un ciel d’orage » (« Bel Ami« , 1885).

Le 2 avril 1889, sa femme Blanche décède de la tuberculose à Mantes-la-Jolie, à l’âge de 41 ans. Très affecté par ce drame familial, il écrit à son ami Zola : « Mon cher Émile, après plusieurs mois, je me proposais de venir passer quelques jours auprès de vous. […] Le vide que m’a laissé ma femme se creuse au lieu de se combler. Je me trouve horriblement seul et ma fillette est trop jeune pour remplacer sa mère. Je n’ai goût à rien, même à me mettre au travail » (Guillemet à Zola, Mantes-la-Jolie, 13 octobre 1889). Pourtant, Guillemet reprend goût à la vie. Il se remet à peindre et reprend ses pérégrinations en Bretagne, en Normandie, sur la Côte d’Azur, dans le Périgord et sur la Côte d’Opale. En 1893, il rencontre Cécile Durand, une jeune femme divorcée de 26 ans, qu’il emmène visiter Jersey. Sa fouge amoureuse lui fait dire à Zola qu’il pourrait déjà l’épouser! Mais c’est finalement sa fille Jeanne qui lui grille la politesse. Le 25 octobre 1897, elle prend pour mari le peintre de la Marine Pierre Delaistre (1865-1931) : « A son entrée à l’église, monsieur Guillemet accompagnait la fiancée qui portait une très jolie toilette en crêpe de Chine blanc, corsage plissé à la vierge, et au lieu du voile, une mantille en point d’Angleterre. Au milieu d’une grande affluence de notabilités mondaines et artistiques, on trouvait M. Benjamin Constant, Jean-Paul Laurens, Édouard Detaille, Émile Zola, … » (L’Écho de Paris, 28 octobre 1897). Le mariage rassemble le Tout-Paris artistique.

A l’Exposition Universelle de Paris en 1900, Guillemet connaît un vrai succès. Il y expose six toiles (vues de Paris et de la Normandie, reprises des Salons de 1891 à 1897). L’artiste apparaît être sympathique, ouvert et passionné par les jeunes artistes : « C’est un gamin normand affiné par Paris. Il a le rire franc et l’esprit bon garçon. Il est très aimé des jeunes qu’il conseille et dirige amicalement. Quant à ses compagnons de vie, ils l’ont en cette particulière amitié réservée aux simples, aux bons, aux grands » (Le Petit Bleu, 27 février 1900). Installé à Paris au 59 rue des Martyrs, l’artiste voyage au printemps et à l’automne à Équihen, puis passe l’été au château de la Gotherie (commune de Mareuil, Dordogne). Hésitant entre un « Naturalisme moderne et un Impressionniste timoré« , Guillemet enseigne ou prodigue des conseils à quelques jeunes peintres qui deviennent ses élèves : Antoine Allou, Émile Cagniart, Charles Diligeon, Paul Liot (au style très proche de Guillemet), Jean-Constant Pape, Paul Schmitt. En 1914, il expose deux dernières toiles au Salon à Paris, puis s’installe durablement dans le Périgord. Le 29 janvier, il épouse Cécile Durand. Ils vivent heureux au château de la Gotherie. Vieillissant mais toujours productif, Guillemet laisse de nombreuses études des alentours, paysages périgourdins teintés de poésie. Il s’y éteint le 19 mai 1918. Le Salon lui organise une rétrospective en 1920.

Au début de sa carrière, Guillemet croque des scènes parisiennes et des sujets normands, dans une sensibilité naturaliste, influencée par Emile Zola. Ses paysages sont alors empreints de la marque de son ancien maître Jean-Baptiste Corot, chef de file de l’École de Barbizon. Après sa rencontre avec les Impressionnistes, son style évolue et devient plus libre, plus évocateur, laissant libre place aux couleurs vives et aux ambiances poétiques.

C’est Jean-Charles Cazin, rencontré à Paris en 1863, qui va faire connaître Équihen à Guillemet. Peintre « expérimental« , attaché à la liberté créative, et détaché de toute école ou groupes d’artistes, Cazin expose alors sa première œuvre au Salon des Refusés, un « Souvenir des Dunes de Wissant« , aux côtés d’Édouard Manet, du portraitiste américain James Whistler, d’Alphonse Legros et du chef de file de l’École d’Arras, Constant Dutilleux, rencontré plutôt à Barbizon. Mais, le succès est des plus mitigés, la presse ignorant presque l’exposition. Les deux artistes se croisent ensuite plusieurs fois dans la capitale, lors d’expositions.

En 1886, Cazin acquiert à Équihen un terrain sur la côte, face à la mer, et y fait construire une grande maison. Cette bâtisse, qui va devenir le « Château Cazin », est alors un véritable écrin pour un bonheur familial, « à l’endroit où le plateau terrien finit, pour insensiblement se transformer en dunes« , selon le témoignage de son ami et historien Henri Malo. Quelques années plus tard, après la mort de Cazin (1901), Guillemet écrit : « Ma rencontre avait l’ami Cazin m’avait permis de connaître, bien plus tard, Équihen, si chère à mon inspiration. Cette charmante localité de Picardie offre au visiteur une nature vierge, des landes immaculées et sauvages, battues par une brise continue. Équihen était pour moi un véritable havre de paix,[…] moi qui suis toujours en quête de pittoresque et de paysages dunaires ». Jusqu’en 1914, l’artiste présente plusieurs œuvres importantes, figurant des paysages marins croqués à Équihen. En marge des œuvres présentées au Salon, il laisse également nombre de vues équihennoises, des études de plein air, au petit format, réalisées sur panneau de bois, au trait simplifié servi d’une touche nerveuse.

La première œuvre qui atteste la présence de Guillemet dans le Boulonnais est « Chaumière à Équihen« , montrée au Salon d’art de Lyon en 1903. Après ce tableau, non localisé actuellement, l’artiste expose de nombreux sujets récurrents de dunes et de côtes de la région. Depuis la mort de Jean-Charles Cazin, il rend souvent visite à sa veuve Marie et se balade avec sa palette dans les garennes, à la recherche de sujets à croquer en plein air, à la manière de ses amis Impressionnistes. 

Trois toiles impressionnantes exécutées à Équihen sont conservées aujourd’hui au prestigieux musée d’Orsay. Elles révèlent les qualités techniques maitrisées par l’artiste : « Équihen » (Salon de 1907), « Lever de Lune » (acquis par l’État en 1914) et « Le Soir dans les Dunes à Équihen » (acquis par l’État en 1916). La plus petite, « Levée de Lune » (huile sur toile, 65cm x 92cm), montre un espace partagé entre un ciel bleu et une colline verdoyante. Sous une lune bienveillante, de petits chemins rejoignent trois quilles-en-l’air, blotties en hauteur. Scène silencieuse par excellence, cette œuvre, vide de personnages, semble animée par la seule lumière lunaire. Reprises dans plusieurs études, les quilles-en-l’air demeurent une curiosité pour l’artiste, tout comme à l’époque, pour le peintre Edmond de Palézieux (1850-1924). « Le Soir dans les Dunes à Équihen » offre un panorama dunaire divisé en son centre par un chemin, servi de camaïeux de verts et d’ocres. Le ciel accueille un croissant de lune qui se reflète au loin dans la mer, à peine visible, noyée entre deux massifs de sable. Peu abondants, la végétation et les arbres entament une courbe naturelle forcée par les vents prégnants. Perdues dans ce paysage poétique, aux frontières du Symbolisme, trois silhouettes à la peine rentrent de la moisson de la mer.

Réalisée en 1905, puis présentée au Salon de 1907, la « Falaise d’Équihen« , conservée au musée des Augustins à Toulouse, révèle la passion de l’artiste pour cette côte sauvage. Au premier plan, sur une moitié coupée en diagonale, la falaise, herbue et descendante, est servie d’un camaïeu de jaunes et de verts tendres. Des toits rouges vifs, typiques de la région, structure la scène et relève la palette chromatique sobre. Le ciel bleu, taché de gros nuages gris menaçants, amène un contraste et quelques touches lumineuses. Réduite à la portion congrue en contrebas, la mer se brise magistralement sur de sombres récifs. « La Vallée d’Équihen » est présentée au Salon de 1909, puis l’année suivante à l’Exposition Internationale de Bruxelles. Un groupe de femmes de pêcheur descend le long d’un chemin, face à la mer et au vent, pour regagner les maisons lointaines accrochées à la côte. Le tableau est conservé au musée Fabre à Montpellier.

En 1910, Antoine Guillemet participe aux expositions d’Art de Berlin et de Bruxelles et, malgré tout, présente au Salon de 1910 « Les Rochers d’Équihen« , huile monumentale (200cm x 130cm). Déjà acquise par l’historien Jules Adeline (1845-1909), conservée aujourd’hui au musée des Beaux-arts de Rouen, cette grande toile s’inscrit dans la continuité de son œuvre. Elle décrit une large côte rocheuse omniprésente, travaillée en relief, battue par les embruns marins. Au loin, on distingue les tuiles orangées des maisons abritées sur la crête. Traversant timidement ce paysage austère, un petit chemin longe la falaise et accueille quelques pêcheuses, esquissées avec leurs mannes (panier d’osier pour le transport du poisson) et leurs coiffes traditionnelles. Le ciel et la mer, mouvementé et agitée, agrémentent l’ensemble.

D’autres scènes plus champêtres se manifestent dans l’œuvre équihennoise de Guillemet, par de grandes toiles qu’il envoie au Salon, ainsi que par des études plus modestes de la campagne, de ses masures et de ses moulins. Du « 15 au 20 avril 1914, après une promenade le matin« , Antoine Guillemet fait un dernier passage à Équihen, où il laisse plusieurs études de la côte, son sujet de prédilection, dans une ambiance de plus en plus évocatrice.

Depuis sa découverte d’Équihen dans les années 1890, la passion d’Antoine Guillemet pour cette côte sauvage ne faiblit pas, et semble même grandir au fil des ans. Loin des vicissitudes de la vie quotidienne et des tracas parisiens, Guillemet vient chercher à Équihen un havre de paix propice à une inspiration féconde. Certes, les sujets sont récurrents, répétitifs, mais la poésie de l’exécution est toujours prégnante. Portée aux nues, la Nature est glorifiée dans son simple appareil, les éléments naturels apparaissent puissants et rudes, alors que la figure humaine, souvent des matelotes écrasées par le poids de paniers disproportionnés, semble anecdotique, presque absente.

Dans son œuvre, le superflu disparaît pour rendre à la Nature son seul impact. Servi par des détails précis et des couleurs sereines, dans un cadrage presque photographique, les tableaux de Guillemet se jouent de jeux d’eau, d’air et de lumière qui apportent un sentiment de pureté du monde. A la fois sobre et complexe, l’œuvre de Guillemet se montre discret par sa maîtrise et attachant par sa composition, toujours émotive. Si la Normandie a maintes fois reconnu et consacré ce grand peintre paysagiste, la Côte d’Opale doit se souvenir de cet artiste authentique qui a cheminé sur les pentes escarpées d’Équihen durant une bonne dizaine d’années. Antoine Guillemet reste aussi le témoin et l’acteur privilégié de l’époque des bons artistes, qui ont marqué et marquent toujours et encore la grande histoire de l’art.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Paul Hallez (1872-1965) – pêcheurs et vérotières à la Belle-Époque

A la fin du 19ème siècle, le Boulonnais est devenu une région tout entière vouée à la pêche. Si le port de Boulogne s’inscrit dans la grande pêche industrielle, les petits havres voisins, de Wissant à Berck-sur-mer, pratiquent une activité plus traditionnelle, marquée par les petits métiers. Différents par nature, ces deux « paysages maritimes » se côtoient et sont source d’inspiration pour nombre d’artistes, venus retranscrire ces atmosphères très pittoresques. L’un d’entre eux, fils d’un professeur d’océanographie établi à Le Portel, est séduit dès le début de son parcours par cette peinture de bord de mer. Pourtant d’origine lilloise, Paul Hallez va croquer avec passion la vie des quais et des plages, à Boulogne mais aussi dans les petits villages environnants, notamment à Le Portel. Formé à l’école académique dans les années 1890, l’artiste s’en détache quelque peu et adopte un style plus libre, très coloré, mais où le dessin garde sa place première. Artiste à la longévité exceptionnelle, Paul Hallez reste à l’écart des courants artistiques novateurs de son temps. Bien que sa carrière boulonnaise s’avère brève, suivie par un départ précoce en Corrèze, l’œuvre de Paul Hallez demeure un témoignage précis et esthétique d’une époque aujourd’hui révolue. Il laisse une création d’une variété et d’une qualité impressionnantes, enveloppée d’un sobre « naturalisme marin ».

