Francis Tattegrain (1852-1915) – le maître naturaliste de Berck


Francis Tattegrain, le troisième fils de Charles-Louis Tattegrain (1806-1879), président du Tribunal d’Amiens, et de Thérèse Marie Voillemier (1819-1881), est issu d’une famille de magistrats et de l’une des plus anciennes familles de Péronne, dont le bisaïeul était mayeur de la ville en 1781. Malgré son désir de se consacrer à la peinture, il obtient l’approbation de son père pour poursuivre des études de droit en échange. Il obtient son doctorat en droit avec brio, mais ne se consacre ensuite plus qu’à la peinture.

Le jeune Francis découvre Berck avec ses parents dès 1865, où son père fait construire un chalet au 28, rue de l’Entonnoir. Ce lieu de vacances deviendra le cadre principal de son œuvre picturale. Un peuplus tard, Francis Tattegrain rencontre Napoléon Lepic, artiste peintre de passage qui va le conforter dans sa vocation. Le 2 septembre 1882, il épouse Eugénie Joséphine Anne Deleviéleuse. Le couple a trois enfants : Robert (né en 1883), Thérèse (née en 1886) et Jeanne (née en 1890).

Son terrain de prédilection est la baie d’Authie, où il acquiert 100 hectares de dunes et construit un atelier qui lui permet de travailler sur de grands formats en lumière naturelle. Il travaille également sur toute la côte d’Opale, d’Audresselles à Wissant, où il retrouve souvent ses amis Virginie Demont-Breton et son mari Adrien Demont. La rencontre avec Ludovic-Napoléon Lepic à Berck en 1876 est décisive : « ce qui m’a décidé à m’adonner complètement à la peinture, ce fut, en 1876, ma rencontre à Berck avec le comte Lepic qui travaillait sur la plage en plein vent… ».

Pendant l’hiver, il séjourne à Senlis dans la maison de son grand-père maternel, le docteur Jean-Baptiste Voillemier (1787-1865), qui est également un proche parent du sculpteur Edmé Bouchardon et le premier président du Comité Archéologique de la ville depuis sa fondation en 1863. Encouragé par son frère, le sculpteur Georges Tattegrain, et incité par Ludovic-Napoléon Lepic, Francis Tattegrain poursuit sa formation artistique à Paris tout en étudiant le droit. Il intègre l’Académie Julian en 1877 où il bénéficie de l’enseignement de Jules Lefebvre et Gustave Boulanger.

Deux de ses tableaux sont admis au Salon des artistes français en 1879, événement qui marque le début d’une présence ininterrompue jusqu’en 1914 :

  • 1879 : Retour de la pêche à Berck.
  • 1881 : La Femme aux épaves, mention honorable.
  • 1882 : Débarquement de harengs.
  • 1883 : Les Deuillants à Étaples, médaille de 2e classe.
  • 1887 : Les Casselois, dans les marais de Saint-Omer, se rendant à merci au duc Philippe le Bon (4 janvier 1430).
  • 1889 : Louis XIV visitant le champ de bataille de Dunes.
  • 1892 : Entrée de Louis XI à Paris (dessin) ; Étude pour l’entrée de Louis XI à Paris, portrait de Robert Tattegrain, huile sur toile.
  • 1894 : Jeune Garçon en vareuse à mi-corps ; Débarquement de vérotiers dans la baie d’Authie.
  • 1896 : Les Bouches inutiles.
  • 1899 : Saint-Quentin pris d’assaut, médaille d’honneur.
  • 1905 : Les Filets volés, saison du hareng.
  • 1906 : Désemparé.
  • 1907 : Mouillage de détresse, falaise du Cran aux œufs.
  • 1909 : Attendant marée basse.
  • 1910 : Soir de naufrage.
  • 1911 : Batterie de côte engagée, dernière période du Blocus continental.
  • 1912 : Sauveteur d’épaves.
  • 1913 : Sur la côte à noyés ; L’Orémus.
  • 1914 : Marie la Boulonnaise.

Son talent lui vaut de nombreuses commandes, comme celle de « L’Entrée de Louis XI à Paris » pour l’hôtel de ville de Paris en 1892, et plus tard, de « La Cérémonie des récompenses » à l’Exposition universelle de 1900 en 1904. Francis Tattegrain fut peintre d’histoire, aquafortiste et portraitiste pendant une brève période vers la fin des années 1870 et le début des années 1880. En 1894, Léon Coutil, un passionné d’histoire, invite Tattegrain aux Andelys, où il réalise son tableau « Les Bouches inutiles » présenté au Salon des artistes français en 1896 et à l’Exposition universelle de 1900. Il en fera au moins huit études. Cette œuvre représente le siège de Château-Gaillard en 1204 par les troupes de Philippe-Auguste, roi de France.

En 1899, il reçoit la médaille d’honneur pour « Saint-Quentin pris d’assaut » au Salon, témoignant de la faveur dont jouit l’un des peintres les plus honorés de la Troisième République. Depuis près de vingt ans, il bénéficie de nombreuses commandes publiques, et Édouard Herriot le décrit comme ayant « le crayon d’Ingres, la palette de Delacroix ».

En 1881, « La Femme aux épaves » lui vaut une mention honorable au Salon, suivi de la médaille de deuxième classe en 1883 pour « Les Deuillants » à Étaples, ce qui le met dès lors hors-concours. Tattegrain est reconnu comme un maître du naturalisme dans le domaine marin, avec des compositions souvent d’un réalisme audacieux mais harmonieux. Son style franc et son coloris juste soulignent les drames qui sont souvent mis en scène dans de grandes compositions. Sa série de petits portraits des pensionnaires de l’Asile de Berck est exceptionnelle et reflète la grande humanité, la sincérité et le charisme de l’artiste (à admirer au superbe musée de Berck-sur-Mer).

Tattegrain offre en 1888 un « Débris du Trois-Mâts Majestas » exceptionnel au musée Alfred-Danicourt et à ses concitoyens péronnais. Bien qu’il soit connu pour son traitement virtuose des sujets dramatiques, tragiques, voire sinistres, traités avec simplicité et émotion, il a également produit de nombreux tableaux traitant de la vie quotidienne des pêcheurs de Berck. Son tableau de 1912 représentant un couple de naufrageurs au Cran aux œufs (près d’Audresselles) et intitulé « Sauveteurs d’épaves ».

En 1882, Francis Tattegrain devient sociétaire de la Société des artistes français. Il reçoit le titre de Rosati d’honneur en 1899. En 1910, il conseille la veuve d’Eugène Thirion de faire don du tableau « Persée vainqueur de Méduse » au musée d’art et d’archéologie de Senlis.

Il meurt au champ d’honneur dans le Pas-de-Calais pendant la Première Guerre mondiale. Le général Boichut nous éclaire sur sa mort dans ses Mémoires : « Le 1er janvier 1915, la palette à la main, l’illustre peintre Francis Tattegrain mourait à 63 ans, au champ d’honneur, alors qu’il reconstituait, sous les obus, l’esquisse du beffroi d’Arras. »

Représenté dans de nombreux musées, notamment à Boulogne-sur-Mer, Berck, Etaples, Cassel, Péronne, Saint-Quentin, Senlis, Dijon, Dieppe, Valenciennes, Caen, Le Mans, Vernon, Nantes, au château de Versailles, aux musées du Louvre et d’Orsay, et dans de nombreuses collections privées.

Auteur : Yann Gobert-Sergent