A la fin du 19ème siècle, le Boulonnais est devenu une région tout entière vouée à la pêche. Si le port de Boulogne s’inscrit dans la grande pêche industrielle, les petits havres voisins, de Wissant à Berck-sur-mer, pratiquent une activité plus traditionnelle, marquée par les petits métiers. Différents par nature, ces deux « paysages maritimes » se côtoient et sont source d’inspiration pour nombre d’artistes, venus retranscrire ces atmosphères très pittoresques. L’un d’entre eux, fils d’un professeur d’océanographie établi à Le Portel, est séduit dès le début de son parcours par cette peinture de bord de mer. Pourtant d’origine lilloise, Paul Hallez va croquer avec passion la vie des quais et des plages, à Boulogne mais aussi dans les petits villages environnants, notamment à Le Portel. Formé à l’école académique dans les années 1890, l’artiste s’en détache quelque peu et adopte un style plus libre, très coloré, mais où le dessin garde sa place première. Artiste à la longévité exceptionnelle, Paul Hallez reste à l’écart des courants artistiques novateurs de son temps. Bien que sa carrière boulonnaise s’avère brève, suivie par un départ précoce en Corrèze, l’œuvre de Paul Hallez demeure un témoignage précis et esthétique d’une époque aujourd’hui révolue. Il laisse une création d’une variété et d’une qualité impressionnantes, enveloppée d’un sobre « naturalisme marin ».
Paul Antoine Joseph Hallez est né à Lille le 27 janvier 1872, de Paul Marie Hallez, étudiant lillois en pharmacie âgé de 25 ans, et d’Adèle Berthélémy. Viendront ensuite une fille, Antoinette, et deux fils, Pierre et Louis. En 1878, Paul Marie Hallez soutient sa thèse à partir des travaux effectués à la station marine de Wimereux. Professeur à la chaire de zoologie jusqu’en 1906, succédant à Alfred Giard, puis professeur à la chaire d’embryologie jusqu’en 1919, il est le fondateur du laboratoire de biologie marine de Le Portel (mai 1888). Bénéficiant de bâtiments neufs, à proximité de fonds marins variés, Paul Hallez va produire de nombreuses recherches et publications. C’est dans ce contexte familial protégé, à la fois intellectuel et baigné par les embruns, que va grandir le jeune Paul Antoine Hallez. Partagé entre Lille et la côte boulonnaise, Paul Hallez est donc marqué, très jeune, par cette proximité avec la mer.
Enfant, Paul Hallez montre déjà des prédispositions pour le dessin. Son milieu familial contribue à l’éveil de sa vocation, car l’art est ancré dans la famille depuis plusieurs générations. Pour son métier, son père réalise de nombreuses planches des animaux peuplant les fonds marins, à la fois précises et délicates, pour ses études universitaires. Son grand oncle, Louis-Joseph Hallez, né à Lille le 25 novembre 1804, est illustrateur de livres religieux pour les éditions Manne, installées à Tours. Par sa mère, Paul Hallez descend également de Jean-Baptiste Carré de Malberg (1749-1835), auteur et illustrateur d’un atlas réputé et de traités de cosmographie. Après l’école primaire, Paul Hallez s’engage dans de brillantes études secondaires. Bien qu’il ne fasse pas médecine, son père lui accorde le droit de partir, après le baccalauréat, à l’École des Beaux-Arts. Il rejoint tout d’abord l’atelier lillois de Pharaon de Winter (1849-1924), le maître flamand de l’époque. Directeur des cours de dessin et de peinture à l’École des Beaux-Arts depuis 1887, Pharaon de Winter inculque le « beau métier » à Paul Hallez. Portraitiste accompli, il apprend à son jeune disciple l’importance de saisir l’âme de son modèle, pour aboutir à un art intime et accompli.