Paul Antoine Joseph Hallez est né à Lille le 27 janvier 1872, de Paul Marie Hallez, étudiant lillois en pharmacie âgé de 25 ans, et d’Adèle Berthélémy. Viendront ensuite une fille, Antoinette, et deux fils, Pierre et Louis. En 1878, Paul Marie Hallez soutient sa thèse à partir des travaux effectués à la station marine de Wimereux. Professeur à la chaire de zoologie jusqu’en 1906, succédant à Alfred Giard, puis professeur à la chaire d’embryologie jusqu’en 1919, il est le fondateur du laboratoire de biologie marine de Le Portel (mai 1888). Bénéficiant de bâtiments neufs, à proximité de fonds marins variés, Paul Hallez va produire de nombreuses recherches et publications. C’est dans ce contexte familial protégé, à la fois intellectuel et baigné par les embruns, que va grandir le jeune Paul Antoine Hallez. Partagé entre Lille et la côte boulonnaise, Paul Hallez est donc marqué, très jeune, par cette proximité avec la mer.

Enfant, Paul Hallez montre déjà des prédispositions pour le dessin. Son milieu familial contribue à l’éveil de sa vocation, car l’art est ancré dans la famille depuis plusieurs générations. Pour son métier, son père réalise de nombreuses planches des animaux peuplant les fonds marins, à la fois précises et délicates, pour ses études universitaires. Son grand oncle, Louis-Joseph Hallez, né à Lille le 25 novembre 1804, est illustrateur de livres religieux pour les éditions Manne, installées à Tours. Par sa mère, Paul Hallez descend également de Jean-Baptiste Carré de Malberg (1749-1835), auteur et illustrateur d’un atlas réputé et de traités de cosmographie. Après l’école primaire, Paul Hallez s’engage dans de brillantes études secondaires. Bien qu’il ne fasse pas médecine, son père lui accorde le droit de partir, après le baccalauréat, à l’École des Beaux-Arts. Il rejoint tout d’abord l’atelier lillois de Pharaon de Winter (1849-1924), le maître flamand de l’époque. Directeur des cours de dessin et de peinture à l’École des Beaux-Arts depuis 1887, Pharaon de Winter inculque le « beau métier » à Paul Hallez. Portraitiste accompli, il apprend à son jeune disciple l’importance de saisir l’âme de son modèle, pour aboutir à un art intime et accompli.

De novembre 1893 à septembre 1894, il fait son service militaire. De retour à la vie civile, il parachève sa formation dans l’atelier de Léon Bonnat (1833-1922). Professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris depuis 1880, puis membre de l’Académie des Beaux-Arts l’année suivante, et enfin directeur de l’École des Beaux-Arts en 1905, Léon Bonnat est l’un des grands maîtres classiques, portraitiste couru de la bonne société et des politiques de la Belle Époque (Léon Gambetta, Jules Ferry, Adolphe Thiers). De nombreux artistes passent entre ses mains : Gustave Caillebotte, Georges Braque, Raoul Dufy, Henri de Toulouse-Lautrec, Abel Bertram. Paul Hallez y reçoit un enseignement issu d’une longue tradition académique française, où le dessin prévaut sur la couleur et la lumière. Chaque œuvre est pensée et travaillée en atelier, rien n’est spontané : on est bien loin de l’esprit impressionniste naissant. En 1896, Paul Hallez reçoit un premier prix d’atelier. Admis à concourir pour le prix de Rome, il y présente une grande composition classique, illustrant les thèmes biblique et historique grandiloquents, demandés par l’épreuve : « Jérémie pleurant sur les ruines de Jérusalem ».

Encore étudiant aux Beaux-Arts, Paul Hallez est déjà bien intégré dans le milieu artistique de sa région. Après la première exposition tenue au Palais Rameau à Lille, du 16 février au 10 mars 1890, le groupe des 37 artistes exposants fonde la Société des Artistes Lillois. Parmi eux, aux côtés de Pharaon de Winter et de Paul Lefebvre, Paul Hallez participe à cette nouvelle aventure. Il deviendra d’ailleurs le vice-président de cette Société de 1936 à 1940, puis le président de 1940 à 1949, et enfin le président d’honneur de 1950 à 1964. Fidèle, il y expose, sans discontinuité, pendant 69 ans, de 1895 à 1963.

A l’exposition annuelle des artistes lillois de 1895, Paul Hallez montre au public « Le Retour de Pêche« , sujet maintes fois repris par des peintres comme Georges Maroniez, Charles Roussel et Francis Tattegrain. Cette même année, il reçoit une grande médaille d’argent au concours Wicar, décernée par la Société des Sciences et des Arts de Lille. Puis, en 1897, c’est la consécration : il obtient ce prix Wicar avec une médaille d’or, destinée à « encourager les efforts et les progrès de cet artiste laborieux et consciencieux, qui a envoyé dix études, méritantes à degrés différents« . C’est à cette époque que Paul Hallez réalise ses premiers portraits, avec une facilité déconcertante. L’artiste est gratifié de nombreux compliments sur son art naissant : en mars 1897, Jules Duthil de « La Dépêche » note « qu’il y a dans ce jeune peintre un incontestable talent, beaucoup de facilité de savoir« . Mais l’académisme « colle » encore à son travail car il « s’oublie un peu dans l’admiration successive des maîtres à la mode, et il en reste quelque chose dans sa peinture« . Son portrait d’une « Vieille Mendiante » est qualifié de « sainement réaliste« .

En 1898, Paul Hallez vit sa dernière année à Paris, où il habite rue du Cherche-Midi, quartier très cossu proche des jardins du Luxembourg. Cette année-là, il présente au Salon des Artistes français une œuvre intitulée « Fillette du Portel« , montrant une jeune fille en costume traditionnel, installée sur la plage, empreinte d’accents sentimentalistes. Cette toile est également exposée avec « Vieille Mendiante » et « Pêche aux Moules » (pastel) au Salon de la Société des Artistes Lillois. Le pastel est finalement acquis par la Société populaire des Beaux-Arts. Il laisse également de nombreux dessins réalisés à Audresselles et à Équihen. Dans ses œuvres, l’artiste rend l’atmosphère émouvante grâce à l’usage de ciels crépusculaires, qui bénéficient de multiples nuances rosées.

Revenu à Lille, l’artiste s’installe chez ses parents au 58 rue Jean Bart, dans une maison bourgeoise près du centre, jusqu’en 1903. A l’exposition de Roubaix en 1900, apparaît une nouvelle diversité dans les sujets présentés. A côté des pêcheurs et des matelots, Paul Hallez croque les rues et les bâtiments de Lille, notamment la basilique Notre-Dame de la Treille, « s’élevant en sombre sur les maisons ensoleillées et dorées du fond« . En février 1901, il présente deux toiles au Salon des Artistes français à Paris, toujours dans la même veine : « Brodeuse » et « Portrait de Jeune Fille« . Manque de succès ou faible envie de s’imposer dans la capitale, Paul Hallez ne soumettra plus ses œuvres au Salon et se consacrera dès lors aux expositions nordistes. Quelques mois plus tard, à l’Exposition des Artistes Lillois, tenue au Palais Rameau, il y présente neuf huiles et pastels, réitérant ses sujets préférés, marins avec « Retour de Pêche« , « Sur la Dune » et « Vieux Loup de Mer« , des portraits et des vues urbaines. Durant l’été 1901, le peintre participe à l’Exposition Internationale des Beaux-Arts de Boulogne-sur-mer (18 juillet au 15 septembre 1901), tenue dans les halls de la Chambre de Commerce, aux côtés de Francis Tattegrain, Victor Dupont, Georges Ricard-Cordingley, Charles Roussel, Fernand Stiévenart, Alexandre Houzé et le couple Demont-Breton. Il y présente trois marines, dont « Retour de Pêche le Soir à Étaples » (musée de la Marine à Étaples). Dans cette grande toile, l’artiste use et abuse de coloris chatoyants, dominés par des roses orangés, si typiques des ciels couchants du Nord. Sur le quai, les matelotes en costumes traditionnels et leurs enfants accueillent les marins et leurs navires chargés de poissons.

Parfois, son travail provoque auprès de la critique des avis divergents. Dans « Le Progrès du Nord« , son « Vieux Loup de Mer » est particulièrement apprécié, car les « physionomies de ses mathurins sont des plus expressives. L’effet crépusculaire est bien traité, l’enfant cherchant à aider le vieux marin virant au cabestan, en unissant ses efforts aux siens, donne une note pittoresque à une œuvre réussie« . Dans « Europe Artiste« , « Hallez a un charme tout particulier pour présenter ses marines« . Mais l’abus de pittoresque, d’un style académique marqué, pèse encore beaucoup sur l’œuvre. Il montre des « toiles d’un impressionnisme déplorable« , selon le « Réveil du Nord« , si sévère, et qui n’a pas compris que le peintre dessine et travaille ses sujets « au scalpel« , en usant au minima des effets graphiques pour un rendu réaliste. En octobre 1901, il expose à Roubaix les mêmes sujets et rencontre le succès avec sa « Brodeuse« , « sujet traité un peu à la façon des vieux maîtres hollandais, ce qui donne énormément de relief à son personnage« .

Lors de la 15ème exposition des Artistes Lillois, tenue du 10 février au 16 mars 1902 au Palais Rameau, Paul Hallez montre davantage de toiles, plus ambitieuses, dont deux d’un grand format, ce qui est plutôt inhabituel pour le peintre. Aux côtés d’Alexandre Houzé et de Louis Sauvaige, Paul Hallez « nous présente, dans la note lumineuse qui lui est particulière, une série d’études prises à Boulogne et dans les environs, qui feront la joie de ses admirateurs« . Les deux grandes toiles, « La Barque Échouée » et « La Promise » (localisation inconnue) montrent des pêcheuses en costume traditionnel. « La Promise » arbore fièrement son soleil boulonnais et attend sur la plage, nonchalamment, en lisant une lettre.

Aboutissement de plusieurs études (dessins et huiles), « La Barque Échouée » domine les cimaises de l’exposition. Devenue épave, une barque échouée au nom évocateur de Notre-Dame-de-Boulogne est posée sur l’estran. Passant près des restes de cette coque à clins, deux pêcheuses animent la scène. Une pêcheuse, vêtue d’un châle et de jupons sombres, chaussée des fameux « patins » (chaussures ouvertes à petit talon), prend la pose avec sa manne (panier typique en osier) suspendue à son épaule. A ses côtés, portant la petite coiffe traditionnelle, une fillette tient un palot (petite pelle en fer), destiné à déterrer les arénicoles (vers de sable) utilisés pour les appâts. Elle regarde d’un air distrait l’amas de bois, qui fut autrefois une barque de pêche. A l’arrière-plan, à peine esquissés, des bateaux à voile occupent une mer calme surplombée d’un ciel encore clair, perturbé par le passage enfumé d’un navire à vapeur. Dans cette œuvre pittoresque, traitée dans une palette sobre usant de tons ocres et bleus, Paul Hallez travaille le sujet de manière académique, sans fioriture. Bien détaillés, les deux personnages restent néanmoins hiératiques et bien peu naturels. Seul le traitement du ciel, élégamment rosé, laisse échapper quelques timides libertés chromatiques. Si quelques notes d’un sentimentalisme contenu transparaissent dans les regards perdus des deux pêcheuses, l’ensemble montre une scène certes convenue, mais aussi solide, d’un épisode de vie de la marine boulonnaise.

