Eugène Trigoulet est né le 3 juillet 1864 à Paris. Il entre en 1882 à l’École des Beaux‑Arts de Paris, où il suit les cours de maîtres prestigieux tels que Jean‑Léon Gérôme, Henri‑Léopold Lévy et Albert Maignan, et sort diplômé de l’Ecole en 1889. Dans les années qui suivent, il tente à plusieurs reprises le concours du Prix de Rome : après une “mention” en 1892, il remporte en 1893 le second grand prix pour un tableau inspiré d’un thème mythologique (autour de Samson).

Grâce au Prix de Rome puis à ses voyages personnels, Trigoulet multiplie les séjours à l’étranger. Dès avant 1900, il rapporte des idées et des souvenirs d’Italie, d’Espagne, de Bruges (Belgique), d’Algérie et plus généralement de plusieurs régions d’Europe et d’Afrique du Nord.
Dès la fin des années 1880, Trigoulet est nommé professeur de dessin aux ateliers d’art de la ville de Paris, poste qu’il tiendra pendant plusieurs décennies. Parallèlement, il expose régulièrement ses œuvres : il est admis au salon officiel dès 1889, puis plus tard au salon d’automne dans les années 1900. Durant cette période, ses sujets sont souvent académiques : scènes bibliques ou mythologiques, portraits, compositions classiques, ce qui correspond au goût de l’époque et à son cadre de formation.
En 1898, pour des raisons de santé, Eugène Trigoulet s’installe à Berck‑sur‑Mer. Il y demeure les douze dernières années de sa vie, rue du Phare à Berck. C’est à partir de 1900 que son œuvre se concentre presque exclusivement sur cette région — plages, marines, pêche, scènes villages, habitants, retour de pêche, pêcheuses, travaux maritimes…

À Berck, s’il côtoie le registre naturaliste — courant dominant chez les peintres de la marine de la région — Trigoulet s’en distingue rapidement. On remarque chez lui une simplification drastique des arrière-plans, une gamme chromatique restreinte (souvent gris, beige, camaïeu sobre), un graphisme nerveux, des traits suggérés plutôt que détaillés — presque une approche moderne, voire expressionniste.
Eugène Trigoulet meurt le 6 juin 1910 à Berck-sur-Mer, à l’âge de 46 ans. Très vite après sa mort, en 1912, une grande rétrospective de son œuvre est organisée à la Galerie Allard à Paris. À l’occasion du 110ᵉ anniversaire de sa disparition, le Musée Opale‑Sud (Berck-sur-Mer) a organisé une exposition intitulée La rêverie du poète, l’inspiration du peintre, pour mettre en lumière l’originalité et la modernité de son œuvre. Son œuvre reste un pont entre deux époques, la tradition académique du XIXᵉ siècle et des intuitions modernes qui seront plus pleinement explorées au XXᵉ siècle.

Le critique d’art Gustave Geffroy dit de lui :
« Eugène Trigoulet est le peintre de Berck, de la plage, des barques, des hommes et des femmes asservis au labeur de la mer. Il aurait pu s’illustrer ailleurs, car il possédait certains des dons fort rares qui créent les œuvres originales : savant et fin dessinateur, humoriste acerbe, coloriste délicat et surtout, ce qui commande tout le reste, visionnaire des choses existant avec leur signification. Ces qualités foncières, développées par une étude incessante, par un goût acharné des aspects et des mouvements de la vie, n’ont été connues que des quelques-uns. (..) Je crois surtout que son œuvre restera surtout inséparable de ce Berck où il a vécu, où il revint pour mourir. Combien de choses délicieuses il célèbre avec une tendresse, une émotion particulières ! Devant ces bandes de sables mouillé, ces lointains horizons où frémit la lumière du ciel, ces ourlets de vagues nacrées qui roulent si doucement sur l’étendue marine, on devine que le peintre s’est trouvé vraiment seul avec la mer, absorbé par elle. La barque voguant à travers l’espace est aussi grise et blanche et légère que l’oiseau aux ailes étendues. Il a vu et exprimé les bateaux battus par le grain, chassés par la tempête, réfugiés au port, et aussi ceux qui achèvent leur existence d’épaves, ne servent plus que d’abris contre le vent aux vieilles gens de la côte, de jouets aux enfants du village. »

Auteur : Yann Gobert-Sergent