De novembre 1893 à septembre 1894, il fait son service militaire. De retour à la vie civile, il parachève sa formation dans l’atelier de Léon Bonnat (1833-1922). Professeur à l’École des Beaux-Arts de Paris depuis 1880, puis membre de l’Académie des Beaux-Arts l’année suivante, et enfin directeur de l’École des Beaux-Arts en 1905, Léon Bonnat est l’un des grands maîtres classiques, portraitiste couru de la bonne société et des politiques de la Belle Époque (Léon Gambetta, Jules Ferry, Adolphe Thiers). De nombreux artistes passent entre ses mains : Gustave Caillebotte, Georges Braque, Raoul Dufy, Henri de Toulouse-Lautrec, Abel Bertram. Paul Hallez y reçoit un enseignement issu d’une longue tradition académique française, où le dessin prévaut sur la couleur et la lumière. Chaque œuvre est pensée et travaillée en atelier, rien n’est spontané : on est bien loin de l’esprit impressionniste naissant. En 1896, Paul Hallez reçoit un premier prix d’atelier. Admis à concourir pour le prix de Rome, il y présente une grande composition classique, illustrant les thèmes biblique et historique grandiloquents, demandés par l’épreuve : « Jérémie pleurant sur les ruines de Jérusalem ».
Encore étudiant aux Beaux-Arts, Paul Hallez est déjà bien intégré dans le milieu artistique de sa région. Après la première exposition tenue au Palais Rameau à Lille, du 16 février au 10 mars 1890, le groupe des 37 artistes exposants fonde la Société des Artistes Lillois. Parmi eux, aux côtés de Pharaon de Winter et de Paul Lefebvre, Paul Hallez participe à cette nouvelle aventure. Il deviendra d’ailleurs le vice-président de cette Société de 1936 à 1940, puis le président de 1940 à 1949, et enfin le président d’honneur de 1950 à 1964. Fidèle, il y expose, sans discontinuité, pendant 69 ans, de 1895 à 1963.
A l’exposition annuelle des artistes lillois de 1895, Paul Hallez montre au public « Le Retour de Pêche« , sujet maintes fois repris par des peintres comme Georges Maroniez, Charles Roussel et Francis Tattegrain. Cette même année, il reçoit une grande médaille d’argent au concours Wicar, décernée par la Société des Sciences et des Arts de Lille. Puis, en 1897, c’est la consécration : il obtient ce prix Wicar avec une médaille d’or, destinée à « encourager les efforts et les progrès de cet artiste laborieux et consciencieux, qui a envoyé dix études, méritantes à degrés différents« . C’est à cette époque que Paul Hallez réalise ses premiers portraits, avec une facilité déconcertante. L’artiste est gratifié de nombreux compliments sur son art naissant : en mars 1897, Jules Duthil de « La Dépêche » note « qu’il y a dans ce jeune peintre un incontestable talent, beaucoup de facilité de savoir« . Mais l’académisme « colle » encore à son travail car il « s’oublie un peu dans l’admiration successive des maîtres à la mode, et il en reste quelque chose dans sa peinture« . Son portrait d’une « Vieille Mendiante » est qualifié de « sainement réaliste« .
En 1898, Paul Hallez vit sa dernière année à Paris, où il habite rue du Cherche-Midi, quartier très cossu proche des jardins du Luxembourg. Cette année-là, il présente au Salon des Artistes français une œuvre intitulée « Fillette du Portel« , montrant une jeune fille en costume traditionnel, installée sur la plage, empreinte d’accents sentimentalistes. Cette toile est également exposée avec « Vieille Mendiante » et « Pêche aux Moules » (pastel) au Salon de la Société des Artistes Lillois. Le pastel est finalement acquis par la Société populaire des Beaux-Arts. Il laisse également de nombreux dessins réalisés à Audresselles et à Équihen. Dans ses œuvres, l’artiste rend l’atmosphère émouvante grâce à l’usage de ciels crépusculaires, qui bénéficient de multiples nuances rosées.