Les autres petits formats, présentés à cette exposition, semblent bénéficier d’une approche plus libre. Servi par une palette claire et harmonieuse, le charmant « Ramasseur d’Épaves » (localisé à Le Portel) montre un enfant passant devant deux bateaux échoués. Davantage suggéré que dessiné, le personnage s’occupe à ramasser des bois abandonnés sur l’estran. Très répandue sur le littoral, cette activité apporte, pour les petites gens, les femmes et les enfants, quelques faibles revenus souvent indispensables. « Oh ! Hisse ! » et « A La Mer » sont les titres évocateurs d’œuvres enlevées, décrivant des scènes typiques de matelots et de leurs embarcations, déjà croquées par Edmond de Palézieux et Francis Tattegrain. Ces deux tableaux reçoivent une bonne critique qui les trouvent « largement peints et pleins de mouvement« . Créées au début du 20ème siècle, ces œuvres ne sont pas sans rappeler également les compositions de Charles Roussel. « La Barque Échouée » est similaire aux « Pêcheurs de Crevettes » de l’artiste berckois, montrant un couple de pêcheurs devant une épave. Les thèmes des petites pochades de Charles Roussel, qui décrivent des scènes de labeur maritime, sont identiques à ceux choisis par Paul Hallez. Francis Tattegrain, Eugène Chigot, le couple Demont-Breton et bien d’autres exploitent également la veine du « naturalisme marin« . Et chacun connaît alors un parcours et une reconnaissance du public.

Le 22 juin 1902, Paul Hallez est nommé professeur de dessin à l’école des sourds-muets de Ronchin en remplacement de M. Perdreau. A cette époque, durant l’été, Paul Hallez part en Corrèze travailler ses toiles boulonnaises mais aussi, de plus en plus, de sujets du Limousin. En août 1902, il participe à la colonie d’artistes de Treignac où, « peintre bien connu des falaises boulonnaises, il choisit cette année-là notre pays comme champ d’études« . Une « Rue de Treignac » est acquise par le musée de Tulle en 1904. L’exposition des Artistes Lillois de 1904 est toujours un succès, mais Paul Hallez montre déjà des signes de faiblesse dans les sujets qu’ils traitent. Dans « La Vie Lilloise« , le critique Jean Douzy loue « son étude très fouillée du maître jardinier Saint-Léger. […] Mais quel dommage de voir Paul Hallez s’égarer dans une composition comme « Les Lavandières », où son inspiration s’essouffle« . Par contre, sa grande toile de Le Portel est « d’une belle composition et d’une couleur chaude et discrète« . C’est « un peintre de genre distingué et émérite« . Plus que jamais, toujours hermétique aux nouvelles expériences artistiques, en pleine effusions fauvistes, Paul Hallez pratique le « beau métier » des anciens maîtres, au dessin juste et précis, aux coloris sobres et réalistes.

Lors du Salon lillois de 1905, Paul Hallez se renouvelle. Il y présente six portraits, très bien accueillis, dont une « Fille de Bohème« , « aux chairs admirables et à la tête très expressive, supérieurement brossée« . En 1906, l’artiste accroche aux cimaises du Salon des portraits et des scènes d’intérieur, aux côtés de marines anciennes. Au Salon de 1907, toujours tenu au Palais Rameau, les sujets maritimes sont omniprésents et lassent le public et les critiques. Plus que jamais, Paul Hallez s’avère être un bon observateur des gens de mer et de leur travail, mais « il est un peu trop maussade et fait preuve d’une recherche souvent attrayante, mais poussée quelque peu à l’extrême« . Son art, toujours juste, devient parfois ennuyeux et vieillissant, notamment dans les grandes compositions. Les pochades et autres dessins bénéficient d’une facture plus libre et plus moderne. Les années suivantes se ressemblent, partagées entre des sujets maritimes, des portraits et des paysages du Limousin.

Durant les années 1900-1910, l’artiste continue à explorer la France et participe aux Salons de Roubaix (1900-1901), d’Angers (1901 à 1908), de Monte-Carlo (1902), de Douai, de Boulogne-sur-mer, de Nantes, de Limoges (1904), d’Arras, de Tournai et de Namur (1907). Dès lors, Paul Hallez diversifie son œuvre au gré de ses voyages, et peint des vues urbaines et campagnardes. A Boulogne, il croque le port avec le quai Gambetta et ses marins, la jetée et ses élégantes, la vieille-ville avec sa « Rue d’Aumont » (1906) réalisée dans des tonalités chatoyantes, tout comme deux vues des environs de la jetée à Le Portel. Il produit aussi des vues lilloises, notamment « Le Théâtre incendié de Lille » (1903) et d’autres monuments, sources iconographiques aujourd’hui précieuses. Il laisse du Nord des vues enneigées de Bruges, présentées à Arras (1904). Enfin, toujours portraitiste apprécié, il peint le docteur Paquet, médecin-major du bataillon des canonniers de 1870 à 1879, qui enrichit les collections du Musée des Canonniers Lillois en 1904.

En 1910, un tournant s’opère dans la vie et l’œuvre de Paul Hallez. A 38 ans, il épouse Fernande Dunaigre, seconde fille du notaire de Saint-Setiers en Corrèze. Rencontré en 1902 à Treignac, lors de sa première venue, le mariage a lieu le 23 août 1910 dans des fastes vantés par la revue « Les Beaux Mariages Limousins« . Pratiquant la peinture sur porcelaine, Fernande reçoit les conseils de son « maître-époux« . Ils exposeront ensemble. En 1911, l’artiste achète une maison au 24 rue Duhem à Lille, qu’il occupera jusqu’à sa mort. L’année suivante, le couple voit la naissance de Marie-Antoinette, puis de Jeanne en 1913. Dès lors, les vues du Massif Central prennent une place prépondérante : « Routes Ensoleillées en Corrèze« , « Soir dans les Pacages du Plateau de Millevaches » ; les sujets boulonnais deviennent plus rares. La palette de l’artiste prend également une nouvelle dimension, plus colorée et lumineuse. Les œuvres deviennent plus enlevées et dynamiques.

Malgré ce changement de vie, Paul Hallez reste professeur à Lille, et rejoint la Corrèze pendant les deux mois d’été. Passionné par la photographie, il profite de la période scolaire pour prendre en photo, sur plaques de verre, les quais boulonnais, les gens de mer et leurs bateaux. Puis, pendant les vacances, il projette dans sa propriété corrézienne, sur un grand drap tiré, ces prises marines. Toujours dans la recherche d’une vérité indiscutable, Paul Hallez construit ses compositions en prélevant sur ces clichés plusieurs éléments, qu’il recompose ensuite dans ses tableaux. Nanti d’une palette plus lumineuse, son œuvre s’affranchit quelque peu des scléroses académiques. Quand la Première guerre mondiale éclate, Paul Hallez rejoint Dunkerque (25 juin 1915), où il croque à souhait les endroits qu’il traverse. En septembre 1916, il est au cœur des combats près de Lunéville. Sa maison lilloise est occupée et saccagée par les Allemands, qui emportent nombre de petites toiles et en détruisent d’autres trop grandes pour être emportées, comme « Jérémie sur les Ruines de Jérusalem« , crevée d’un coup de baïonnette.

La paix revenue, l’artiste continue sa carrière, partagé entre la Corrèze et le Nord. En 1921, il devient sociétaire des Artistes Indépendants et des Artistes français. Son art continue son évolution, s’amende grâce à l’emploi de verts tendres, de mauves et de roses orangés plus toniques. En février 1928, dans la salle de lecture des magasins Boka à Lille, Paul Hallez montre 64 œuvres, dont seulement six lilloises et aucune marine. Fernande expose à ses côtés. L’expérience est répétée en janvier-février 1929 à la galerie Bleue à Lille, avec 74 travaux, dont un seul « Coin de Boulogne« . En octobre 1933, la galerie Montsallut accueille 41 peintures, toutes de la Creuze ou de Champagne. Les expositions collectives se poursuivent, associant maintenant Marie-Antoinette, la fille du couple, dont une importante à Lille en 1936. Dans la débâcle de 1940, la famille demeure à Lille dans la pénurie et l’inquiétude. La vie reprend son cours à la Libération. En 1950, déjà âgé, Paul Hallez présente sa dernière exposition dans une galerie lilloise. Il peint jusqu’à sa mort survenue le 7 octobre 1965 à Limoges, chez sa fille.

Durant sa longue carrière, Paul Hallez parcourt et croque à l’envi la Côte d’Opale. A partir d’un travail photographique repris en atelier, il laisse environ un millier d’œuvres. Héritier de la tradition, imperméable à tout courant avant-gardiste, il n’expose pas aux Salons des Indépendants ou d’Automne à Paris. Paul Hallez ignore aussi la modernité de l’École d’Étaples emmenée par Henri Le Sidaner et Eugène Chigot, ou encore le Groupe de Wissant rassemblé autour du couple Demont-Breton. De plus, les musées ont peu acquis ses œuvres, excepté à Lille (mairie, musée des Canonniers) et dans le Limousin. Aussi, sa notoriété, pourtant importante de son vivant, est aujourd’hui devenue bien faible. Sa vocation artistique n’est pas expérimentale : elle s’inscrit dans l’observation du monde maritime et sa représentation, la plus juste possible, par la peinture à l’huile, l’aquarelle et le pastel. Les effets de style sont limités à l’usage d’une palette colorée, qui se libère peu des contraintes académiques, et à quelques notes d’un sentimentalisme contenu. Des bleus et des roses, typiques de son style, s’épanouissent dans des crépuscules éclatants. Mais, toujours, le dessin domine le sujet.

Dans la « Revue Moderne« , en juillet 1914, un critique retrace la carrière de Paul Hallez et en résume bien l’art : « Les principales qualités de ce peintre sont la sobriété et la force, l’élégance et la simplicité. C’est un coloriste d’une rare hardiesse qui sait toujours rester dans les bornes d’un goût parfait. Dans ses paysages, aussi bien que dans ses marines, portraits, intérieurs et scènes de genre, Paul Hallez sait, au moyen d’un métier parfaitement su et d’une facture toujours appropriée au motif choisi, rendre avec force les émotions diverses suscitées en lui par les aspects divers de la nature et leurs multiples significations« . Comme beaucoup d’autres artistes de son temps, Paul Hallez exploite le « naturalisme marin » en vogue à l’époque, inspiré par les côtes, les ports et les gens de mer du Boulonnais.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Jules Adler (1865-1952) – regard social sur la marine vers 1900

Encore bien méconnu du grand public, sombré dans un injuste purgatoire à l’instar de nombreux « petits maîtres » du début du 20ème siècle, Jules Adler connaît aujourd’hui un certain regain d’intérêt. De son temps, auteur de nombreuses commandes pour l’État, notamment pour les grands édifices publiques, Jules Adler a également livré une œuvre sociale, plus intimiste, qui lui vaut le surnom de « peintre des humbles ». Ces œuvres dédiées au monde ouvrier racontent la France des petits métiers sous la Troisième République, et dénonce la pénibilité du travail et la misère des plus pauvres. Ces sujets naturalistes se déclinent aussi sur la Côte d’Opale (Boulogne, Équihen, Étaples, Berck), lors de ses passages dans le Boulonnais dès la fin des années 1890 jusqu’aux années 30. Les scènes de quai, les groupes de matelotes et les marins au labeur décrivent le monde de la pêche où l’effort dessine les corps et marque les visages. Cette production sociale tranche singulièrement avec les œuvres plus décoratives, voire insouciantes, produites par nombre d’artistes de l’époque, d’un Georges Maroniez ou d’un Myron Barlow.

Jules Adler voit le jour le 8 juillet 1865 à Luxeuil. Ses parents sont des Juifs originaires d’Alsace et tiennent une boutique de tissus. La famille est composée de cinq enfants. A l’école, le petit Jules présente déjà des prédispositions au dessin. Lors du passage du député local, Gaston Marquiset, à son école en 1879, il se fait remarquer pour son aptitude artistique. Il intègre ainsi l’école municipale de Luxeuil pour développer son talent naissant. En 1882, il gagne Paris et s’inscrit à l’École des Arts Décoratifs avec ses deux frères. L’année suivante, Jules Adler devient l’élève du fameux maître William Bouguereau (1825-1905) et de Tony Robert-Fleury (1837-1911) à l’Académie Julian ; il la fréquente jusqu’en 1890.

En 1884, il réussit le concours de professeur de dessin. L’année suivante, il participe pour la première fois au Salon des Artistes français en y présentant un portrait (dessin). Il se partage entre Marseille, où vivent ses parents, et Concarneau, station balnéaire des artistes. De 1888 à 1891, Jules Adler montre au Salon essentiellement des portraits, très appréciés du public, et des scènes de genre dont « Misère » (1891). Ensuite, les commandes de l’État s’enchainent autour d’œuvres emblématiques, comme « La Rue » (mention Honorable en 1893) destinée au musée de Castres, et « Faubourg Saint-Denis au Matin » (Salon de 1894), dont le succès lui permet d’obtenir une bourse de voyage.

