Eugène Chigot (1860-1923) – chef de file de l’École d’Étaples

Eugène Chigot voit le jour à Valenciennes, dans la demeure qui abrite ses parents, au 4 rue des Foulons, le 22 novembre 1860. À partir de 1872, il embrasse le chemin des études à l’institut Notre-Dame de Dunkerque. C’est là qu’il croise la route d’Henri Le Sidaner, deux années son cadet, et scelle avec lui une amitié profonde. Son séjour au collège est tumultueux, car les études ne suscitent en lui aucun attrait. Son père, en revanche, désire qu’il obtienne son baccalauréat. Mais cette aspiration lui importe peu : son rêve est de devenir peintre. Ainsi, il regagne le cocon familial à Valenciennes, où il s’adonne à passer ses journées dans l’atelier paternel. Alphonse Chigot, peintre militaire, est donc son maître et en même temps celui qui tente de le dissuader de se lancer dans la voie artistique.

En 1879, Alfred Roll (1846-1919) rend visite à Alphonse Chigot et s’avère frappé par la nature morte peinte par son fils. Malgré les réticences, Roll parvient finalement à convaincre Alphonse d’envoyer Eugène à Paris. C’est ainsi qu’en 1881, Eugène Chigot intégre l’École des beaux-arts, dans l’atelier d’Alexandre Cabanel (1823-1889). Dès cette année-là, il se voit décerner la première médaille d’esquisse. Il fréquente également les ateliers de Vayson et de Bonnat de 1881 à 1886.

Après avoir achevé son parcours à l’École des Beaux-arts, Eugène Chigot consacre de nombreuses années à Étaples, où il retrouve son ami d’enfance, Henri Le Sidaner. En 1887, Eugène Chigot s’installe à Étaples, initialement dans un logement loué, probablement à proximité de l’église. Par la suite, il aménage son propre atelier sur le boulevard de l’Impératrice, à la hauteur du calvaire des marins, avant que celui-ci ne soit déplacé. Grâce à une bourse de voyage obtenue au Salon des artistes français avec son œuvre Pêche interrompue en 1887, il a l’opportunité de visiter l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas. Grâce à son tempérament jovial et audacieux, il insuffle vie à ce qui serait ultérieurement connu sous le nom de « l’École d’Étaples ». De nombreux peintres français et étrangers se joignent à lui : les Français Henri et Marie Duhem, le Norvégien Fritz Thaulow, les Américains Bohm, Couse, Tanner, l’Anglais Hankey, ainsi que les Australiens Bunny, Rae et Rix. Vivant en communion, ils s’affranchirent des contraintes de l’académisme officiel, s’efforçant de s’en libérer. Eugène Chigot organise même en 1892 une première grande exposition des œuvres de ces artistes à Étaples.

Au Salon des artistes français, il présente en 1889 Fuyant l’invasion de 1870, puis La Prière du soir, qui lui vaut la médaille de deuxième classe, hors concours. Toujours porté par les grands formats, il réalise en 1891 Perdus au large. Au salon de 1892, il expose Échouage par gros temps. À partir de 1891, il devient peintre officiel de la marine, ce qui le conduit notamment à réaliser Entrée du canot de l’amiral Avellan à Toulon, le 13 octobre 1893, présenté au Salon de 1894. Revenant vers ses terres de prédilection, Eugène Chigot entreprend en 1895 la réalisation de La Légende des barques miraculeuses, également connue sous le nom de La Légende de Saint-Josse, La Procession de Saint-Josse ou Le Pèlerinage de Saint-Josse, une toile commandée par l’État et exposée au Salon de 1896. En 1900, il achève Heure mourante, puis en 1902, Tendresses nocturnes (musée de Rouen). Pour couronner cette longue série d’œuvres magistrales, mentionnons également le tableau Pax, réalisé en 1910 pour le musée de la Paix de La Haye, figurant une scène pastorale avec couple de paysans et leur bébé, devant une paire de vaches dans une décor sublimé. Ces grands formats nécessitent un effort considérable et la réalisation de nombreuses études préliminaires, témoignant de la rigueur et de la minutie avec lesquelles Eugène Chigot aborde son travail.