Revenu à Lille, l’artiste s’installe chez ses parents au 58 rue Jean Bart, dans une maison bourgeoise près du centre, jusqu’en 1903. A l’exposition de Roubaix en 1900, apparaît une nouvelle diversité dans les sujets présentés. A côté des pêcheurs et des matelots, Paul Hallez croque les rues et les bâtiments de Lille, notamment la basilique Notre-Dame de la Treille, « s’élevant en sombre sur les maisons ensoleillées et dorées du fond« . En février 1901, il présente deux toiles au Salon des Artistes français à Paris, toujours dans la même veine : « Brodeuse » et « Portrait de Jeune Fille« . Manque de succès ou faible envie de s’imposer dans la capitale, Paul Hallez ne soumettra plus ses œuvres au Salon et se consacrera dès lors aux expositions nordistes. Quelques mois plus tard, à l’Exposition des Artistes Lillois, tenue au Palais Rameau, il y présente neuf huiles et pastels, réitérant ses sujets préférés, marins avec « Retour de Pêche« , « Sur la Dune » et « Vieux Loup de Mer« , des portraits et des vues urbaines. Durant l’été 1901, le peintre participe à l’Exposition Internationale des Beaux-Arts de Boulogne-sur-mer (18 juillet au 15 septembre 1901), tenue dans les halls de la Chambre de Commerce, aux côtés de Francis Tattegrain, Victor Dupont, Georges Ricard-Cordingley, Charles Roussel, Fernand Stiévenart, Alexandre Houzé et le couple Demont-Breton. Il y présente trois marines, dont « Retour de Pêche le Soir à Étaples » (musée de la Marine à Étaples). Dans cette grande toile, l’artiste use et abuse de coloris chatoyants, dominés par des roses orangés, si typiques des ciels couchants du Nord. Sur le quai, les matelotes en costumes traditionnels et leurs enfants accueillent les marins et leurs navires chargés de poissons.
Parfois, son travail provoque auprès de la critique des avis divergents. Dans « Le Progrès du Nord« , son « Vieux Loup de Mer » est particulièrement apprécié, car les « physionomies de ses mathurins sont des plus expressives. L’effet crépusculaire est bien traité, l’enfant cherchant à aider le vieux marin virant au cabestan, en unissant ses efforts aux siens, donne une note pittoresque à une œuvre réussie« . Dans « Europe Artiste« , « Hallez a un charme tout particulier pour présenter ses marines« . Mais l’abus de pittoresque, d’un style académique marqué, pèse encore beaucoup sur l’œuvre. Il montre des « toiles d’un impressionnisme déplorable« , selon le « Réveil du Nord« , si sévère, et qui n’a pas compris que le peintre dessine et travaille ses sujets « au scalpel« , en usant au minima des effets graphiques pour un rendu réaliste. En octobre 1901, il expose à Roubaix les mêmes sujets et rencontre le succès avec sa « Brodeuse« , « sujet traité un peu à la façon des vieux maîtres hollandais, ce qui donne énormément de relief à son personnage« .
Lors de la 15ème exposition des Artistes Lillois, tenue du 10 février au 16 mars 1902 au Palais Rameau, Paul Hallez montre davantage de toiles, plus ambitieuses, dont deux d’un grand format, ce qui est plutôt inhabituel pour le peintre. Aux côtés d’Alexandre Houzé et de Louis Sauvaige, Paul Hallez « nous présente, dans la note lumineuse qui lui est particulière, une série d’études prises à Boulogne et dans les environs, qui feront la joie de ses admirateurs« . Les deux grandes toiles, « La Barque Échouée » et « La Promise » (localisation inconnue) montrent des pêcheuses en costume traditionnel. « La Promise » arbore fièrement son soleil boulonnais et attend sur la plage, nonchalamment, en lisant une lettre.