Deux années durant, Jules Adler part en pérégrination artistique à travers la France. Il nourrit son art et s’affirme comme peintre naturaliste et moderne, en vogue à cette époque. A son retour, les expositions s’enchainent : le tableau « Joies populaires » (1898) lui fait remporter une médaille de deuxième classe. Son œuvre entre au musée du Luxembourg en 1899 grâce à « Mère », dont « l’aspect un peu sombre n’attire pas le regard mais le retient » (Barbedette, biographie de l’artiste, page 51). Sa peinture sociale devient prégnante avec « L’Homme à la Blouse » qui reçoit une médaille d’argent à l’Exposition universelle de 1900.

A partir de cette période, sa veine artistique semble s’attacher à dépeindre essentiellement les scènes de rue, les hommes au travail, les petites gens dans leur peine quotidienne. Il s’inscrit alors comme « le peintre des humbles ». La presse de gauche, républicaine, s’intéresse à son travail qui décrit sans mièvrerie la misère et la souffrance du peuple laborieux. « La Soupe des Pauvres » en 1906 est emblématique de cet aspect, où femmes, enfants et vieillards dans leurs livrées sombres arborent des visages marqués, éclairés dans la pénombre, afin de souligner davantage la tragédie humaine.

A l’instar de Lucien Jonas (1880-1947), le pays de la mine retient également l’attention de Jules Adler et notamment les mouvements sociaux et syndicaux, nombreux à l’époque. Présentée en 1899, « La Grève au Creusot » illustre cet intérêt. Dans cette toile aux dimensions immenses (231cm x 302cm – musée de Pau), la marche des mineurs massés avec leurs familles impressionne, les visages graves aux traits expressifs animent l’œuvre, et les drapeaux tricolores s’affichent presque réduits à la couleur rouge, révolutionnaire.

En 1911, la présentation de « Gavroche » marque un tournant dans sa carrière. La couleur est prégnante dans ce marché aux fleurs que traverse l’enfant. Les visages des autres figurants sont radieux, joyeux, et donnent une teinte plus commerciale à l’ensemble. L’arrière-plan est traité par petites touches claires, presque impressionnistes. La presse accueille avec bonheur cette peinture agréable. C’est aussi en juillet de cette année que Jules Adler épouse Céline Brunschwig (1871-1952).

« Gros Temps au Large, Matelotes d’Étaples », toile présentée au Salon des Artistes français de 1913, inscrit Jules Adler dans la mouvance des « peintres régionalistes », prompts à décrire les mœurs et coutumes, les conditions de travail, les traditions et les paysages rencontrés dans les contrées françaises. En 1914, il expose « Retour de Pêche » avant d’être mobilisé par la Grande guerre. Durant le conflit, il organise une cantine place Pigalle, et réalise de nombreuses affiches pour encourager les emprunts d’État. Au sortir de la guerre, il montre ses toiles dans la galerie d’Édouard Devambez, puis voyage en Creuse où il rencontre le peintre Armand Guillaumin (1841-1927).

Depuis 1919, Jules Adler siège au comité d’organisation de la Société des Artistes français. Il démissionnera en 1940, suite aux pressions exercés contre les Juifs. En 1923, il est promu au grade d’officier de la Légion d’Honneur. En juillet 1929, il devient professeur de dessin à l’École des Beaux-Arts. Puis, en 1934, il est nommé au Conseil supérieur de l’enseignement des Beaux-Arts : la consécration de sa carrière. En marge du Salon des Artistes français, le peintre accepte d’exposer au Salon des Tuileries, quelque peu plus moderne et moins traditionnel. Dans les années 1920-1930, Jules Adler présente chaque année des œuvres décrivant des scènes parisiennes, très colorées et appréciées du public, ainsi que des portraits de paysans (Limousin, Franche-Comté). En 1933, un musée est inauguré dans sa ville natale. Luxeuil accueille le « Musée Jules Adler », parrainé par le président du Sénat, Jules Jeanneney (1864-1957). En 1940, l’établissement thermal de Luxeuil reçoit ses fresques décoratives, qui seront entièrement posées en 1945.

La guerre 39-45 n’épargne par l’artiste de confession juive lors de l’invasion allemande. En 1942, son neveu est arrêté et déporté, pour mourir à Auschwitz. En mars 1944, Jules Adler et son épouse sont dénoncés, arrêtés, et internés dans un ancien hôpital rue Picpus à Paris. A la Libération, très diminué, l’artiste retrouve le Salon et ses expositions. Le musée de Luxeuil est remis en état. Jules Adler s’éteint le 11 juin 1952 à Nogent-sur-Marne, dans sa maison de retraite. Son ancien élève, Jean-Dominique Domergue (1889-1962), le fameux peintre des mondaines parisiennes, prononce son éloge funèbre.

A la fin des années 1890, Jules Adler vient sur la Côte d’Opale et parcourt le littoral à la recherche de sujets pittoresques, comme beaucoup d’artistes avant lui. Les sujets figurant des scènes de quai animés de pêcheurs laborieux et de matelotes actives l’intéressent. Mais au-delà de la simple description, certains tableaux prennent une ampleur militante et sociale. Les attitudes des uns et les visages marqués des autres invitent le spectateur à s’interroger sur la pénibilité de la vie des sujets représentés et sur les progrès sociaux à entreprendre ou à confirmer. Ces « messages socialisants » de Jules Adler, adressés au public mais aussi aux autorités qui achètent ses œuvres de Salon, s’inscrivent dans l’idée de progrès promue par la Troisième République.

L’enfance apparaît dans le travail de Jules Adler dès 1898, à travers « Garçon sur la Plage de Berck » (huile sur toile, 36cm x 50cm, conservée au musée de Berck). Dans ce portrait, un jeune enfant, au regard perdu, presque fataliste de son destin de marin, pose en habit traditionnel devant la plage. Le bonnet berckois (le balidar) vissé sur sa chevelure flavescente inscrit la scène dans une veine régionaliste. A l’arrière-plan, esquissé dans des couleurs pastel, l’échouage des bateaux de pêche fait face aux matelotes qui attendent le produit de la marée.

Après un passage en Bretagne et notamment à Douarnenez, au tournant du siècle (1900-1903), Jules Alder revient à Boulogne croquer la vie maritime. Il y passe ses étés jusqu’en 1913. En 1904, il laisse des études sur bois notamment « Boulogne » (huile sur bois, 25cm x 40cm, conservée au musée d’Ipswich), où deux enfants présentés de dos regardent le port au soleil couchant. L’année suivante, il réalise « Les Femmes de marin sur les quais du port de Boulogne » (huile sur carton, 40cm x 50cm, musée de Dole). Particulièrement animée et très dynamique dans sa construction, la scène montre des groupes de femmes déambulant sur le quai, à la manière des manifestations qu’il affectionne. A l’arrière-plan, dans des tons plus doux et dans une touche évanescente, les grands bâtiments du quai font office de décor. Traduit dans des tons assez neutres, servi par un camaïeu de gris et de verts, l’ensemble de la palette est simplement relevé par la rousseur des chignons et des tabliers des matelotes. En 1906, l’artiste revient peindre la vie boulonnaise à travers une série d’études, dont « Le Port de Boulogne » (huile sur carton, 40cm x 56cm, musée de Lausanne), figurant un groupe de matelotes et de pêcheurs revenant de la pêche, annonçant son tableau de 1914, « Retour de Pêche à Boulogne ».

Présentée en 1908, « Pêcheuse de Crevettes » (huile sur toile, 130cm x 97cm, musée de Saint-Quentin) marque un retour aux œuvres plus classiques, au style naturaliste apprécié par le public, où le trait et le dessin s’avèrent plus structurants. Au premier-plan, une pêcheuse se dresse, tenant son filet roulé, et renforçant ainsi le « format portrait » de l’œuvre, tout en hauteur, au cadrage presque photographique. Le regard sévère, elle pose en habit traditionnel, avec sa jupe et son caraco marron capucin, et la calipette posée sur la tête. Derrière elle, se tient un groupe de matelotes à peine esquissées. L’arrière-plan est servi par le quai et ses bâtiments, baignés d’une lumière douce, qui contraste avec les personnages.

En marge d’une série de petites études et de dessins au carnet qu’il produit chaque été sur le motif, Jules Adler renoue avec les grandes toiles aux accents tragiques. En 1912, il expose « Gros temps au Large, Matelotes d’Étaples » (huile sur toile, 211cm x 196cm, musée du Petit-Palais à Paris), et s’affirme dans son goût pour la peinture événementielle, qui rassemble des groupes humains. Au premier regard, le spectateur est saisi par cette rangée de visages sévères, marqués et angoissés. Les mères, aux regards sombres, scrutent l’horizon, inquiètes de ne pas voir revenir les frêles embarcations de leurs maris pêcheurs face à la tempête. Une « veuve dont la mer avait pris le mari et les trois enfants » inspire Jules Adler pour son sujet central (Barbedette, biographie de l’artiste, page 57). Présentée toute de noir vêtu, cette femme semble symboliser la douleur, la fatalité, le deuil inéluctable, à l’instar du sujet des « Tourmentés » présenté en 1905 par Virginie Demont-Breton, à la suite d’une terrible tempête survenue à Wissant (huile sur toile, 141cm x 212cm, Palais des Beaux-Arts de Lille). Les enfants, tout aussi tristes, participent malgré eux à cette angoisse collective. La palette sombre, réduite à quelques couleurs, fait contraste avec les façades claires et les toits colorés des maisons alignées sur le quai. Attroupé autour du calvaire, le reste de la population du village participe à cet « effet de masse » et renforce l’anxiété collective mortifère.

Présenté en 1914, « Retour de Pêche à Boulogne » est emblématique de la production naturaliste et sociale de l’artiste. Acquise par l’avocat et industriel argentin Tomás de Estrada, cette imposante toile (201cm x 281cm) est conservée aujourd’hui au musée national des Beaux-Arts d’Argentine à Buenos Aires. Cette scène de quai présente un groupe d’hommes et de femmes épuisés, revenant de la pêche. Deux d’entre eux n’ont pas encore eu le temps de retirer leurs grandes bottes de pêche (les houssiaux), et la matelote, le dos cassé par la charge, peine à porter sa manne remplie de poissons. Malgré une fatigue prégnante, il s’agit d’aller vite pour vendre le produit de la marée. L’artiste a particulièrement travaillé les visages, burinés par la mer et le soleil, et les mains des hommes, rendues rugueuses par le sel et le labeur. La présence des enfants sur le quai rappelle le travail imposé, dès le plus jeune âge, dans le monde de la Marine. Ce groupe humain semble ainsi subir une vie quotidienne harassante, de manière presque fataliste. A l’arrière-plan, seul le quai Gambetta et les façades lumineuses des grands hôtels apportent un relief décoratif à l’ensemble. Essentielle dans la carrière de l’artiste, cette œuvre s’inscrit dans sa série « d’instantanés urbains », dans lesquels Jules Adler saisit les travailleurs sortant du travail, de l’usine, lors de fêtes ou de manifestations.

Après la Grande guerre, les sujets boulonnais se font plus rares, Jules Adler se concentrant sur la région parisienne, l’est de la France et Luxeuil. On peut retenir néanmoins « Enfants devant le Port de Boulogne » (huile sur toile, 60cm x 50cm, musée du Prado, Madrid), présenté en 1920, qui est une reprise du tableau de 1904. Deux jeunes enfants hiératiques, debout sur le quai, contemplent le quai Gambetta, ses grands bâtiments aux façades claires, et les rangées de bateaux à vapeur, dont le rouge des cheminées rompt le camaïeu de gris et de bleus de l’ensemble. Ce choix de prendre les quais et leurs grands bâtiments comme véritable « décorum » rappelle l’œuvre d’Edmond de Palézieux (1850-1924), qui excelle d’ailleurs également à représenter des marins au travail ou pris dans la tempête.