À partir de 1893, Eugène Chigot séjourne à Berck, et c’est cette année-là qu’il scelle son union avec Marthe Colle, le 8 avril. Marthe, dotée d’une brillante éducation, est encore très jeune lorsqu’elle épouse Eugène, qui va rapidement se révéler un peintre d’un talent exceptionnel. Elle comprend avec une grande sensibilité les aspirations de l’artiste, l’accompagnant lors de ses fréquents voyages à la recherche de la lumière et de la couleur, que ce soit à Étaples, à Petit-Fort-Philippe, dans le Midi, le long de la Loire, ou à Honfleur. À chaque endroit, elle crée un foyer où son mari peut trouver le calme et la sérénité nécessaires après les élans passionnés du peintre, lui permettant ainsi de saisir de son pinceau les reflets de l’eau, le jeu des nuages et du soleil, l’éclat des fleurs ou le vol d’un oiseau. En 1890, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur, une reconnaissance qui témoigne de la reconnaissance de son talent artistique.

En tant que conseiller municipal d’Étaples, Eugène Chigot occupe également le poste de président de la Société des amis des arts d’Étaples, qui organise la première exposition de peinture dans la ville en 1892. En 1893, Eugène Chigot établit son atelier à Berck-sur-Mer. C’est là qu’il réalise notamment Le Soir à Merlimont, qu’il envoie au Salon de 1893. Par la suite, il revient s’installer à Étaples de 1893 à 1895, puis au Touquet de 1895 à 1898, résidant dans la villa Saint-Josse, à l’entrée de la rue de Paris. En 1898, Eugène Chigot quitte Le Touquet pour Dunkerque, où il séjourne pendant près de cinq ans, d’abord rue du Jeu de Paume, puis au 21, rue de l’Abreuvoir. Durant cette période, il se lance dans des commandes officielles du gouvernement. Pour la ville de Dunkerque, il réalise un panneau de 650 x 350 cm représentant Le Départ du président Félix Faure pour la Russie, destiné à la salle des fêtes de l’hôtel de ville.

Vers 1900, il fait la connaissance de Frantz Jourdain, le créateur infatigable et animateur du Salon d’Automne, avec qui il développe une amitié indéfectible. En 1903, il exposa aux côtés de Bonnard, Gauguin, Guillaumin, Lebasque, Marquet, Matisse, Puvis de Chavannes, Odilon Redon, Renoir, Toulouse-Lautrec et Villon. Dès lors, il devient l’un des rares artistes à exposer aux deux Salons. En janvier de la même année, il est nommé officier de l’Instruction publique et inspecteur de l’enseignement du dessin et des musées.

Durant la guerre de 1914-1918, sa fille Mathilde se trouve à Lille, en zone occupée, jusqu’au 13 décembre 1915, tandis que le reste de la famille réside à Paris. Son vieux père, Alphonse Chigot, fidèle à Valenciennes et toujours animé d’un patriotisme fervent, n’ayant jamais cessé de peindre des défaites imaginaires allemandes, s’éteint à l’âge de 93 ans. Eugène Chigot, trop âgé pour être mobilisé, se voit confier des missions auprès des armées en 1917. Il réalise de nombreuses toiles dépeignant les villes bombardées de Calais, Dunkerque, Coxyde et Nieuport. Profondément bouleversé de voir son cher pays ravagé et saccagé, il peint les ruines, les prisonniers allemands, les blessés. Cette année-là est marquée par ses « œuvres de guerre » et une audacieuse exposition au théâtre de Calais, soutenue par le général Ditte.

Prématurément vieilli, affecté par la dépression, Eugène Chigot se consacre sans relâche à la représentation de son jardin rue de Bagneux. Bien qu’il tente en vain de retrouver de nouvelles sources d’inspiration à Honfleur, qui le charme tant, il s’éteint à Paris le 14 juillet 1923. Le Salon d’Automne de cette même année lui rend hommage à travers une rétrospective émouvante.

Bien que certaines de ses toiles, notamment ses grands formats et quelques commandes officielles, se trouvent dans une vingtaine de musées et lieux publics, son œuvre, dans son ensemble, est dispersée, principalement en France, mais également en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique et en Suisse.

Auteur : Yann Gobert-Sergent