Fernand Stiévenart est né à Douai le 21 mai 1862 dans une famille de notables. A l’adolescence, il passe ses vacances d’été sur la Côte d’Opale, à découvrir les chemins ensablés et la mer aux bleus capricieux. Au lycée, il rencontre Georges Maroniez (1865-1933) et, après des études de dessin faites de 1878 à 1880 dans sa ville natale, il part à Paris suivre les cours de Gustave Boulanger à l’École Nationale des Beaux-Arts. Mais, la mort précoce de son père en 1888 bouleverse son plan de carrière. Jeune héritier, il n’est plus assujetti aux contingences commerciales et peut désormais produire ses œuvres plus librement, à son rythme. A la fin des années 1880, Fernand fréquente l’atelier d’Émile Breton (1831-1902), qui accueille à Courrières nombre d’artistes en quête de conseils. Il y fait la connaissance d’Adrien Demont (1851-1928), époux de la peintre Virginie Demont-Breton (1859-1935). Dans leur maison à Montgeron, les Demont-Breton attirent la belle société et “reçoivent souvent, le dimanche, quinze à vingt convives autour de la table. On y rencontrait Luc Olivier Merson, Rovel, Planquette, Stiévenart, Salgado, Maroniez…”. Amitié et filiation artistique s’établissent entre Adrien Demont et Fernand Stiévenart.
A cette époque, les Demont-Breton découvrent Wissant, une petite bourgade de pêcheurs, sauvage et pittoresque, nichée entre les Caps Blanc-Nez et Gris-Nez, où ils viennent peindre l’été. Leur registre pictural bénéficie du folklore des gens de mer, des flots tempétueux et de la blondeur immaculée des dunes. En 1890, le couple s’y installe définitivement, dans une maison-atelier cossue de style égyptisant, le Typhonium, perchée sur les hauteurs du village. Plusieurs amis et disciples les y rejoignent, à l’instar de Francis Tattegrain (1852-1915), le chantre de la marine berckoise, et du couple douaisien Henri (1860-1941) et Marie Duhem (1871-1918). Ils composent le « Groupe Demont » ou « l’École de Wissant ». Parmi les élèves, Félix Planquette (1873-1964), peintre animalier de renom, Georges Maroniez, spécialiste des marines au clair de lune et des retours de pêche mouvementés, et Fernand Stiévenart, reçoivent les conseils d’Adrien Demont : « Les jours où le grand vent du large nous empêchait de peindre sur la plage ou quand il pleuvait, le rustique hangar de madame Lefebvre-Duval nous servait d’abri et d’atelier de plein air. Fernand Stiévenart et Henri Duhem, logés à l’hôtel Duval, y venaient aussi. L’École Demont se met au vert disait Maroniez”. Tous ces artistes s’influencent mutuellement, partant peindre en petits groupes, protégés du soleil par des parasols, sous la férule du maître Adrien Demont.
Au tout début des années 1890, Fernand rencontre Juliette de Reul, une jeune fille de dix ans sa cadette, qui le rejoint à Douai, malgré l’opposition de son père, le romancier belge Xavier de Reul (1830-1895). Le couple loge dans la maison familiale à Douai, mais fréquente de plus en plus Wissant durant la saison estivale. C’est le temps des pochades réalisées en groupe sur le motif, au pied du Mont de Couple, le promontoire dominant le bourg, ou à l’entrée de l’Herlen, la petite rivière qui serpente au milieu du village. Une amitié sincère s’instaure entre tous ces peintres, qui deviennent modèles à tour de rôle, s’offrant des œuvres dédicacées. Fernand croque à plusieurs reprises sa compagne, au milieu des champs de fleurs ou assise, sublimée d’une robe à crinoline, dans les herbes folles. En 1893, quand Virginie Demont-Breton prépare son œuvre magistrale Jean Bart enrôlant ses matelots, présentée au Salon des Artistes français de 1894, certains élèves posent pour elle : “La ville de Dunkerque l’avait définitivement acquis pour son musée. L’artiste, pour composer ce tableau, s’était documentée sur l’aspect de la ville sous Louis XIV, au moyen d’anciennes gravures. Ce fut le peintre Félix Planquette qui posa pour Jean Bart et Fernand Stiévenart pour le scribe enrôleur. Ce tableau eut un grand succès au Salon”. Cette “toile à sensation” brûlera dans l’incendie du musée des Beaux-Arts de Dunkerque durant l’été 1940 et, à présent, seules sont connues la toile préparatoire de l’écrivain ainsi que quelques études éparses.