L’œuvre boulonnaise s’achève avec le portrait de « Mousse, Boulogne-sur-Mer » réalisé en 1935 (huile sur carton, 72cm x 60cm, musée de Saint-Quentin). Planté devant les bâtiments clairs du quai et les haubans qui rayent verticalement l’espace, le jeune enfant rappelle le « Garçon sur la Plage de Berck », peint presque quarante plus tôt : ces deux œuvres commencent et clôturent ainsi la carrière de notre peintre. Dans une touche très sobre, Jules Adler interpelle néanmoins le spectateur par le regard fixe de l’enfant, et par ses (trop) longs bras ballants, qui s’alignent tout le long de la toile, soulignant la fatigue déjà prégnante du futur matelot.

Malgré les nombreuses commandes de l’État, la reconnaissance de son vivant et la présence muséale de son œuvre, Jules Adler, comme beaucoup de « petits maîtres » est tombé rapidement dans un certain purgatoire. Depuis une quinzaine d’années, avec le retour en grâce de cette peinture sociale et naturaliste, initiée sous la Troisième République, l’artiste se fait à nouveau connaître. En marge de son travail parisien et provincial, sa peinture boulonnaise s’avère intéressante à plusieurs titres. Elle couvre une quarantaine d’années et dénonce le dur labeur de ce peuple de la mer, dont la vie modeste est traversée par les tempêtes et la précarité. Attentif aux lumières et aux couleurs, Jules Adler échappe donc à la simple description folklorique. Si son ambition est militante, l’artiste n’en n’oublie pas cependant le caractère pittoresque de la Marine boulonnaise, en croquant toujours justement les moindres costumes et attirails propres aux matelotes et aux pêcheurs de notre région. A travers cet œuvre régionaliste engagée, Jules Adler rappelle que l’Humain est soumis à un déterminisme social et local, qu’il soit mineur ou pêcheur.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Jean-Charles Cazin (1841-1901) – promenade intimiste dans les Dunes d’Équihen

Depuis trop longtemps, le nom Cazin évoque chez les Boulonnais le lycée éponyme, installé depuis longtemps en basse-ville. Bien que Jean-Charles Cazin soit un peintre reconnu de son vivant, il est de nos jours ignoré du grand public, de l’actualité artistique et des intérêts muséaux. Pourtant célébré depuis sa mort par les Américains puis, plus récemment, par les Japonais, qui apprécient sa vision artistique inclassable, les Français ont oublié son œuvre régionaliste, historique ou biblique. Trop souvent, ses tableaux croupissent lamentablement sous la poussière des réserves des musées. A l’instar des Écoles d’Étaples, de Berck et de Wissant, « retrouvées » puis étudiées, et dont  les artistes  sortent d’un injuste purgatoire depuis une trentaine d’années, il est grand temps de redécouvrir « Jean-Charles Cazin, maître intimiste des dunes et des ciels boulonnais« .

Né à Samer le 25 mai 1841, Jean-Charles Cazin grandit dans une famille de la petite bourgeoise. Son père, François-Joseph Cazin (1788-1864), est chirurgien et médecin de marine sous Napoléon. Il est aussi l’auteur d’un imposant « Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes« , considéré comme l’initiateur de la phytothérapie médicale. Son frère aîné, Henri (1836-1891), fait médecine et devient un éminent chirurgien. Il développe plus tard les hôpitaux berckois et les cures thermales.

Jean-Charles suit une voie toute différente et s’écarte de la tradition familiale. En 1846, alors âgé de cinq ans, sa famille quitte Samer et s’installe à Boulogne-sur-Mer. Il poursuit ses études au collège de la ville, sur les mêmes bancs que les frères Coquelin et que le peintre animalier et paysagiste Henry Bonnefoy (1839-1917), puis passe son baccalauréat à Lille. Montrant déjà de bonnes dispositions pour le dessin, on le destine peut-être à devenir architecte, mais finalement Cazin choisit les Beaux-Arts. En 1862, il intègre l’École de dessin d’Horace Lecocq (1802-1897), « petit maître » qui développe une méthode novatrice de l’apprentissage du dessin de mémoire, consistant à demander à l’élève d’observer un objet puis de le dessiner de mémoire. Alphonse Legros (1837-1911), Henri Fantin-Latour (1836-1904), Léon Lhermitte (1844-1925), plus tard de passage à Wissant chez les Demont-Breton, ainsi que le fameux sculpteur Auguste Rodin (1840-1917), sont alors ses camarades de classe.

Dès l’année suivante, en 1863, il montre une première œuvre au Salon des Refusés, un « Souvenir des Dunes de Wissant« , aux côtés d’Édouard Manet, du portraitiste américain James Whistler, d’Alphonse Legros et du chef de file de l’École d’Arras, Constant Dutilleux, rencontré plus tôt à Barbizon. Le succès est des plus mitigés, la presse ignorant presque l’exposition! De 1863 à 1868, Cazin exerce comme professeur à l’école de Lecocq. Le 2 juillet 1868, il épouse Marie Guillet, artiste elle-aussi, élève de Rosa Bonheur. Connue sous son nom d’artiste Marie Cazin, elle reçoit une médaille d’Or à l’Exposition Universelle de Paris en 1889. A cette époque, Cazin devient directeur du musée des Beaux-Arts de Tours. Mais quand la guerre de 1870 survient, Cazin, proche des Républicains et de Léon Gambetta, choisit l’exil. D’ailleurs, il réalise en 1882 « La Chambre mortuaire de Gambetta« , figurant un lit encombré d’un drapeau tricolore et d’une grande couronne de laurier (huile sur toile, 38cm x 46cm, musée du château de Versailles). Il quitte son poste et décide de rejoindre Londres à l’automne 1871.

Sur les conseils de son ami Alphonse Legros, établi à Londres depuis plusieurs années, Cazin y emmène sa petite famille, Marie et leur jeune fils Michel, né à Paris le 12 avril 1869. Dans la capitale anglaise, il tente d’ ouvrir une école de dessin. C’est l’échec. Dès lors, dans un esprit créatif et aussi pour subvenir à ses besoins, l’artiste travaille un temps à la Fulham Pottery en s’adonnant à la céramique dans un registre japonisant. Le musée d’Orsay conserve ainsi un plat d’apparat, en grès émaillé, ainsi qu’un vase, en grès émaillé et gravé, datant de 1872. Puis, lassé par cette activité, Cazin abandonne la production, voyage en Écosse et séjourne au château de Thornfield, dont il peint « Bruyères en Écosse » (huile sur toile, 54cm x 65cm, musée des Beaux-Arts de Reims). Il donne enfin pendant quelque temps des cours d’art au musée de South-Kensington. Mais la France lui manque.

Après cette « pause anglaise », Cazin effectue son « grand tour ». D’origine anglaise, pratiqué dès le 17ème siècle, ce voyage est destiné à parfaire l’éducation artistique. Les destinations principales sont l’Italie, mais aussi la France, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Suisse, que le jeune artiste parcourt plusieurs mois durant. Après un passage en Toscane durant l’hiver 1874 (Florence, Pise) et en Belgique (Anvers, 1875), Cazin regagne la France en septembre 1875 et pose ses valises à Équihen. Accompagné de sa femme, il travaille encore un peu la poterie. Dans son four, installé dans une maison louée en bordure du village, l’artiste crée notamment une série de petites coupes en grès, très élégantes, décorées dans un style néo-Renaissance. Si les  arts du feu sont bien présents, la famille Cazin s’avère très éclectique et s’intéresse à l’ensemble des arts décoratifs, comme en témoigne les photos prises à la maison et dans son atelier. La production de céramiques demeure réduite, et de rares modèles sont visibles au petit musée de Samer consacré à l’artiste, et dans quelques collections privées.

Cazin installe aussi un atelier à Paris et y expose « Le Chantier » au Salon des Refusés de 1876 (huile sur toile, 76cm x 122cm, musée de Cleveland, USA). De dimensions encore modestes, cette œuvre montre le quai du bassin en face de la maison qu’il habite à l’époque à Boulogne. Elle est réalisée selon le procédé ancien de la peinture à la cire. Une belle reconnaissance pour ce tableau qui lance véritablement sa carrière. La même année, il produit son premier grand tableau figurant la région boulonnaise et plus précisément Équihen : « L’Orage » (huile sur toile, 89cm × 166 cm, musée d’Orsay), acquis par l’État en 1942. Cette large toile décrit un rivage sauvage, où se sont nichées quelques masures sur une côte escarpée et austère. Dans un camaïeu de bruns, aux tons presque monochromes, les toits rouges émergent face à la mer et au grain qui s’annonce.  Proche de ce thème, il peint également « La Plage d’Équihen » (huile sur toile, 63cm x 75cm, collection du Conseil départemental du Pas-de-Calais), décrivant la descente vers l’estran, peuplé par une nuée de bateaux d’échouage, très typiques de la région. Au loin, dans une atmosphère vaporeuse, le sable, la mer et le ciel se rejoignent pour se fondre et se confondre harmonieusement. A droite, une femme étend son linge sur le muret extérieur. Ici, déjà réduite à la portion congrue, bientôt, la figure humaine disparaîtra des œuvres de Cazin.

A la suite de ces sujets régionalistes, les œuvres bibliques et historiques s’enchaînent. L’année suivante, pratiquant toujours cette technique particulière de la peinture à la cire, il présente « La Fuite en Égypte » (localisation inconnue). En 1878, « Le Voyage de Tobie » connaît un franc succès au Art Institute of Chicago, où son art part à la conquête du public américain. Au Salon des Artistes français de 1880, composés dans des formats plus grandioses, « Tobie et l’Ange » (huile sur toile, 186cm x 142m, Palais des Beaux-Arts de Lille) et « Agar et Ismaël » (huile sur toile, 252cm × 202cm, musée des Beaux-Arts de Tours), transposition moderne de ce thème maintes fois illustré, lui font obtenir une médaille de première Classe.

Dans son atelier parisien, l’artiste fait preuve d’une émotion singulière en situant dans le Boulonnais tous ces grands tableaux bibliques, aux accents orientalistes, à la mode du moment. Ainsi, ce n’est pas dans une solitude de Palestine mais dans les dunes ocres de Condette, que s’étreignent, abandonnés, « Agar et Ismaël« . Le cadre sauvage des collines et des dunes de Camiers accueille « Tobie et l’Ange« . Certains ont pour décor naturel les hautes falaises d’Équihen, quand d’autres investissent Montreuil-sur-Mer, ceinte de ses remparts majestueux, de ses tours de briques roses (« Judith« , Salon de 1883, non localisé). Cazin choisit des proches comme modèles de ses personnages ; bien sûr sa femme Marie et son fils Michel restent souvent sollicités en premier lieu.

Pour tous ces tableaux, Cazin réalise un très grand nombre de dessins préparatoires. Les œuvres historiques sont d’abord dessinées sur papier teinté, au crayon, à la sanguine et au fusain. Afin d’organiser le contraste, l’espace, le volume et la perspective, Cazin joue avec le grain du papier ; parfois, il les rehausse à la craie. De nombreux dessins demeurent aujourd’hui conservés aux musées de Lille (ensemble de 61 dessins), de Tours, de Bormes-les-Mimosas et du Louvre (essentiellement des croquis préparatoires aux œuvres historiques et bibliques, également des paysages et des moulins).

Malgré ses succès parisiens, sa région natale lui manque. D’un caractère difficile, fuyant les honneurs et aussi peut-être pour se ressourcer, Cazin quitte Paris et part à nouveau s’installer à Équihen. Il n’expose d’ailleurs plus aucuns travaux aux Salons parisiens de 1883 à 1888, pour revenir avec « La Journée Faite » (huile sur toile, 197cm x 163cm, musée d’Orsay), présentée au salon National des Beaux-Arts et acquise directement par l’État. 

En 1886, Cazin acquiert à Équihen un terrain sur la côte, face à la mer, et y fait construire une grande maison. Celle, qui va devenir le « Château Cazin », est alors un véritable écrin pour un bonheur familial, « à l’endroit où le plateau terrien finit, pour insensiblement se transformer en dunes« , selon le témoignage de son ami et historien Henri Malo. L’artiste croque les paysages, étudie la nature et les maîtres anciens. C’est à cette époque que l’influence de Puvis de Chavannes, le peintre symboliste, s’inscrit dans sa peinture. Ainsi, Cazin entame un retour vers une peinture plus actuelle, sentimentale et humanisée. Sa région natale devient prégnante dans son art. Sa production reflète un goût sensible pour les crépuscules évanescents et spectaculaires, si bien que le fameux critique d’art, Léonce Bénédite, cite « l’Heure Cazin« , ce phénomène particulier où la lumière joue avec les contrastes. L’État achète ses toiles en nombre pour les musées ; d’autres se vendent en France et à l’étranger, notamment aux États-Unis.