Aboutissement de plusieurs études (dessins et huiles), « La Barque Échouée » domine les cimaises de l’exposition. Devenue épave, une barque échouée au nom évocateur de Notre-Dame-de-Boulogne est posée sur l’estran. Passant près des restes de cette coque à clins, deux pêcheuses animent la scène. Une pêcheuse, vêtue d’un châle et de jupons sombres, chaussée des fameux « patins » (chaussures ouvertes à petit talon), prend la pose avec sa manne (panier typique en osier) suspendue à son épaule. A ses côtés, portant la petite coiffe traditionnelle, une fillette tient un palot (petite pelle en fer), destiné à déterrer les arénicoles (vers de sable) utilisés pour les appâts. Elle regarde d’un air distrait l’amas de bois, qui fut autrefois une barque de pêche. A l’arrière-plan, à peine esquissés, des bateaux à voile occupent une mer calme surplombée d’un ciel encore clair, perturbé par le passage enfumé d’un navire à vapeur. Dans cette œuvre pittoresque, traitée dans une palette sobre usant de tons ocres et bleus, Paul Hallez travaille le sujet de manière académique, sans fioriture. Bien détaillés, les deux personnages restent néanmoins hiératiques et bien peu naturels. Seul le traitement du ciel, élégamment rosé, laisse échapper quelques timides libertés chromatiques. Si quelques notes d’un sentimentalisme contenu transparaissent dans les regards perdus des deux pêcheuses, l’ensemble montre une scène certes convenue, mais aussi solide, d’un épisode de vie de la marine boulonnaise.
Les autres petits formats, présentés à cette exposition, semblent bénéficier d’une approche plus libre. Servi par une palette claire et harmonieuse, le charmant « Ramasseur d’Épaves » (localisé à Le Portel) montre un enfant passant devant deux bateaux échoués. Davantage suggéré que dessiné, le personnage s’occupe à ramasser des bois abandonnés sur l’estran. Très répandue sur le littoral, cette activité apporte, pour les petites gens, les femmes et les enfants, quelques faibles revenus souvent indispensables. « Oh ! Hisse ! » et « A La Mer » sont les titres évocateurs d’œuvres enlevées, décrivant des scènes typiques de matelots et de leurs embarcations, déjà croquées par Edmond de Palézieux et Francis Tattegrain. Ces deux tableaux reçoivent une bonne critique qui les trouvent « largement peints et pleins de mouvement« . Créées au début du 20ème siècle, ces œuvres ne sont pas sans rappeler également les compositions de Charles Roussel. « La Barque Échouée » est similaire aux « Pêcheurs de Crevettes » de l’artiste berckois, montrant un couple de pêcheurs devant une épave. Les thèmes des petites pochades de Charles Roussel, qui décrivent des scènes de labeur maritime, sont identiques à ceux choisis par Paul Hallez. Francis Tattegrain, Eugène Chigot, le couple Demont-Breton et bien d’autres exploitent également la veine du « naturalisme marin« . Et chacun connaît alors un parcours et une reconnaissance du public.
Le 22 juin 1902, Paul Hallez est nommé professeur de dessin à l’école des sourds-muets de Ronchin en remplacement de M. Perdreau. A cette époque, durant l’été, Paul Hallez part en Corrèze travailler ses toiles boulonnaises mais aussi, de plus en plus, de sujets du Limousin. En août 1902, il participe à la colonie d’artistes de Treignac où, « peintre bien connu des falaises boulonnaises, il choisit cette année-là notre pays comme champ d’études« . Une « Rue de Treignac » est acquise par le musée de Tulle en 1904. L’exposition des Artistes Lillois de 1904 est toujours un succès, mais Paul Hallez montre déjà des signes de faiblesse dans les sujets qu’ils traitent. Dans « La Vie Lilloise« , le critique Jean Douzy loue « son étude très fouillée du maître jardinier Saint-Léger. […] Mais quel dommage de voir Paul Hallez s’égarer dans une composition comme « Les Lavandières », où son inspiration s’essouffle« . Par contre, sa grande toile de Le Portel est « d’une belle composition et d’une couleur chaude et discrète« . C’est « un peintre de genre distingué et émérite« . Plus que jamais, toujours hermétique aux nouvelles expériences artistiques, en pleine effusions fauvistes, Paul Hallez pratique le « beau métier » des anciens maîtres, au dessin juste et précis, aux coloris sobres et réalistes.