Dès 1893, Fernand et Juliette louent la Villa Siame, une solide longère typique de la région, ornée de pannes flamandes, aux murs de torchis blanchis à la chaux, souvent brossée sous leurs pinceaux. Le couple Demont-Breton apprécie leur présence, car “deux artistes seulement, logés dans le village, restent encore, aimant comme nous à voir ce petit coin de France dans toute sa sauvagerie, ce sont nos élèves Fernand Stiévenart et Félix Planquette, qui exposent chaque année au Salon des Champs-Elysées”. A l’instar de Virginie Demont-Breton, qui chérit ses jeunes modèles choisis au village, les Stiévenart se désespèrent également des disparitions en mer, des mousses arrachés à la vie trop jeunes. Ils s’investissent avec les Demont-Breton, Félix Planquette et d’autres artistes à travers « L’Épave », une association destinée à aider les victimes, organisant des collectes de fonds et des ventes caritatives d’œuvres.
En 1895, le couple fait construire sa maison-atelier, une grande demeure située à l’écart du village, baptisée Sainte-Marie-des-Fleurs. Puis, l’année suivante, à la mort de Xavier de Reul, il s’unit à Saint-Gilles-lez-Bruxelles. En 1902, Juliette y met au monde leur fils unique, Emmanuel. Durant ces années wissantaises, le couple expose au Salon des Artistes français à Paris, participe à l’Exposition Internationale des Beaux-Arts de Boulogne et aux salons du Nord de la France, à Douai, Roubaix-Tourcoing et Lille. Mais, Fernand Stiévenart se détache progressivement de l’influence de ses maîtres, les carcans des salons officiels ne répondant plus à ses inspirations. En 1909, la famille déménage à Bruxelles, dans un bel hôtel particulier que le couple s’est fait construire au 80 avenue de Bel Air (quartier d’Uccle). Fernand Stiévenart peut ainsi exposer plus facilement aux salons belges, à Gand et à Bruxelles, et se livrer à de nouvelles expériences, de la gravure à l’estampe.
Ces années de bonheur s’achèvent brutalement à l’été 1914. Lors de la Première Guerre mondiale, les troupes allemandes entrent à Bruxelles. Pris d’inquiétude, les Stiévenart abandonnent leur hôtel particulier le 28 novembre 1914, pour rejoindre Wissant. Pourtant, malgré une occupation de 51 mois, “la capitale n’est pas le théâtre d’engagements militaires violents et un calme relatif règne”. Rassurée par la situation, la famille Stiévenart regagne Bruxelles dès le 26 février 1915, de manière définitive.
La paix revenue, les destructions dans le Nord de la France s’annoncent incommensurables. Les Demont-Breton ont perdu leur maison familiale à Courrières. Pire, les Duhem sont décimés, Rémy est tué au combat en juin 1915, sa mère Marie décède en juillet 1918 de chagrin. Seul rescapé, Henri Duhem se retrouve dans une grande précarité à Saint-Amand. En octobre 1918, Fernand Stiévenart l’invite à venir se réfugier chez lui à Bruxelles ; les amitiés d’artistes restent bien vivaces en ces temps sombres. Plus tard, Sainte-Marguerite-des-Fleurs est vendue à l’artiste Paule Crampel (1864-1964). Dispersée et meurtrie, l’École de Wissant s’éteint doucement. Dans les années 1920, la vie reprend son cours, les expositions redémarrent. Mais Fernand meurt brutalement à Bruxelles le 22 janvier 1922. Juliette y décède encore jeune, trois ans plus tard, le 26 janvier 1925.
Auteur : Yann Gobert-Sergent