Dès la fin des années 1880, l’état de santé de Cazin lui interdit de trop longues promenades. Ainsi, durant une douzaine d’années, Équihen et sa proche région lui apportent des motifs à croquer comme décors de ses paysages. Au fur et à mesure, la figure humaine s’éclipse silencieusement de ses tableaux et son art se concentre exclusivement à représenter les collines, les dunes et les moulins. Ces « paysages purs et silencieux » s’avèrent parfois difficiles d’accès pour le simple néophyte, et demandent un long regard d’analyse picturale, afin de dépasser la vision simplement évocatrice du peintre : « Lever de Lune à Équihen« , « Route près d’Équihen« , « Le Moulin au Portel« , … Conservée au musée de Reims, la « Villa Cazin à Équihen » (huile sur bois, 21cm x 26cm, 1887) montre également le talent de l’artiste dans les petits formats, empreints d’une évocation intimiste. Nichée dans les herbes hautes, la maison semble paisible et endormie ; seul, son toit rouge contraste avec le ciel étoilé, traité dans un bleu pastel monochrome. Dans « Paysage au Clair de Lune » (huile sur bois, 27cm x 26cm, musée des Beaux-Arts de Reims, 1884), Cazin excelle à représenter un halo lumineux qui inonde de lumière, presque surnaturelle et mystique, les dunes d’Équihen. Étendue sauvage de landes et de dunes, « La Garenne d’Équihen » (huile sur toile, 25cm x 34cm, musée des Beaux-Arts de Tours) entoure la maison de l’artiste et rappelle combien elle demeure l’un des motifs de prédilection de sa peinture paysagiste.

Dans « Le Dégel » (huile sur toile, 82cm x 100cm, musée des Beaux-Arts de Tours), Cazin choisit les hauteurs de Wissant, si cher au couple Demont-Breton, et nous offre un panorama enneigé plongeant sur le Cap Gris-Nez. Fidèle à sa technique, l’artiste fait onduler la végétation sous la houle maritime en hachurant l’espace d’un trait dynamique. Cet esprit apaisé est visible avec « Ruine dans la Dune » brossée en 1886 (huile sur toile, 81cm x 116cm, musée de Boulogne-sur-Mer), où l’artiste fait vibrer la végétation inscrite au milieu d’une tour écroulée.

Avec sa femme et son fils, Cazin continue ses expériences artistiques. Il travaille également quelque temps le bronze, et livre une surprenante sculpture, une « Femme de Marin« , tête inclinée et drapée, nantie d’une belle patine brunâtre (masque en bronze patiné, 27cm x 21cm x 15cm, musée d’Orsay), présentée au Salon National des Beaux-Arts en 1890. En 1892, « Maisons de Pauvres« , montrant des masures délabrées sur la côte, reçoit les faveurs du gouvernement lors du Salon National des Beaux-Arts, mais Cazin refuse la vente et garde son tableau, si précieux à ses yeux.

L’année suivante, en novembre 1893, son fils Michel, immergé dans la culture artistique de ses parents, accompagne son père aux États-Unis. Il y expose près de 180 tableaux, notamment « La Route Nationale à Samer » (huile sur toile, 105cm x 122cm), aujourd’hui conservé au Metropolitan Museum de New-York. Toujours aussi sereines, « Les Garennes » font vibrer les visiteurs du Salon National des Beaux-Arts de 1894, et sont finalement acquises par l’État. La même année, Cazin entreprend un voyage en Flandre (« Terrain de culture en Flandre« , huile sur toile, 54cm × 65cm, mairie de Saint-Pol-sur Ternoise). Constant Coquelin, son ancien camarade de classe devenu ami intime, celui qui aime fréquenter l’atelier de l’artiste, lui achète « La Route » en 1899, figurant la route de Samer (huile sur toile, 73cm x 93cm, musée des Beaux-Arts de Tours). Traité dans une monochromie de tons bruns, travaillé au bistre (couleur brunâtre originellement obtenue par un mélange de suie et d’eau), ce tableau singulier rappelle d’autres œuvres proches des nombreux dessins que l’artiste a produits.

Vice-président de la Société Nationale des Beaux-Arts, Cazin est aussi membre de la Commission de l’Exposition Universelle de 1889. La consécration lui offre une médaille d’Or et le cordon de Commandeur de la Légion d’Honneur. A l’Exposition de 1900, un florilège de ses meilleures œuvres est présenté au public, notamment « L’Orage » et « Femme de Marin« . Mais, depuis 1891, Cazin passe de plus en plus de temps dans le Var, afin de soigner sa santé chancelante, à Bormes-les-Mimosas. Jean-Charles Cazin s’y éteint le 26 mars 1901. Sa femme, Marie Cazin, décède en 1924 à Équihen. Son fils Michel, devenu céramiste et sculpteur, meurt dans l’explosion du torpilleur « La Rafale » à Boulogne le 1er février 1917. Son épouse, Berthe Cazin, grièvement blessée, lui survit jusqu’en 1971, presque centenaire. En 1930, elle fait don de plusieurs dizaines de tableaux, dessins et poteries à la ville de Samer, qui lance la construction d’un premier musée en juillet 1936. Terminé en 1939, la Seconde guerre mondiale en détruit l’essentiel. A Équihen, la maison Cazin et la stèle de l’artiste (inaugurée en 1931) sont détruites par les bombardements. A la mort de Berthe  Cazin, sans descendance, le reste de l’héritage est dispersé.

Après la disparition de Jean-Charles Cazin, Léonce Bénédite lui rend un vibrant hommage : « Près de son grand ami Puvis de Chavannes, Cazin demeurera, en qualité de peintre d’histoire, une des personnifications les plus exquises de l’idéalisme contemporain« . Pourtant, artiste inclassable, ni classique, ni naturaliste ou impressionniste, Jean-Charles Cazin ne se résume pas à un simple peintre d’histoire. En nous offrant un voyage entre réalité et imaginaire, figuratif et évocation, son style unique et sa sensibilité intimiste magnifient les côtes et les paysages du Nord de la France.

Aujourd’hui, négligé voire oublié, sans avoir jamais bénéficié d’une rétrospective depuis sa mort, l’artiste est pourtant bien représenté dans les collections publiques, au musée d’Orsay, dans les musées des Beaux-Arts d’Arras, de Bormes-les-Mimosas, de Boulogne, de Berck-sur-mer, de Calais, de Douai, de Lille, de Reims, de Saint-Omer, de Tours, de Vernon et de Versailles, au musée du Louvre, et dans de nombreuses collections privées (France, USA et Japon).

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Henry-Arthur Bonnefoy (1839-1917) – peintre animalier boulonnais

Collines bucoliques, vallées fleuries et animaux rustiques ont essentiellement peuplé l’œuvre d’Henry-Arthur Bonnefoy. Pourtant, réduire son travail à ces simples peintures lucratives, destinées aux Salons officiels, serait trop réducteur. Peintre boulonnais, récompensé à maintes reprises, l’artiste connaît une carrière heureuse. En dépit de ses succès parisiens, son amour pour son Boulonnais natal ne se dément jamais. Sa palette joyeuse s’inscrit aujourd’hui dans la grande tradition de la peinture naturaliste, ode à une nature immaculée, qui prend comme théâtre chromatique nos vallées et nos paysages boulonnais.

Fils de Pierre-Amboise, un directeur d’école exerçant en haute-ville, et de Julie Lannoy, fille de tailleur, Henry-Arthur Bonnefoy est né à Boulogne-sur-Mer le 5 avril 1839. Ses oncles sont professeurs de musique et d’escrime, et enseignent tous dans l’école communale tenue par Pierre-Amboise. Dans cet entourage intellectuel et protégé, Henry Bonnefoy peut s’épanouir. Très vite, ses parents détectent chez lui de véritables dons pour le dessin. A 14 ans, il croque déjà à l’envi son environnement, la maison familiale et son jardin. Précoce, il expose ses premières œuvres qui attirent rapidement l’attention des critiques locaux. Sir Richard Wallace, le grand collectionneur anglais, le rencontre par hasard lors d’un cours d’escrime donné par l’oncle de l’artiste en herbe. Charmé, l’aristocrate lui achète son premier tableau en 1854. Trois ans plus tard, en 1857, Bonnefoy est admis au Salon des Artistes français et peut ainsi présenter régulièrement sa production à Paris. Cette année-là, il y expose une nature morte et surtout un paysage, « Vue prise de La Capelle, Effet du Matin ». En 1859, il gagne le troisième prix du concours du paysage historique, servant cette année-là à l’obtention du prix de Rome. Le 4 mai 1861, c’est la consécration. Henry Bonnefoy entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris et devient l’élève du fameux Léon Cogniet (1794-1880), ami d’Auguste Delacroix et de Théodore Géricault, et ancien professeur de Léon Bonnat. Maître classique aux œuvres conventionnelles, Cogniet inculque à Bonnefoy les techniques académiques, indispensables à la poursuite d’une carrière d’artiste. 

A partir de 1863, Henry Bonnefoy part faire un long séjour en Provence. Baigné par la lumière méditerranéenne, il peint Cannes, la côte et ses alentours. Il envoie à Paris des paysages du Midi, brossés d’un pinceau libre et robuste. Sa palette s’éclaircit : « Abreuvoir aux environs de Cannes », « Pin de Provence », « Coin de Jardin à Cannes », « Entrée de Saint-Cassien » (1867), « Bord de Mer à Golfe-Juan » restent des scènes de genre classiques, très appréciées. Durant ces années, il enseigne également son art à des élèves, avant que la guerre de 1870 ne se déclare et ne précipite son retour en terres boulonnaises. Ce retour dans sa ville natale est de courte de durée. En effet,  après la défaite de Sedan, la France doit intervenir en Algérie devant les velléités d’indépendance. Jusqu’à l’été 1871, des garnisons sont envoyées de la métropole à Alger, et Bonnefoy fait alors partie du contingent. Rentré en France, il s’empresse de jeter ses souvenirs sur la toile, « Intérieur Juif de Constantine », « Berbères dans le Désert », « Vue de Ville Arabe », qui profitent d’un dessin bien construit, plongé dans une couleur chaude.

A l’automne 1871, Henry Bonnefoy est de retour à Boulogne. Au Salon de 1873, il présente « Vent du Nord, environs de Boulogne-sur-mer », et l’année suivante « La Herse, environs de Boulogne-sur-mer ». Il voyage ensuite en Angleterre où il s’épanouit à travers des aquarelles légères, au ciel gris et tourmenté. Plus tard, attiré par la renommée de l’école nordique (Golden Age), il passe par la Belgique pour rejoindre un été durant le Danemark (1880). On garde de ce passage un tableau récompensé par une médaille de 3ème classe : « Juin en Danemark ». Sur les traces de Boudin, il sillonne également la Normandie, dont on connaît de lui « Paysage avec animaux à Trouville » (1893). A cette époque, il est établi à Paris, dans une grande maison au 42 rue Fontaine, près de Montmartre, et fait souvent des aller-retours entre la capitale et Boulogne. 

Durant sa carrière, Henry Bonnefoy expose à Paris dès 1857, puis sans discontinuités de 1873 à 1904, essentiellement des scènes animalières ou bucoliques, des fleurs comme « Bouquet champêtre » (huile sur toile, 57cm x 47cm), et quelques vues boulonnaises, du sud de la France et de l’Algérie. Il y reçoit une médaille de troisième classe en 1880, une autre de seconde classe en 1884 et surtout la médaille d’argent à l’Exposition Universelle de 1889. Il fait partie de la Société des Artistes français et, en 1875, intègre l’Union Artistique d’Arras qui va lui permettre de présenter son travail jusqu’en 1904. En 1911, un comité boulonnais tente de lui faire obtenir la légion d’Honneur, qui ne semble pas lui être attribuée. Il meurt en février 1917 à Lyon, après une vie bien remplie de voyages et de bonheur chromatique, et ses obsèques à Boulogne rassemblent les notables du moment autour du peintre George Griois.