Lors du Salon lillois de 1905, Paul Hallez se renouvelle. Il y présente six portraits, très bien accueillis, dont une « Fille de Bohème« , « aux chairs admirables et à la tête très expressive, supérieurement brossée« . En 1906, l’artiste accroche aux cimaises du Salon des portraits et des scènes d’intérieur, aux côtés de marines anciennes. Au Salon de 1907, toujours tenu au Palais Rameau, les sujets maritimes sont omniprésents et lassent le public et les critiques. Plus que jamais, Paul Hallez s’avère être un bon observateur des gens de mer et de leur travail, mais « il est un peu trop maussade et fait preuve d’une recherche souvent attrayante, mais poussée quelque peu à l’extrême« . Son art, toujours juste, devient parfois ennuyeux et vieillissant, notamment dans les grandes compositions. Les pochades et autres dessins bénéficient d’une facture plus libre et plus moderne. Les années suivantes se ressemblent, partagées entre des sujets maritimes, des portraits et des paysages du Limousin.
Durant les années 1900-1910, l’artiste continue à explorer la France et participe aux Salons de Roubaix (1900-1901), d’Angers (1901 à 1908), de Monte-Carlo (1902), de Douai, de Boulogne-sur-mer, de Nantes, de Limoges (1904), d’Arras, de Tournai et de Namur (1907). Dès lors, Paul Hallez diversifie son œuvre au gré de ses voyages, et peint des vues urbaines et campagnardes. A Boulogne, il croque le port avec le quai Gambetta et ses marins, la jetée et ses élégantes, la vieille-ville avec sa « Rue d’Aumont » (1906) réalisée dans des tonalités chatoyantes, tout comme deux vues des environs de la jetée à Le Portel. Il produit aussi des vues lilloises, notamment « Le Théâtre incendié de Lille » (1903) et d’autres monuments, sources iconographiques aujourd’hui précieuses. Il laisse du Nord des vues enneigées de Bruges, présentées à Arras (1904). Enfin, toujours portraitiste apprécié, il peint le docteur Paquet, médecin-major du bataillon des canonniers de 1870 à 1879, qui enrichit les collections du Musée des Canonniers Lillois en 1904.
En 1910, un tournant s’opère dans la vie et l’œuvre de Paul Hallez. A 38 ans, il épouse Fernande Dunaigre, seconde fille du notaire de Saint-Setiers en Corrèze. Rencontré en 1902 à Treignac, lors de sa première venue, le mariage a lieu le 23 août 1910 dans des fastes vantés par la revue « Les Beaux Mariages Limousins« . Pratiquant la peinture sur porcelaine, Fernande reçoit les conseils de son « maître-époux« . Ils exposeront ensemble. En 1911, l’artiste achète une maison au 24 rue Duhem à Lille, qu’il occupera jusqu’à sa mort. L’année suivante, le couple voit la naissance de Marie-Antoinette, puis de Jeanne en 1913. Dès lors, les vues du Massif Central prennent une place prépondérante : « Routes Ensoleillées en Corrèze« , « Soir dans les Pacages du Plateau de Millevaches » ; les sujets boulonnais deviennent plus rares. La palette de l’artiste prend également une nouvelle dimension, plus colorée et lumineuse. Les œuvres deviennent plus enlevées et dynamiques.