A l’instar des maîtres de la fin du 19ème siècle, Henry Bonnefoy acquiert la reconnaissance officielle ainsi que celle du public par l’intermédiaire des prix et des distinctions (médailles) qu’il reçoit surtout au Salon de la Société des Artistes français. Il débute ainsi dès 1857 avec une nature morte et une vue de La Capelle. Grâce à la reconnaissance de son talent, ses œuvres intègrent parfois les musées nationaux ou provinciaux. Ainsi, après sa présentation au Salon de 1868, une première peinture simplement nommée « Paysage » rejoint les collections nationales. En 1870, l’État achète « Vue prise à Saint-Raphaël », montrant une pinède en bordure de mer où baignent au loin quelques voiliers. Dix ans après, en 1880, Bonnefoy reçoit une médaille de 3ème classe pour « Juin en Danemark » (huile sur toile, 170cm x 200cm), acquis par l’Etat. Puis « Saint-Cassien l’hiver », vue typique du village des Alpes-Maritimes, est achetée en 1874.

Le succès ne se dément pas, mais l’aboutissement n’est pas toujours positif dans les demandes d’acquisition par l’État. En 1883, le musée de Nevers (musée Frédéric Blandin) reçoit une scène de basse-cour intitulée « Poules » (huile sur bois, 26cm x 31cm). L’année suivante, « Matinée de Septembre – Environs de Boulogne » est gratifié d’une médaille au Salon. En 1885, il expose « Au bord de l’Étang », un paysage bucolique parfait comme il sait tant faire naître. En 1888, « La Bonne Place », scène détaillant un cheval blanc et un âne (dessin à la plume et rehaut de blanc, 25cm x 32cm), intègre le musée national du Luxembourg, pour ensuite entrer au Louvre (étude préparatoire du tableau). Ensuite, les présentations s’enchaînent : « Fin Mai » un paysage allégorique (1887), « Soir de Septembre, Pleine Lune » (1890), « Le Petit Moulin » (1891), « Pendant que le Loup n’y est pas… » (1895), « La Veuve du Berger » (1902), « Un Coin du Vieux Montmartre » (1897), « L’Etoile du Berger » (1905). Sur ces œuvres, malgré l’insistance de l’artiste, l’Etat ne donne pas suite. Toujours au Salon, en 1907, Bonnefoy expose « La Favorite », étonnante vache couronnée de fleurs (localisation inconnue), presque souriante ! Toutes ces œuvres récurrentes, montrant des animaux heureux, mis en scène dans un paysage idyllique, plaisent au public et représentent une grande part du travail de Bonnefoy. Elles sont intemporelles et dénotent une époque révolue où la campagne régresse, grignotée par l’ogre de la modernité et l’accroissement des villes. 

En 1909, la ville de Bourg-en-Bresse (musée de Brou) accueille en dépôt « Les Petits Fiancés » (huile sur toile, 92cm x 134cm), travail présenté hors-concours au Salon des Artistes français (exposition au Palais des Champs Élysées, inaugurée le 1er mai 1899). A ce sujet, Étienne de La Grenille, célèbre critique du journal Le Pinceau, ne tarie pas d’éloges sur Henry Bonnefoy, « qui aime à peindre au premier plan de ses tableaux des coins de nature où jamais la serpe n’aurait émondé une branche et où l’on aurait mis la bride sur le col de la végétation. Toutes ces plantes peuvent ramper, grimper, c’est dans ce paradis abandonné que sont venus se réfugier Les Petits Fiancés. Ils ont bien raison, car dans ce réduit mystérieux, ils sont certains de n’être pas surpris. Aussi, ont-ils l’air tout heureux nos deux gentils chevreaux, à l’œil doux, à la tête élégante et fine. Et toujours au milieu de ces herbes folles, de gentils animaux sont peints avec maîtrise et viennent y jeter une note charmante et gaie, souvent humoristique. Partout on sent la légèreté et le frémissement de la nature, il y a dans toutes les œuvres de Bonnefoy, un véritable sentiment de poésie rustique ». A l’époque, la plupart de ses œuvres est publiée sous forme de gravures ou d’eaux-fortes dans des ouvrages luxueux. Avec ses basse-cours, vaches et chèvres, Bonnefoy s’inscrit dans la tradition des peintres animaliers.

Cette reconnaissance et ce succès restent surtout confinés aux grands Salons parisiens et à la région boulonnaise. Bien que sa peinture soit tonique et lumineuse, Bonnefoy reste un « petit maître » classique selon la définition de Gérald Schurr. Il ne parvient pas à surclasser les grands maîtres naturalistes, comme François Millet ou Jules Breton qui ont marqué le 19ème siècle. Ses sujets restent légers et empreints de poésie, ce qui l’empêche d’accéder à un rôle d’artiste majeur de la peinture française. Dans ces conditions, Guillaume Apollinaire, chantre du modernisme artistique, produit des mots très durs à l’encontre de notre artiste. En 1911, il commente le Salon des Artistes français et la salle 43 dans laquelle est présentée une œuvre de Bonnefoy, « qui nous montre un Robinson savetier, rôle que pourrait tenir Gnafron dans une pièce du Guignol lyonnais ». Tout est dit ! En cette période artistique révolutionnaire, Henry Bonnefoy est devenu définitivement obsolète face aux Fauves et aux Cubistes. Il est vrai, qu’après plus de 50 ans de peinture, Bonnefoy s’inscrit dans la peinture anecdotique du 19ème siècle, joyeuse et idyllique, sans revendications aucunes.

En dépit de la reconnaissance des Salons parisiens et de ses maintes expositions provinciales, Henry Bonnefoy aime son Boulonnais qu’il n’oublie jamais. Il réalise de nombreux paysages, sortes de poèmes champêtres, qui montrent une campagne pittoresque et printanière, toujours peuplée de fleurs et d’animaux de la ferme. A l’époque, la vie culturelle et artistique boulonnaise est très riche. Des Salons, très prisés, sont organisés régulièrement au casino de Boulogne, où l’on présente les productions des artistes locaux (Delacroix, Demont-Breton, …), et étrangers, notamment de nombreux anglais. Au total, plusieurs dizaines d’artistes se bousculent pour accrocher leurs œuvres aux cimaises des salles de réception du casino. 

Déjà, en 1883, le journal boulonnais l’Impartial  souligne les qualités du peintre qui expose, avec bonheur, au salon parisien deux tableaux : « Dans les Bois » et « Au Pied d’un Sapin », malheureusement perdus. En 1884, l’artiste livre une toile magistrale au Salon de Paris, conservée au musée des Augustins à Toulouse et intitulée « Matinée de Septembre – Environs de Boulogne » (huile sur toile, 170cm x 190cm). Prise sur les falaises de la tour d’Ordre, cette vue dévoile au premier plan un chien de berger en train de surveiller un groupe de moutons, qui s’activent sur des pâtures sauvages et ingrates. En contre-bas, apparaissent le port de Boulogne et les maisons de la basse-ville. Plus au loin, perdu dans la brume, la tour du vieux beffroi émerge dans une atmosphère éthérée. A la fois précise et évocatrice, urbaine et champêtre, la facture globale de l’œuvre se révèle pleinement dans le style de Bonnefoy. Pour ce témoignage du vieux Boulogne, il en reçoit une médaille au Salon. Cette même année, l’artiste réalise une série de panneaux décoratifs chez l’avocat Boyard, installé dans une grande maison boulevard Daunou. Il immortalise aussi une « Scène de Labour » (huile sur toile, 27cm x 46cm), où campent de solides chevaux boulonnais sous un soleil bienveillant. En vogue à l’époque, ce type de peintures garnit bien souvent les murs des belles demeures bourgeoises.

Bonnefoy est présent dans sa ville natale lors de l’Exposition qui a lieu l’été 1886, où près de 500 peintures, sculptures et aquarelles sont montrées au public. Il y propose alors deux œuvres remarquées : « Matinée d’Hiver » et « La Fin d’une Belle Journée ». Puis, durant dix ans, de 1893 à 1904, il présente à l’Union Artistique d’Arras nombre de toiles à l’accent rustique, qui remportent un vif succès : « Poules », « Paysages avec Animaux à Trouville », « Pâturage » et « Automne » reçoivent un bon accueil. Très rapidement, un groupe d’artistes, passionnés par leur Boulonnais vallonné et bocager, le rejoignent et fondent « l’École de la Cluse ». Avec ses élèves Albert Declercq, Léonie et Lucienne Boulanger, il pose sa palette dans cette charmante petite vallée, épargnée par l’urbanisation et l’industrie devenues dévorantes depuis la fin du 19ème siècle. Les vallées du Denacre, de la Course ou de la Cluse sont très appréciées par la bourgeoisie de l’époque, qui y fait construire de nombreux manoirs.

Plus tard, en 1899-1900, l’artiste montre à Arras une série de marines, et en mai 1902 « Baie d’Étaples » (non localisée). En 1903, Bonnefoy dépose une demande d’acquisitions pour deux œuvres qu’il destine au musée de sa ville natale : « Bonhomie » et « Les Moutons, vue du Boulonnais » (Salon des Artistes français, n°198 et 199). Seule la dernière est finalement achetée. Aujourd’hui, on peut admirer au château-musée de Boulogne-sur-Mer une étude sur panneau : « Fort d’Ambleteuse » (23cm x 36cm). Dans « Cavalier sur le Sentier des Douaniers » (23cm x 33cm), il croque les falaises au nord de Boulogne, un homme monté sur un robuste cheval boulonnais, sans manquer d’y évoquer les côtes anglaises en arrière-plan, trempées dans la brume. D’une agréable fluidité de facture, cette œuvre, tout en légèreté et en luminosité, se rapproche des quelques aquarelles qu’il produit à cette époque. Au château-musée de Boulogne, d’autres œuvres y sont conservées en réserve, venant d’achats et de dons : « Paysage aux moutons, Berger et son troupeau » (26cm x 40cm), « Paysage aux chèvres »,  « Paysage avec Vaches », « Portrait du Baron Dumont de Courset ». Bonnefoy aime illustrer la Manche, l’estran et ses pêcheurs. A la même époque, il réalise une « Scène de la vie Boulonnaise », où un chasse-marée vient chercher le poisson qu’il destine aux Parisiens (huile sur toile, 80cm x 132cm). Tout y est : le cheval boulonnais, les voiles rouges des harenguiers, les mannes en osier, et la cathédrale en arrière-plan. Au musée des Beaux-Arts de Calais, un « Pêcheur Boulonnais » (huile sur toile, 25cm x 16cm) confirme l’attrait de l’artiste pour le monde maritime. D’autres œuvres, souvent de petits formats, croquent le Boulonnais, à Le Portel avec « Berger et son Troupeau devant le Fort de l’Heurt  », et la campagne à travers « Le Petit Moulin » (1891), figurant un cheval boulonnais. Plusieurs peintres locaux le rejoignent, amoureux de leur terroir et de ses bocages et ses vallons, et formeront un temps « l’École de la Cluse ».


Si Bonnefoy ne révolutionne pas l’art à l’instar des Impressionnistes, son succès est réel sous le Second Empire et la 3ème République. Paysages et scènes bucoliques sont très appréciés de la bourgeoisie et, la plupart de ses toiles, aux tailles parfois monumentales, prend place dans les meilleures maisons boulonnaises, lilloises ou parisiennes. Mais surtout, on note chez l’artiste une volonté marquée de figer une nature, chaque jour davantage rongée par la modernité. Dégagé des influences diverses, Bonnefoy croque d’une manière très personnelle l’animal, parfois teintés d’accents anthropomorphiques, participant de la beauté de la nature. L’exposition universelle de Paris en 1900, qui rassemble plus de 50 millions de visiteurs venus contempler les progrès de la technique, marque le mouvement inexorable de l’urbanisation accompagné de la fin du monde rural. Quand Monet et ses disciples peignent avec bonheur gares et ouvrages modernes, Henry Bonnefoy s’inscrit dans son terroir de peintre animalier, peintre « écologiste » avant l’heure, empreint de nostalgie naturaliste.

Auteur : Yann Gobert-Sergent

Émile Maillard (1846-1926) – un peintre officiel de la Marine à Étaples

La Côte d’Opale, sa population maritime et son littoral pittoresque ont inspiré et inspirent toujours nombre d’artistes. A Étaples, plusieurs peintres se sont groupés autour d’Eugène Chigot et de Francis Tattegrain au sein d’une colonie d’artistes. Venus chercher conseil auprès de ces maîtres confirmés, certains connaissent plus tard une belle notoriété. Si Émile Maillard fréquente également Étaples, ses recherches picturales sont déjà engagées depuis plusieurs années. Nommé peintre officiel de la Marine dès 1891, il aime croquer Étaples et les côtes boulonnaises pour nourrir son inspiration et ses toiles aux effets grandioses. Ce sont ses passages étaplois, par trop sporadiques, qui l’ont peut-être écarté de l’intérêt nouveau porté à « l’École d’Étaples ». Bien que ses œuvres passent souvent en ventes publiques, l’artiste reste encore dans l’ombre et mérite d’être redécouvert.

Émile Maillard est né à Amiens le 2 juin 1846, au sein d’une famille de négoce de tissus, bien implantée dans la région. Ses parents, qui perdent deux enfants en bas âge, vont le choyer comme un enfant unique. Il suit l’école communale à Amiens et semble pouvoir reprendre la succession familiale, en dépit de son intérêt pour le dessin. De juillet 1870 à février 1871, Émile Maillard est incorporé dans l’armée et sert comme capitaine à la Garde nationale mobile de la Somme. Après le conflit, en décembre 1875, il est nommé lieutenant. 

En 1876, il intègre l’Académie des Beaux-Arts d’Amiens durant deux années, en compagnie de Jules Boquet (1840-1931) et d’Edmond Pointin (1836-1903), premier peintre à posséder un chalet à Le Touquet pour y croquer la Canche. Diplômé en juillet 1877, il participe à sa première exposition (peintures et dessins), organisée à Amiens par la Société des Arts de la Somme ; il y obtient une mention Honorable. L’artiste continue régulièrement à exposer dans ce Salon régional, notamment en 1879 (mention Honorable). En 1880, il entre à l’école des Beaux-Arts à Paris et suit les cours des maîtres classiques : Jules Lefebvre (1834-1912), peintre académique d’Histoire aux nombreux élèves dont Francis Tattegrain, et Gustave Boulanger (1824-1888), fameux peintre orientaliste. Il reçoit également les conseils d’Ernest Renouf (1845-1894), peintre de marines, très actif en Normandie et en Bretagne, d’Ulysse Butin (1838-1883), originaire de Saint-Quentin et également professeur de Charles Roussel, et enfin d’Ernest Duez (1843-1896), portraitiste mondain. Son apprentissage rigoureux et académique, basé sur la force du dessin et de son trait, lui permet plus tard de créer des œuvres à la construction solide. Ernest Renouf semble l’inspirer à ses débuts, notamment à travers ses scènes de tempêtes et de naufrages, aux accents dramatiques et grandiloquents. Renouf le fait également entrer en 1886 à l’Académie Julian, jugée plus moderne.

Lors du décès de sa mère Clarisse, survenu en mars 1881, Émile Maillard est encore mentionné « négociant » dans l’acte officiel. Très affecté par cette disparition, son père l’encourage à voyager sur la Côte d’Opale, de Berck à Dunkerque, pour y puiser une bonne inspiration. Il y retrouve son ancien camarade de classe Edmond Pointin. Accompagné de Marie Frion (1855-1934), jeune employée de l’entreprise familiale, qui deviendra sa femme en 1891, les deux complices parcourent joyeusement l’estran afin de piquer sur le vif la moindre silhouette de navires, le parfait mouvement de vagues. En 1884, il devient enfin sociétaire de la Société des Artistes français. Ses expositions estivales s’enchaînent à la Société des Arts à Amiens : Le Chantier d’Étaples, Vapeur remontant une goélette, Bateau d’Étaples au Large, Maisons à Vendre (1884) – Marée descendante, Entrée de ferme, Cour de ferme (médaille d’Argent, 1885) – L’embouchure de la Canche, Études (1887). En 1886, Émile Maillard expose au Salon Rouennais le Bateau de Pêche à Étaples « d’un bel aspect » (La Revue normande). Les titres des œuvres indiquent l’intérêt constant de l’artiste pour les marines, ainsi que ses visites régulières à Étaples. Les sujets ruraux demeurent très marginaux. 

En 1888, c’est la consécration. Émile Maillard participe pour la première fois au Salon des Artistes français. C’est un succès « car après Tattegrain, signalons Émile Maillard avec les Derniers Secours » (The Artist), qui remporte une mention Honorable décernée par le jury. Cette toile fait dans le gigantisme (2 mètres x 3,85 mètres) et part rejoindre les collections du musée de Picardie à Amiens. Éditée en gravure et en photographie sur carton, la scène figure une charrette, surchargée d’ancres et de cordages, emmenée par des marins et une matelote. Bousculé par les rafales, ce groupe hétéroclite chemine difficilement sur la jetée, submergée par les vagues. Ils partent ravitailler les secours en mer que l’on aperçoit au fond du tableau. En 1889, l’artiste présente Gros Temps à Boulogne ; c’est aussi l’année de naissance de son premier fils Marcel. Au Salon de 1890, le peintre dévoile plusieurs œuvres en rapport avec le littoral : Le grand bassin à Dunkerque, Les Hortillonnages, Marché aux légumes à Amiens, Un coin de Dunkerque, Dans le grand bassin de Dunkerque, Incendie de l’usine Bulot-Lhotellier, Gros temps à Boulogne ; dessin à la plume. La même année, la Société des Amis des Arts de la Somme lui décerne une médaille d’or. 

L’année 1891 conforte sa vie familiale et professionnelle. Le 16 mai 1891, sur recommandation de M. Dauphine, sénateur de la Somme, Émile Maillard est nommé Peintre Officiel de la Marine. Créé en 1830, ce titre officiel consacre les artistes au talent voué à la mer. Au Salon à Paris, il envoie Pendant la Tempête. Enfin, le 11 novembre 1891, l’artiste épouse Marie Frion, qui l’accompagne depuis quelques années déjà.

Les années qui suivent installent durablement la carrière d’Émile Maillard. Les envois au Salon se succèdent, utilisant un thème maritime récurrent, mais aussi parfois des sujets d’actualité, quand ce ne sont pas des commandes officielles : Après la Tempête, Pêcherie de harengs surprise par le grain (1892), Vapeur échouant en dehors des jetées (1893) « qui permet à Émile Maillard de sortir des rangs » (Le Salon, dix ans de peinture). Engageant un dialogue dramatique avec le spectateur, ce tableau est « d’une émotion profonde. A deux pas de la digue, couverte de monde, le navire sombre, la poupe a presque entièrement disparu. Les vagues furieuses s’élancent jusqu’au sommet de ses mâts et frappent ses flancs à coups redoublés. Un canot arrive au secours. Arrivera-t-il à temps ? Le triomphe de la mer semble fatal. La foule de la digue, à peine indiquée par des points noirs, on la devine anxieuse, et l’effort des nageurs du canot, penchés sur leurs avirons, achèvent de caractériser l’immensité du péril » (Le Panthéon de l’industrie).

Puis ce sont : Le Steamer Empress à la côte après abordage de la jetée de Calais, 4 janvier 1895, et La Maison du mort (1896) « où la plaine est couverte de neige, le ciel chargé de nuages menaçants ; derrière une montée de terrain on voit apparaître, fouettés par le vent, les porteurs de l’extrême-onction qui sont descendus de la charrette devant la maison du mort, désignée par une lanterne allumée ; un vol de sinistres corbeaux accompagne le funèbre cortège » (Figaro-Salon). Émile Maillard expose ensuite L’escadre du Nord, Cherbourg, 5 octobre 1896, Pêche aux harengs, Le Soir (1897), Après l’abordage (1899), L’Épave (1900), Le Vieil Hôtel et la rue Saint-Leu à Amiens (1901), Le Cassini et le Standard à Dunkerque passant la revue, Le Cassini portant le Président de la République, 17 septembre 1901 (1902), Bateaux pêcheurs, Les Brisants (1905). Au Salon de 1906, « Émile Maillard envoie un superbe travail, Le Remorqueur, très audacieux dans la construction des vagues déchainées » (The Collector and Art Critic). En 1907, sa toile Rentrée par gros temps ravit le public. 

En marge des œuvres envoyées au Salon à Paris, Émile Maillard n’abandonne pas pour autant la Société des artistes à Amiens. Il y expose des invendus parisiens et quelques études du littoral : Vapeur échouant en dehors des jetées, Le Soir (1894), Le soir au large, et deux marines (1896). Dans le Journal des Artistes du 21 juin 1908, qui relate l’exposition d’Amiens, « Émile Maillard nous donne, sur la mer, des pages où la réalité s’accuse apparemment très respectée. L’eau est d’un peintre en observateur accentué des transparences, des multiples colorations. C’est hautement défini dans le sens des masses où l’esthétique aime à trouver une force convaincante. Voici le titre des ouvrages : La Tempête, Après la Tempête, Gros Temps, La Nuit ».

Durant cette période faste, Émile Maillard reçoit la reconnaissance de l’État : Officier d’académie par arrêté du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (février 1899), lieutenant à la Garde nationale mobile de la Somme, et Médaille commémorative de la campagne de 1870-1871 (octobre 1912). Les envois au Salon à Paris se poursuivent : des marines en 1908, 1909, 1910, 1911, 1913 et 1914. Malgré son succès, sa plus haute récompense au Salon se limite néanmoins à une médaille de 3ème classe décernée en 1893. L’artiste est devenu le spécialiste des marines tourmentées, aux navires en détresse, à la sortie d’un port sous la tempête. Il exécute aussi des marines plus apaisées, aux mers d’huile, jouant des couleurs, pour produire des ciels saturés de roses orangés. Émile Maillard s’est lié d’amitié avec les artistes qui fréquentent Étaples. Francis Tattegrain l’inspire pour ses Filets Volés (Salon de 1905), repris cinq ans plus tard dans Barque de Pêche Fuyant au Vent (Salon de 1910). Il livre également une jolie vue du Fort de l’Heurt à Le Portel, qui bénéficie de l’usage de couleurs vives, mariant des tonalités chaudes et contrastées, permettant d’aboutir à ce paysage marin évocateur.

La Première guerre mondiale bouleverse la vie d’Émile Maillard et met en suspend ses expositions. La famille Maillard doit quitter précipitamment Amiens à la fin de l’été 1914, avant la prise de la ville par les Allemands. Début 1915, il s’installe à Morlaix. Mais, rapidement, il est rattrapé par la guerre. Le 14 juillet 1915, son plus jeune fils, Pierre, est tué au combat en Argonne. Deux ans plus tard, son fils Marcel est fait prisonnier (mai 1917). Il sera libéré en novembre 1918. Durant le conflit, l’artiste continue la peinture et produit quelques œuvres figurant les tranchées et leurs combats meurtriers. En contact avec M. Picot, galeriste à Zurich, Émile Maillard tente d’intercéder pour son fils Marcel, en vendant à bas prix des tableaux contre la promesse d’améliorer ses conditions de détention.

En 1920, le couple Maillard quitte la Bretagne pour rejoindre ses deux fils au Havre. Émile Maillard s’inquiète de sa situation financière difficile, demande de l’aide à ses enfants, et doit emprunter à la banque, tout en regrettant la fortune perdue de la famille. En octobre, il est hébergé par Marcel, ce qui lui apporte un certain réconfort. Il réalise au Havre ses dernières marines, des entrées du port et des voiliers pris sous le grain. Il y décède le 23 juillet 1926, puis il est inhumé au caveau familial du cimetière de la Madeleine à Amiens.

Artiste à la formation classique, Émile Maillard laisse une belle production de scènes solides figurant des navires en pleine mer, des vues portuaires et des paysages marins. D’une palette très sobre, aux tons bruts, l’artiste évolue vers plus de couleurs et de lumière à la fin de sa carrière. Pleines de vigueur, ses études semblent plus sincères que ses tableaux destinés au Salon, plus appliqués. Aujourd’hui, ses œuvres sont présentes dans les musées régionaux, notamment : Les Derniers Secours (acquis en 1905, musée de Picardie, Amiens), Coup de Vent en Manche (musée de la Marine, Étaples), Navire en Pêche (Musée Portuaire à Dunkerque), deux marines (musée de Berck-sur-mer), et au sein de nombreuses collections privées.

Auteur : Yann Gobert-Sergent