Malgré ce changement de vie, Paul Hallez reste professeur à Lille, et rejoint la Corrèze pendant les deux mois d’été. Passionné par la photographie, il profite de la période scolaire pour prendre en photo, sur plaques de verre, les quais boulonnais, les gens de mer et leurs bateaux. Puis, pendant les vacances, il projette dans sa propriété corrézienne, sur un grand drap tiré, ces prises marines. Toujours dans la recherche d’une vérité indiscutable, Paul Hallez construit ses compositions en prélevant sur ces clichés plusieurs éléments, qu’il recompose ensuite dans ses tableaux. Nanti d’une palette plus lumineuse, son œuvre s’affranchit quelque peu des scléroses académiques. Quand la Première guerre mondiale éclate, Paul Hallez rejoint Dunkerque (25 juin 1915), où il croque à souhait les endroits qu’il traverse. En septembre 1916, il est au cœur des combats près de Lunéville. Sa maison lilloise est occupée et saccagée par les Allemands, qui emportent nombre de petites toiles et en détruisent d’autres trop grandes pour être emportées, comme « Jérémie sur les Ruines de Jérusalem« , crevée d’un coup de baïonnette.
La paix revenue, l’artiste continue sa carrière, partagé entre la Corrèze et le Nord. En 1921, il devient sociétaire des Artistes Indépendants et des Artistes français. Son art continue son évolution, s’amende grâce à l’emploi de verts tendres, de mauves et de roses orangés plus toniques. En février 1928, dans la salle de lecture des magasins Boka à Lille, Paul Hallez montre 64 œuvres, dont seulement six lilloises et aucune marine. Fernande expose à ses côtés. L’expérience est répétée en janvier-février 1929 à la galerie Bleue à Lille, avec 74 travaux, dont un seul « Coin de Boulogne« . En octobre 1933, la galerie Montsallut accueille 41 peintures, toutes de la Creuze ou de Champagne. Les expositions collectives se poursuivent, associant maintenant Marie-Antoinette, la fille du couple, dont une importante à Lille en 1936. Dans la débâcle de 1940, la famille demeure à Lille dans la pénurie et l’inquiétude. La vie reprend son cours à la Libération. En 1950, déjà âgé, Paul Hallez présente sa dernière exposition dans une galerie lilloise. Il peint jusqu’à sa mort survenue le 7 octobre 1965 à Limoges, chez sa fille.
Durant sa longue carrière, Paul Hallez parcourt et croque à l’envi la Côte d’Opale. A partir d’un travail photographique repris en atelier, il laisse environ un millier d’œuvres. Héritier de la tradition, imperméable à tout courant avant-gardiste, il n’expose pas aux Salons des Indépendants ou d’Automne à Paris. Paul Hallez ignore aussi la modernité de l’École d’Étaples emmenée par Henri Le Sidaner et Eugène Chigot, ou encore le Groupe de Wissant rassemblé autour du couple Demont-Breton. De plus, les musées ont peu acquis ses œuvres, excepté à Lille (mairie, musée des Canonniers) et dans le Limousin. Aussi, sa notoriété, pourtant importante de son vivant, est aujourd’hui devenue bien faible. Sa vocation artistique n’est pas expérimentale : elle s’inscrit dans l’observation du monde maritime et sa représentation, la plus juste possible, par la peinture à l’huile, l’aquarelle et le pastel. Les effets de style sont limités à l’usage d’une palette colorée, qui se libère peu des contraintes académiques, et à quelques notes d’un sentimentalisme contenu. Des bleus et des roses, typiques de son style, s’épanouissent dans des crépuscules éclatants. Mais, toujours, le dessin domine le sujet.
Dans la « Revue Moderne« , en juillet 1914, un critique retrace la carrière de Paul Hallez et en résume bien l’art : « Les principales qualités de ce peintre sont la sobriété et la force, l’élégance et la simplicité. C’est un coloriste d’une rare hardiesse qui sait toujours rester dans les bornes d’un goût parfait. Dans ses paysages, aussi bien que dans ses marines, portraits, intérieurs et scènes de genre, Paul Hallez sait, au moyen d’un métier parfaitement su et d’une facture toujours appropriée au motif choisi, rendre avec force les émotions diverses suscitées en lui par les aspects divers de la nature et leurs multiples significations« . Comme beaucoup d’autres artistes de son temps, Paul Hallez exploite le « naturalisme marin » en vogue à l’époque, inspiré par les côtes, les ports et les gens de mer du Boulonnais.
Auteur : Yann Gobert-Sergent